Dans une tribune publiée dans Valeurs Actuelles, Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune, écrit :
L’embryon humain est pour la recherche une prise de guerre qui s’obstine à ne pas parler. Il est son échec, sa vexation, sa blessure intime. L’élan de la recherche qui tend à l’universalité de la connaissance se brise sur la modestie de ce prisonnier capturé de haute lutte et qui ne laisse rien percer. Voilà presque un demi-siècle que certains ont mis la main sur lui au prix d’une schizophrénie assumée : il est si peu de chose qu’on peut l’enlever du ventre des femmes quand il est indésirable et à la fois si précieux qu’on peut l’y introduire quand il est désiré. L’embryon a été sorti de l’espace, in vitro, et du temps, “in frigo”, mis hors champ, hors juridiction, hors norme. Personne n’a le droit de s’inquiéter de son sort, ni de le défendre. L’humain réduit à sa plus simple expression, privé de son écosystème naturel, est en même temps l’être le plus convoité. La technoscience a préempté l’embryon et l’a mis sous verre tel un insecte pour l’observer et le disséquer avant de jurer que ses précieuses cellules parviendraient à nous guérir de tout. Au bout du sacrifice propitiatoire de centaines de milliers d’embryons et de leur cannibalisation médicalisée brille la régénération rédemptrice.
Mais rien ne s’est passé comme prévu. Au lieu d’apporter la gloire du thaumaturge, l’embryon a apporté l’humiliation de l’apprenti sorcier. C’est alors que certains ont commencé à s’intéresser davantage à ce qu’il a qu’à ce qu’il est. À ce qu’il recèle de particules commercialisables plus qu’à ce qu’il représente d’identité humaine. Faute de pouvoir obtenir sa recette de jouvence contre la vieillesse du monde, la technoscience s’est autorisée à le céder en pièces détachées, à le vendre à la découpe, à en tirer profit. S’il ne consent pas à nous rajeunir, que l’embryon humain contribue à nous enrichir. Au moins qu’il soit utile à notre industrie. L’embryon naguère brandi devant l’opinion publique hypocondriaque comme une panacée pour vaincre la mort a été reconverti en réactif de laboratoire pour éviter l’expérimentation animale.
La cause de cet obscurantisme remonte à la légalisation de la PMA qui a rendu l’embryon humain disponible. Les faibles performances de la procréation artificielle exigent une surproduction d’embryons. Pour un embryon réimplanté, il faut en produire une demi-douzaine, d’où la tentation de verser les rebuts à la recherche. Comme par hasard, il est apparu indispensable de donner aux manipulateurs d’embryons la sécurité juridique qu’ils réclamaient. Contrairement au nom qu’elles portent, les lois de bioéthique ne sont ni bio ni éthiques, elles n’ont pas limité les dérives, elles sont les dérives. On a donc connu l’époque où la loi a semblé interdire toute recherche (1994), puis a ouvert une dérogation temporaire (2004), puis a pérennisé cette dérogation (2011), puis a autorisé la recherche sous conditions (2013), puis a ouvert une dérogation dans la dérogation pour faciliter la recherche qui améliore la PMA (2016), puis supprime toutes les conditions (2019-2020).
Nous y sommes.
C’est à ce titre qu’il est demandé au législateur – et aujourd’hui au Sénat – de remplacer une autorisation de recherche par une simple déclaration du chercheur, de ne plus poursuivre de finalité médicale, de ne pas privilégier les iPS [cellules souches obtenues à partir de cellules adultes, NDLR] comme alternative aux cellules embryonnaires, de ne plus produire le consentement des parents, de ne plus rendre compte de la traçabilité des embryons, de repousser la limite de conservation de l’embryon de sept à quatorze jours, de lever les interdits du transgénisme et du chimérisme.
Si on ne voit pas en quoi ces complaisances stimuleraient le génie, on comprend qu’elles faciliteront la production massive de cellules souches embryonnaires dans une finalité industrielle et commerciale, puisque telle est la revendication explicite de certains scientifiques. On est passé de l’interdiction de la recherche sur l’embryon à l’interdiction de s’y opposer. Le respect de l’embryon est devenu une exception au principe de son non-respect. La loi de bioéthique ne protège pas la dignité de l’embryon mais l’intérêt des chercheurs.
La Fondation Jérôme-Lejeune, qui s’efforce de faire respecter par le juge les faibles exigences qui demeurent encore dans la loi, en sait quelque chose puisque sa tête a été mise à prix par une pétition de notables indisposés de ne pouvoir transgresser dans leur zone de confort. En effet, la Fondation a apporté systématiquement la preuve scientifique qu’aucune recherche ne requérait l’instrumentalisation de l’embryon humain. Pour cette raison, la loi votée par l’Assemblée nationale a supprimé le prérequis de l’alternative scientifique, ce qui est la meilleure façon de démontrer que pour être en règle, il suffit de changer la règle. Isolée, la Fondation a l’honneur de combattre pied à pied, jusqu’au bout, cette folie démiurgique, aseptisée et réclamée par le marché. Céder sur le respect inconditionnel qui est dû à chaque membre de notre espèce dans son extrême jeunesse, c’est absoudre par avance tous les crimes à venir.
La censure de la campagne d’Alliance Vita, bien que condamnée par la justice, relève de cette interdiction de s’opposer aux délires prométhéens. Dans un communiqué, Alliance Royale souligne :
[…] Nous sommes extrêmement préoccupés par la censure politique qui se met en place progressivement dans notre espace publique.
Cette censure devient odieuse. Elle est le fait d’une République qui ne supporte pas des idées contraires à ses principes quasi-religieux. Cette inquisition permanente est devenue insupportable. Les républicains sont aux abois, incapables d’imposer des idées autrement que par la violence ou ladictature. Ceci est un aveu de faiblesse.
Nous remarquons d’autre part que les motifs évoqués sont fallacieux et ont pour unique but de discréditer l’association Alliance Vita. Cela nous rappelle les méthodes employées dans les systèmes totalitaires qui sévissaient en Europe il y a une quarantaine d’années en arrière. […]