Les évêques de France, réunis à Lourdes en assemblée plénière, ont donné leur accord pour l’ouverture du procès de béatification de Dom Guéranger, restaurateur de la vie bénédictine à l’abbaye de Solesmes au milieu du XIXe. Commentaire du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
L’histoire nous enseigne qu’à partir du VIème siècle, la règle de Saint Benoît a structuré le quotidien de milliers d’homme dans l’Europe naissante. Indéniablement surtout, ce style de vie, sédentaire et quasi autarcique, a su générer des moines bâtisseurs et éducateurs au point de civiliser l’Occident chrétien. L’écosystème bénédictin a largement inspiré les mœurs européennes et infusé dans ses coutumes les idéaux saints de l’Evangile du Christ. Lors de la restauration de la vie bénédictine par Dom Guéranger en 1833 à Solesmes (Sarthe), cette congrégation n’a pas cessé de semer de nouvelles fondations depuis. Wisques (Pas-de-Calais) en 1889, Kergonan (Morbihan) en 1897, Fontgombault (Indre) en 1948, Keur Moussa (Sénégal) en 1961 pour ne citer que les plus fameuses. L’abbaye de Fontgombault donnera elle-même naissance à quatre monastères en 50 ans : Randol (Puy-de-Dôme) en 1971, Triors (Drôme) en 1984, Donezan (Arriège) en 1994 et Clear Creek aux USA en 1999 !
La règle de Saint Benoît, soucieuse de la destinée éternelle de celui qui prétend vouloir la suivre, regorge de conseils sur la vie d’union à Dieu, la tenue de son âme ou encore les exigeantes implications d’une vie en communauté. Mais ce catalogue de recommandations ne fait pas l’économie de sujets moins mystiques et plus concrets qui regardent le bien commun des résidents du monastère et leur harmonie. Ainsi le moine ne doit pas être un « gros mangeur » (chap. IV, 36), ou encore il doit veiller à « ne pas avoir un rire bouffon » (chap. IV, 55).
Le secret de la réussite bénédictine, et de son rayonnement, au-delà des considérations surnaturelles qui évidemment nous dépassent, réside très certainement dans l’équilibre de la conduite de vie qu’elle propose. C’est ainsi que, par exemple, chaque monastère possède une salle de lecture et de détente appelée « chauffoir ». Comment ne pas voir dans le bon feu qui l’agrémente en hiver, un cadre propice à la récréation ? On l’appelle même dans l’ordre de Saint Benoît Otium Sanctum : la sainte oisiveté ! S’il peut paraître surprenant de qualifier l’oisiveté de sainte, cette étrange association s’avère pourtant d’une consolante réalité. S’il est vertueux, en effet, de s’afférer à son devoir d’état quand cela est exigé, c’est également une vertu de savoir se détendre le moment venu.
Le terme de « récréation » d’ailleurs, davantage que celui de « pause », souligne l’aspect dynamique de la détente. Cette dernière nous invite plus à nous récréer qu’à effectuer un arrêt sur image. Se récréer, ce n’est pas se figer dans l’espace mais au contraire prendre l’air ; suffisamment mais pas trop. « Ne pas manquer d’air » du reste devient vite le signe d’une agitation excessive, ce que la détente n’est pas. On appellera d’ailleurs « paresse » une récréation désordonnée dont les fruits sont stériles. Ce vice capital est tout autant contraire à l’élévation de la nature humaine que celui de l’activisme qui réside à devenir un bourreau de travail.
La vertu consiste toujours dans un juste milieu. In medio stat virtus. Elle propose d’offrir à l’agir humain des points d’équilibre. Comme l’écolier derrière sa table de travail peut tempérer les excès ou les manques de son étude par la vertu de studiosité, la détente a ses propres modalités pour devenir qualitative. La vertu du repos s’appelle « eutrapélie ». Dans un texte tout à fait plaisant et instructif sur « Comment la détente devient une vertu », voici ce qu’écrivait un prêtre théologien :
« Oh ! ce n’est pas une de ces Dames souveraines, les vertus théologales, ni même une de ces graves dames d’honneur, les vertus cardinales ; c’est une bonne petite vertu toute simple, toute serviable, une soubrette de vertu. Elle ne fait pas beaucoup parler d’elle, les chaires ne retentissent pas de son nom, ignoré même de la plupart de ceux qui l’emploient. Mais se priver de ses soins discrets et anonymes, c’est ce qui ne se peut aucunement. »
La lecture de ce texte, avouons-le, est déjà à elle-seule une détente vertueuse.
S’il est vrai que le corps se repose en changeant d’activités, voire en se dépaysant, l’âme quant à elle refait ses forces dans une activité toute particulière et inchangée depuis des siècles dont le silence forme les frontières : le recueillement. L’incarnation de la vie des moines bénédictins aura montré à leurs contemporains qu’un contact avec le Bon Dieu dans la prière sait contenter les aspirations de l’âme. L’apaiser au besoin. Jusqu’à la sublimer parfois.
L’homo festivus peut s’étourdir dans les vapeurs de l’alcool, l’ivresse des décibels ou les nuages de fumées. Ces sorties nocturnes sont en réalité, le plus souvent, autant de fuites pour s’éviter de faire lumière sur soi-même. Ibiza n’est pas le Nirvana et la clef des champs du bonheur que propose la culture de la fête finit toujours par avoir un goût amer de gueule de bois. Combien sont-ils à ressentir à la fin de leurs loisirs une sorte de vide ? Le corps a certes été excité, mais l’âme se trouve comme étiolée. Les moines nous enseignent que le silence, le recueillement, les mélodies grégoriennes, la lectio divina, la prière liturgique donnent à l’âme de se récréer. Cet ensemble, articulé de façon régulière et ordonné, en devient sa respiration. Loin de la dictature du bruit, ce repos intérieur permet à chaque homme de structurer sa vie mentale et morale. Il participe éminemment à l’établissement d’un corps sain dans un esprit sain.
Dans la vie chrétienne comme dans le cérémonial militaire, un bon « repos » augure toujours d’un parfait « Garde à vous ! ». Ce devrait être là le sens véritable de nos détentes. Vécues ainsi, elles nous éviteraient bien des problèmes.