Une chronique de Guillaume de Prémare sur Radio Espérance :
"Il y a une phrase choc dans la déclaration de la commission permanente de l’épiscopat sur les élections municipales : « Nous condamnons les discours populistes répandant la suspicion contre toute représentation politique. »
POUR Jean-Marie Guénois dans Le Figaro, c’est le Front national qui est visé entre les lignes : « Les évêques de France s’engagent contre l’extrême droite », titre-t-il. Il a peut-être raison. Si le Front national n’est pas cité, c’est probablement sa progression constante qui inquiète les évêques et motive cette condamnation explicite du populisme.
Pourquoi ce succès du Front national ? Je dirais que la stratégie de lissage de son image n’explique pas tout. C’est le seul parti qui ait fait l’effort de renouveler en profondeur sa pensée politique, pour l’ajuster à ce que j’appellerais la « sociologie des profondeurs ».
Chacun sait que l’homme a des besoins primaires et des besoins secondaires. Quand tout va bien — comme dans les Trente glorieuses —, on exprime volontiers des besoins secondaires. Mais quand ça va mal, quand tout devient précaire, on se recentre sur les besoins primaires. Et l’aspiration la plus forte devient la sécurité : sécurité de ce qu’il y a dans l’assiette — donc de l’emploi — sécurité du logement, sécurité physique, sécurité des frontières, etc.
Bref, les braves gens demandent d’abord à être protégés. C’est à mon avis le fait marquant de la sociologie des profondeurs de ce temps de crise. En renversant totalement son discours économique libéral pour prôner l’autorité et l’intervention de l’État-nation qui protège de la mondialisation, le Front national a rejoint massivement les classes populaires laborieuses et les classes moyennes en voie de déclassement. Dans cette sociologie majoritaire de la France profonde, les idées protectionnistes du nouveau Front national sont majoritaires. Pas encore le vote, mais au moins les idées… Peut-être demain le vote…
Face à cela, les classes urbaines aisées dénoncent le besoin primaire de protection comme… primitif — comme si un besoin primaire était par principe infamant —, elles méprisent une peur supposée irrationnelle, un repli frileux, l’égoïsme d’une France rancie, ou que sais-je encore. Elles développent une dialectique de classe, sous le couvert hypocrite de discours fraternels et généreux. Les élites se serrent les coudes, se protègent elles-mêmes, mais refusent de protéger le peuple.
Ce faisant, les élites sont responsables de la rupture avec le peuple. C’est sur cette réalité que le « populisme » fait recette. Car, au fond, le populisme ne consiste pas à créer artificiellement une rupture qui n’existe pas, mais à exploiter et exacerber une rupture qui existe bel et bien.
Pour résister à la tendance dite « populiste » et prôner la confiance dans la représentation politique, les évêques prononcent l’éloge des élus municipaux. Éloge ô combien justifié. La faiblesse de la démonstration, c’est que les petits élus municipaux sont majoritairement du peuple et que, bien souvent, ils pensent comme le peuple, contre les élites politiques, économiques et médiatiques.
Je crois qu’il y a un danger dans le discours antipopuliste : celui de servir une entreprise de protection des puissants par la culpabilisation du peuple, sur fond d’incantation morale inopérante. L’Église cherche toujours à prévenir les fractures dans la société — ce qui est éminemment louable. Mais en développant un discours antipopuliste qui conforte la dialectique des élites, l’Église semble parler contre le peuple là où elle devrait peut-être davantage le comprendre. Et surtout, elle omet de rappeler les élites — qui ont failli, tout de même ! — à leur premier devoir, celui de protéger le peuple.
Le père Delorme — ancien curé des Minguettes — a dit une chose très juste récemment au magazine La Vie : « Quand on tient des discours fraternels, on a du mal à toucher les milieux populaires. » C’est dommage, parce que ces messages fraternels, l’apostolat de la charité, revêtent une particulière urgence en cette période de crise."