https://gaetanpoisson.fr/2025/09/30/pelerinage-lgbt-a-rome/
Dans cet article, je réponds aux objections amicales que m’a récemment adressé un prêtre ayant participé au pèlerinage LGBT du 6 septembre 2025 à Rome. (Je le salue par ailleurs, pour son choix de ne pas avoir hystérisé le débat malgré notre désaccord, mais aussi pour la qualité de ses arguments et la confrontation pacifique à laquelle il m’a gentiment invité).
Père X – Tu affirmes que cette condition [l’homosexualité pratiquante] exclut du salut si elle n’est pas vécue dans la continence qui seule permettrait d’éviter la situation de péché mortel.
Gaëtan – Non, attention : il n’est pas question de dire « tu pratiques cet acte, tu es exclu du salut ! », mais bien plutôt : « à la lumière des saintes Écritures auxquelles nous accordons communément notre foi, la pratique de cet acte n’est non seulement pas encouragée, mais ouvertement proscrite en certains passages, et à d’autres implicitement défendue. » C’est l’homo-sexualité qui est en cause dans la Bible, non pas l’homosensibilité. Par ailleurs, Dieu sauve qui Il veut, et aucun brevet de bonne conduite ne vaut garantie de salut.
Père X – Je comprends les sœurs et frères qui ont trouvé leur équilibre dans cette voie de la chasteté continente, mais ils ne peuvent l’imposer à tous.
Gaëtan – Il n’est pas question d’imposer à tous la voie que nous croyons juste et véridique – quel mandat aurions-nous pour cela ? Mais attention à la tentation relativiste : ce n’est pas parce que nous sommes des êtres libres que tous nos choix posés sont les bons, ou également respectables. Aussi, le choix de vivre la chasteté dans la continence n’est pas une invention, mais bien au contraire l’assentiment réfléchi à l’invitation de notre Seigneur au travers de sa Parole et de la Tradition.
La chasteté dans la continence n’est point une invention arbitraire des frères et sœurs qui choisissent de consacrer leur vie à ce chemin exigeant. Il faut bien considérer qu’à l’origine de toute conversion, l’âme trébuche et hésite : les premiers pas sont incertains, la volonté chancelle, l’oreille peine à écouter, le cœur tarde à désirer. Puis, peu à peu, vient le moment où l’on consent enfin à s’engager. Nul édifice ne s’élève en un instant : de même que l’on dit que Rome ne fut pas bâtie en un jour, ainsi le cheminement spirituel ne s’accomplit qu’au prix du temps, de la patience et de la persévérance. Dès lors, pourquoi refuser de s’y engager, si telle est la volonté de Dieu ? Car elle l’est véritablement : Moïse lui-même, sur la montagne de l’Exode, reçut les tables de la Loi, gravées du doigt de l’Éternel. Or les sixième et neuvième commandements sont explicites : nul homme, nulle femme, ne doit user de l’union charnelle en dehors du mariage. Ce n’est point là une opinion humaine, mais une vérité inscrite noir sur blanc dans l’Écriture.
Ainsi, sans le sacrement du mariage célébré devant Dieu, l’acte sexuel demeure interdit, tant pour l’homme et la femme unis que pour les relations entre personnes de même sexe. Il ne s’agit nullement d’une croisade contre qui que ce soit, mais simplement de la fidélité à la Parole révélée. Et pour ceux qui, à la manière de Marcion, seraient tentés d’opposer le Christ à la Loi, rappelons la parole même du Seigneur : « Ne croyez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Mt 5,17) Et encore : « En vérité, je vous le dis : tant que le ciel et la terre ne passeront point, pas un seul iota, pas un seul trait de la Loi ne disparaîtra, jusqu’à ce que tout s’accomplisse. » (Mt 5,18). Ainsi donc, le Christ n’a pas effacé ces commandements : il les a portés à leur plénitude et les a scellés dans la lumière de l’Évangile.
Père X – La longue période d’accompagnement de personnes chrétiennes homo et trans m’a fait découvrir que nombres d’entre elles et d’entre eux ne sont pas des dévoyés soumis à leurs pulsions, sans pour cela être appelées à ce chemin [la continence], mais ils souhaitent déployer ce que leur être les invite à devenir.
Gaëtan – Nous sommes tous en chemin, quel que soit notre rapport à l’observance des paroles de Dieu. Cela n’empêche nullement que nous soyons tous pécheurs, et invités respectivement à corriger telle ou telle part de nos comportements spirituels, affectifs ou éventuellement sexuels.
Faire le choix de l’exigence est toujours bouleversant, et intimement difficile. On chute, on s’égare, on se relève… l’important est d’avancer sur le chemin à notre rythme, en laissant derrière soi les petits arrangements, les petites concessions à notre complaisance intime. L’Evangile est une parole de feu, libératrice en ce sens-même qu’elle est difficile et exigeante pour qui entend la suivre. Dès lors, elle ne saurait être l’alibi de la facilité. Il y a certes parfois un risque d’égarement chez ceux qui entendent suivre la voie étroite : celui de la mortification extrême, de l’encratisme, du masochisme morbide, pour ceux qui oublient que le Christ est Amour et qu’il veut notre bonheur. Mais ces égarements ne sauraient constituer l’alibi d’un amusement sexuel en rase campagne.
Père X – Comme le disait Joseph Ratzinger (qui sera notre Pape Benoît XVI) :
« Au-dessus du pape en tant qu’expression de l’autorité ecclésiale, il y a la conscience à laquelle il faut d’abord obéir, au besoin même à l’encontre des demandes de l’autorité de l’Église ». Aussi continuons à exprimer nos désaccords pour approfondir le discernement, faisant ainsi notre travail de croyant en Église.
Gaëtan – Spécieux, car en l’occurrence, un tel devoir peut et doit s’entendre dans les deux sens : la conscience enjoint davantage d’exigence intime que la parole des hommes (fussent-ils clercs), car elle refuse toute compromission face à la vérité. Il en retourne qu’au-dessus du pape et de l’autorité ecclésiale, la conscience à laquelle nous devons obéir est généralement plus sévère et irréductible que ces derniers… et non l’inverse, à moins d’inclure la complaisance dans le territoire de la conscience1. Mais Joseph Ratzinger disait aussi (quitte à le citer, ne le prenons pas isolément) :
« Le tentateur est sournois : il ne pousse pas directement au mal, mais à un faux bien, en faisant croire que les vraies réalités sont le pouvoir et ce qui satisfait les besoins fondamentaux. De cette façon, Dieu devient secondaire, il se réduit à un moyen, en définitive il devient irréel, il ne compte plus, il disparaît » (Discours Place Saint Pierre, 17 février 2013). L’on voit bien, si l’on prétend prendre au sérieux Ratzinger jusqu’au bout, et s’en prévaloir, que les impératifs de la conscience n’ont rien de conciliant ou d’arrangeant pour l’individu, et qu’au contraire, ils impliquent d’éviter de se laisser choir dans la facilité spirituelle, piège tendu par l’Adversaire.
Il ne faut jamais agir contre sa conscience, même erronée, parce que ce serait commettre un péché. Mais la conscience, justement, peut être déformée. C’est pourquoi il n’est pas toujours licite d’agir selon l’impression de sa conscience : Une personne peut agir mal sans troubles de conscience, cela prouvant que sa conscience s’est gravement obscurcie. « Agir selon sa conscience » peut donc justifier certaines complaisances. Fort heureusement, il existe un moyen d’y voir clair : la marque de la conscience véritable, c’est qu’elle nous embête, c’est qu’elle critique notre mouvement premier. Ici, Newman peut nous aider : la conscience est par essence contraignante, jamais permissive.
Père X – Pour ce qui est de la question de l’homosexualité telle que la traite le catéchisme. Il exige un accueil “respectueux, compassé et délicat”, oubliant de nous dire qu’il ne s’agit pas d’avoir ces qualités relationnelles de gentillesse à développer, mais simplement recevoir les personnes créées que Dieu met sur nos routes.
Gaëtan – Ici encore, je ne serai pas d’accord, sinon pour reconnaître que le catéchisme ne « dit » pas tout et que ses énoncés ne suffisent pas à fonder la pratique quotidienne du croyant. Non, il ne s’agit pas « simplement de recevoir les personnes créées que Dieu met sur nos routes » : l’accueil est naturellement un préalable, mais il s’accompagne d’une invitation à changer, à s’amender, à se parfaire pour la gloire de Dieu et le bénéfice de tout notre être. C’est là une ligne de fracture majeure entre les positions des croyants « modernistes » et les autres : penser que l’Eglise doit se contenter « d’accueillir » les croyants sans avoir à les transformer. Si le Christ ouvre toujours les bras, les séances de free hugs lui demeurent étrangères : il offrira toujours davantage, et nous demande bien plus. Le sang des martyrs a-t-il été versé jusqu’à ce jour pour que l’on réduise les énoncés bibliques à ceux de l’humanisme, à la charte des droits humains, ou encore au wokisme, qui n’est qu’un antichristianisme à peine voilé ? Être dans l’accueil et à l’écoute est capital, mais le rôle d’un prêtre ne se limite pas à celui d’un psychologue ou d’un confident : ne s’agit-il pas aussi d’accompagner les croyants sur le chemin de la conversion au Christ, de la transfiguration vers la sainteté, pour le salut des âmes ? N’était-ce pas le plus grand désir de saint Jean-Marie Vianney ainsi que de tous les saints ?
Père X – Notre catéchisme, publié en 1992, conseille à toutes les personnes concernées par cette réalité de joindre leurs sacrifices à la Croix du Christ en vivant la continence… Une voie qui ne me semble pas être juste, car la continence est un don charismatique réservé à des états de vie reconnus dans l’Eglise : les ministères ordonnés (clercs) et les religieux. Elle ne peut donc pas être un chemin pour tous les croyants.
Gaëtan – Il y a ici une grave confusion : dans l’Eglise, la continence ne se réduit nullement à un « don charismatique » réservé aux clercs. Le fait de ne pas être clerc n’autorise nullement une vie sexuelle active avec qui l’on veut et dans n’importe quelle condition. Par ailleurs, la Parole de Dieu, tout comme l’Église, proscrit expressément les rapports intimes en dehors du mariage. Il en retourne que le fait de ne pas être clerc n’autorise nullement à s’exempter de l’impératif de la continence pour toute personne non mariée. Point n’est ici besoin d’entrer dans la distinction entre homo et hétérosexualité pour rappeler que la continence concerne, selon l’Eglise, tout un chacun en dehors du mariage. Il ne faut pas confondre la continence perpétuelle, assumée par vœu pour Dieu, celle-ci supposant un appel spécial de Dieu, avec la continence ordinaire à laquelle non seulement tout chrétien mais tout homme est appelé. Un homme non marié est obligé à la continence tant qu’il reste dans cet état. Affirmer que certaines personnes « ne seraient pas faites pour la continence » relève, à tout le moins, d’une confusion, sinon d’une atteinte à la vertu de foi. Il convient en effet de distinguer entre la continence perpétuelle, propre à certains états de vie consacrée, et la continence ordinaire, à laquelle tout chrétien est appelé selon sa condition. La véritable question est donc celle-ci : voulons-nous suivre le Christ, en accomplissant sa volonté par amour de Lui et pour sa gloire ? C’est ici affaire de foi. Voulons-nous vraiment Lui être fidèles ? Et si nous n’y parvenons pas encore pleinement, sommes-nous résolus à marcher dans cette direction, pas à pas, avec persévérance ? Il serait illusoire de penser que la voie deviendra plus aisée en cherchant à réformer l’exigence même de l’Évangile. La croix fera toujours partie intégrante de nos vies de disciples : elle n’est pas un obstacle, mais le passage obligé vers la résurrection. Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, qui n’a de « petite » que le nom, le rappelait avec justesse : « Dieu regarde davantage l’intention que l’œuvre accomplie ». Autrement dit, si l’intention est pure et la volonté sincèrement orientée vers le Bien suprême, même si la réalisation demeure imparfaite, Dieu verra notre amour pour Lui et nos efforts pour mettre en pratique sa parole. Sa miséricorde alors sera là pour suppléer notre misère.
Père X – Même Saint Thomas d’Aquin dans la somme Théologique, s’il ne savait que faire des personnes homosexuelles, reconnaissait que, si elles étaient contre la nature de l’espèce n’étaient pas contre leur nature propre. Ils ne sont donc pas sur la pente de leurs désirs non maîtrisés, mais font face à la structure que Dieu leur a donnée.
Gaëtan – Ce raisonnement convoquant l’autorité de Saint Thomas d’Aquin au profit des pratiques homosensibles relève du courant idéologique désormais bien connu – le « thomisme gay » – inspiré des écrits militants du médiéviste Adriano Oliva. L’histoire de ce raisonnement suit une trame strictement parallèle aux théories exégétiques élaborées à grands renforts de sophismes par le Père Daniel Helminiak (comme le Père James Alison), dans le dessein de rendre les pratiques homosexuelles licites et recevables au regard de l’Écriture. J’ai procédé à une dissection aussi rigoureuse que chirurgicale des multiples erreurs déployés dans l’ouvrage du Père Helminiak. Le lecteur pourra en prendre connaissance dans mon article intitulé : Bible et homosexualité – erreurs et manipulations de Daniel Helminiak, disponible sur mon site. Certes, saint Thomas d’Aquin relève la possibilité d’une corruption de la nature. Cette corruption peut venir du corps en deux cas : soit par maladie (la fièvre fait trouver doux ce qui est amer, et inversement) ; soit à cause d’une mauvaise complexion du corps : c’est ainsi que certains trouvent du plaisir à manger de la terre, du charbon. Cette corruption peut venir aussi de l’âme. Saint Thomas d’Aquin remarque alors qu’il peut arriver que ce qui est contre la nature de l’homme, au point de vue de la raison, ou au point de vue de la conservation du corps, devienne connaturel pour tel homme particulier. Mais cette expression est analogique au mot nature et comparaison ne vaut pas raison. Sans aller jusqu’à l’avertissement de Sainte Catherine de Sienne à la reine de Naples : « Qui est plus cruel de l’ennemi, ou de la personne qui reçoit la blessure ? C’est nous qui sommes plus cruels, car nous consentons à notre mort. » (Lettre du 6 mai 1379). Convenons que l’Aquinate était tout aussi critique envers ceux qui ne distinguent pas en eux ce qui relève de la pente et du chemin étroit.
Père X – Tu dis que l’on ne doit pas vouloir changer le discours [de l’Écriture]. Mais tu sais comme moi que de nombreuses règles ont été changées au cours des siècles d’histoire de l’Eglise, dans le domaine de la morale sociale notamment. Il faudra attendre 1435, l’encyclique Sicut dudum, d’Eugène IV, pour voir condamné l’esclavage des indigènes des îles Canaries. En matière économique, c’est le texte Vic pervenit à Benoît XIV en 1745 qui reste en vigueur, un texte qui n’accepte pas le prêt à intérêt mais ne l’associe pas à une peine en confession, ceci sera prolongé dans le droit canonique de 1917. L’Eglise finit par l’accepter alors que le Pentateuque le refusait catégoriquement.
Gaëtan – Attention aux confusions : « l’évolution » du dogme et de la règle dans l’histoire de l’Eglise n’est jamais stricte nouveauté, mais « désenveloppement », selon l’heureuse expression du cardinal Journet. Cela signifie que les énoncés successifs que pose le Magistère en matière dogmatique, au fil du temps, viennent préciser ce qui est contenu depuis l’origine dans l’Ecriture, la Tradition et le dépôt patristique. Ce « désenveloppement » ne signifie pas que la règle évolue, mais qu’elle est sans cesse précisée, approfondie. L’exemple précité concernant l’esclavage le prouve à l’évidence, puisque nous pouvons clairement déduire du Nouveau Testament le principe de l’abolition de la servitude : il n’y aura plus ni maître ni esclave, les uns et les autres seront des frères2. A l’inverse, conclure des passages bibliques concernant l’interdiction et la critique des pratiques homosexuelles qu’ils peuvent s’épanouir en une permission providentielle et eschatologique, cela relève du forçage exégétique caractérisé et c’est objectivement faux.
Père X – Ensuite, nous ne pouvons justifier le refus d’une considération de l’homosexualité par une référence à l’Écriture s’appuyant sur des exégètes aux lectures fondamentalistes. Ce n’est pas juste. Car aux temps bibliques, les seules sexualités entre hommes étaient en période de guerres pour prendre pouvoir, dans la pédophilie institutionnelle comme formation des jeunes adultes à la vie sexuelle ou encore comme des pratiques idolâtriques dans les temples.
Gaëtan – C’est bien au contraire la lecture de type « progressiste » qui se caractérise par un refus de considérer l’homosexualité là-même où elle est mentionnée dans le texte. En prétextant que ce que dit la sainte Écriture à ce sujet concerne tout autre chose, l’exégèse idéologique LGBT néantise le texte et le réifie en une simple signalétique obsolète : ainsi dira-t-on opportunément, « aux temps bibliques, les seules sexualités entre hommes étaient en période de guerres pour prendre pouvoir, dans la pédophilie institutionnelle comme formation des jeunes adultes à la vie sexuelle ou encore comme des pratiques idolâtriques dans les temples ». Conséquence attendue : l’interdit biblique se révèle nul et non avenu, puisque l’homosexualité, à en croire certains exégètes, n’existait pas à l’époque considérée. Une telle assertion ne manque pas de surprendre, surtout si l’on affirme parallèlement que Dieu nous a créés homme ou femme. Or, pour quelques-uns — dont je suis —, la nature blessée s’exprime sous la forme d’une sensibilité homophile. Dès lors, une question se pose avec acuité : à quelle époque faudrait-il situer l’apparition de l’homosexualité, si, comme on le prétend, elle n’était point connue ni pratiquée aux temps bibliques ? Affirmer que les actes homosexuels réprouvés par l’Écriture s’inscriraient dans des cadres d’excès public relève d’une interprétation qui ne tient pas compte, notamment, d’autres passages explicites comme celui de saint Paul aux Romains (ch. 1, v. 26-27) : « les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres. » Ce passage n’a rien d’une interprétation « fondamentaliste », mais il s’agit simplement d’un passage de l’Écriture.
Père X – Refuser de lire les textes dans leurs contextes revient à dire que nous devrions appliquer les lois du Lévitique dont personne, pas même nos sœurs et frères juifs ne se réclament. Rappelons que ce livre qui défend les relations intimes entre hommes, dit que nous avons droit à un esclave par famille s’ils sont pris dans une nation voisine (Lev 25,44), que les femmes ne peuvent se vêtir de deux textiles dans risquer la lapidation (Lev 19,19), que l’on peut vendre sa fille comme servante (Lev 21,7). Aucun d’entre nous n’applique ces règles sans être jugé hérétique. Interpréter n’est pas morceler ou décomposer mais comme en musique, chercher le ton juste de l’interprétation qui va permettre d’entendre une belle œuvre dans sa version contemporaine.
Gaëtan – L’alibi du contexte ne saurait être instrumentalisé. S’il est évident qu’une part des coutumes énoncées dans l’Ancien testament relève d’une praxis dont les raisons ont été depuis longtemps dépassées, l’écho d’un interdit vétérotestamentaire qui se prolonge dans le Nouveau Testament jusqu’aux lettres de Saint Paul, en tout autre contexte que celui du Lévitique3, nous oblige à le prendre en considération sérieuse, et à lui accorder une importance granitique. Par ailleurs, il n’est nullement question, pour l’Eglise, de soumettre l’homosexualité aux foudres du Lévitique, mais bien plutôt de la penser dans la continuité des deux Testaments, lesquels la proscrivent de concert, mais sur un mode évolutif. Derrière cette querelle de la question homosensible dans l’Eglise se profile en réalité une querelle d’héritage spirituel : nous faut-il, suivant l’hérésie marcioniste, brûler l’Ancien Testament au profit d’un Nouveau Testament adouci, ou, plus sérieusement, accueillir les deux faces de la Sainte Écriture en les mettant en perspective (et en lisant la première à la lumière de l’autre ?)
Aux sources de l’interdit du Lévitique, nous pouvons pointer trois explications principielles (il en existe d’autres) :
1-la différence entre Israël et les autres peuples ; ou, plus génériquement, l’extension de l’éthique comme introduction à une théologie du corps. Israël ne se comportera point comme les autres peuples, et ses préceptes éthiques seront plus complexes, plus exigeants. Cette première explication, historique, est partiellement révolue puisqu’il n’est plus guère question pour Israël de se distinguer des Cananéens ou des Égyptiens pour survivre, dans une certaine mesure. C’est donc ce côté extrême et violent de la loi du lévitique qui est désormais aboli, mais point la signification profonde, éthique.
2-protéger la fécondité du groupe. L’interdit de l’homosexualité a aussi pour propos d’éviter de désorganiser la régularité des unions matrimoniales et le flux des naissances. La société est fragile, vulnérable. L’union homosexuelle n’est pas féconde, non pas conjoncturellement mais structurellement. Séparer l’union matrimoniale de la sexualité et la sexualité de la fertilité conduit à une atomisation des conditions du renouvellement de la société.
3-L’homosexualité comprise comme une extension de l’inceste. On a oublié, dans nos sociétés modernes, qu’aux origines de l’interdit de l’homosexualité, il y avait la crainte du développement de pratiques prohibées entre parents proches. Cet interdit des relations entre parents proches demeure de nos jours, mais l’acte génital entre deux personnes de même sexe lui a été décorrélé. Dans cette ligne, bien plus tard, le chancelier Bismarck reprochait aux relations homosexuelles de détruire toutes les barrières sociales, et par suite les divers piliers internes sur lesquels se fondent les sociétés. A première vue, naturellement, un tel motif semble fantaisiste. Mais il signifie que la pratique homosexuelle favorise implicitement la confusion des rôles dans la société, et à terme sa subversion de l’intérieur (l’interdit miroir, dans le Lévitique, étant pour un homme d’épouser une mère et sa fille).
Père X – Nous devrions lire le Talmud de Babylone (commentaire de l’Écriture du IVe siècle) qui reconnaît 8 genres, alors que nous ne reconnaissons que la bipartition homme-femme comme possibilité de déployer une relation affective reconnue. Cela parce que l’on ne reconnaît la relation sexuelle qu’ouverte à la reproduction alors qu’une bonne partie des croyants ne sont plus en âge de procréer, sans être interdits de sexualité. Écoutons le texte de la création du vivant vis-à-vis d’Adam, dans le livre de la Genèse. C’est Adam qui la nommera Eve, la vivante (ce n’est pas Dieu qui le fait). Elle ne lui est pas donnée pour se reproduire, mais pour ne pas être seul, donc, pour goûter le plaisir de la rencontre des corps dans la relation.
Gaëtan – Encore une fois, il n’est pas ici question, à propos de la sexualité dans la Bible, de l’un ou de l’autre : de la procréation OU de la tendresse et de l’union sentimentale entre les êtres. La Bible ne sépare pas ces deux aspects, ce qui permet précisément aux couples qui se sont aimés des années et ne sont plus en âge de se reproduire, de poursuivre leur vie intime sans qu’il y ait quoi que ce soit à en dire4. Qu’il y ait deux, huit ou autant de genres que d’êtres vivants sur la planète, cela n’infirme en aucune manière qu’il y ait deux sexes. Ici encore, pourquoi opposer le genre et le sexe, comme si l’un pouvait remplacer l’autre ? Le Talmud de Babylone n’a pas vocation à se substituer à la science ou à soumettre la biologie à l’exégèse transcendantale. Enfin, le fait qu’Adam appelle Eve, que le masculin appelle le féminin comme son complément métaphysique et structurel, n’est-ce pas là, précisément, la clé centrale de notre sujet ? L’homosensibilité est une réalité qui ne saurait appeler aucune violence, mais qui n’efface pas pour autant la structure originelle de la bipartition masculin/féminin. Désormais, le front médiatique déborde de slogans militants en matière sociétale, ce qui au-delà des compréhensibles instincts iréniques, brouille considérablement la clarté de notre sujet. Cette présentation inconditionnellement bienveillante me rappelle certains choix éditoriaux d’une certaine presse confessionnelle, visant à désamorcer les points de litige entre le christianisme et le « monde », afin d’éviter les problèmes. Ainsi, ce titre d’article tragi-comique dans le journal La Vie, en date du 11 avril 2014 : « Jean-Paul II, le pape qui aimait le sexe ? » 5
Père X – Je terminerai par le dernier texte récent de la commission biblique internationale qui dit : “ l’examen exégétique conduit sur les textes de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament fait apparaître des éléments à considérer pour une évaluation morale de l’homosexualité, dans ses aspects éthiques: formules des auteurs bibliques, comme les directives disciplinaires du Lévitique, qui exigent une interprétation intelligente qui sauvegarde ce que le texte sacré veut promouvoir, évitant de répéter à la lettre ce qui porte en soi les traits culturels de ce temps. La contribution qu’offrent les sciences humaines, jointe aux réflexions théologiques et morales, seront indispensables pour une expression adéquate de la problématique”
Si nous étions un peu plus juste nous verrions que Jésus même s’il invite à ne plus pécher ne dit rien au centurion qui vient le rencontrer pour demander la guérison de son « pais » désigné comme son serviteur, [terme] que la sœur Jeanne d’Arc, bénédictine que l’on ne peut taxer de pro-gay, traduit par « petit ami ». Cet homme devait être un craignant Dieu car il avait reconstruit la synagogue de Capharnaüm. Jésus ne lui demande pas de changer de vie, il guérit son petit ami, et il le loue pour sa foi.
Gaëtan – En l’occurrence, Jésus ne demande pas non plus au Romain de quitter la Palestine. Cela fait-il de lui un complice de la colonisation, ou de la prédation d’un peuple sur l’autre ? La question de l’homosexualité très éventuelle du « garçon » du Romain n’est donc pas ici le sujet sur lequel se prononce le Seigneur, ce qui ne signifie pas qu’il cautionne ce dont il ne parle pas expressément. En effet, Jésus autorise-t-il l’évasion fiscale parce qu’il n’en parle pas directement ? Pour poursuivre sur cette lancée, a-t-il jamais parlé explicitement de la pédophilie ? Non, il n’en traite pas directement. L’Évangile ne mentionne pas expressément l’homosexualité : ce silence ne signifie nullement une approbation mais témoigne plutôt du fait que certaines réalités allaient de soi et n’exigeaient pas de développement particulier, tant elles étaient évidentes pour tous. Chacun conviendra qu’un tel raisonnement serait insensé, sinon puéril. Affirmer que le serviteur du centurion était son compagnon sexuel relève d’un trait moderne de la culture LGBT à caractère spéculatif carabiné… Tout comme le fait de qualifier les eunuques de transsexuels (au paragraphe suivant), contre-sens historique et anachronisme.
Père X – Même la question des transgenres est évoquée dans la Bible, lorsqu’elle parle des eunuques. Ce sont des personnes auxquelles la structure sexuelle empêche la reproduction. Et bien le prophète Ézéchiel dit que s’ils continuent à célébrer le sabbat ils auront une stèle à leur nom dans le Temple : “Qu’il n’aille pas dire le fils de l’étranger qui s’est attaché au Seigneur qu’il n’aille pas dire : “Le Seigneur va certainement me séparer de son peuple,” et que l’eunuque n’aille pas dire “Voici que je suis un arbre sec”. Car ainsi parle le Seigneur ; ‘aux eunuques qui gardent mes sabbats, qui choisissent de faire ce qui me plait et qui se tiennent dans mon alliance, à ceux-là je réserverai dans ma maison, dans mes murs, une stèle porteuse du nom et ce sera mieux que des fils et des filles. J’y mettrai un nom perpétuel qui ne sera pas retranché” (Ex 56, 3-7). Alors, nos sœurs et frères aux variants génétiques (pas XY ou XX mais YYY ou XXY etc.) ou aux variants hormonaux (corps biologique masculin et hormones féminines ou le contraire) seront accompagnés pour traverser une existence et trouver leur paix.
Gaëtan – Qui, aujourd’hui, exige de malmener les personnes transgenres ? Qui s’oppose à ce qu’elles trouvent la paix de leur être et la sérénité de leur cœur ? Mais réduire la réalité transgenre à la seule figure de l’eunuque demeure, pour le moins, discutable et, à vrai dire, foncièrement erroné. L’eunuque, tel qu’il apparaît dans l’Écriture, peut tout autant préfigurer la personne homosensible que la personne porteuse de trisomie, ou encore tout homme rendu eunuque et invité à vivre la dimension d’un don total de lui-même, ainsi qu’il en est fait mention en Matthieu 19,12. J’ai développé ce passage dans mon premier livre, où j’ai mis en évidence le prophétisme propre à la personne homosensible : une vocation particulière appelée à se livrer sans réserve au Seigneur Jésus. La signalétique LGBT semble étrangement très hostile à la signalétique XX, XY, qui structure l’humanité depuis avant le Paléolithique. Pourquoi ne pas respecter cette vénérable signalétique, et s’ériger en alternative concurrentielle ?
Père X – Aucun de ceux qu’il m’a été donné d’accompagner étaient soumis à leurs passions, perdus dans le dédale des sens, mais tous étaient à la recherche de l’âme sœur pour traverser l’existence.
Gaëtan – Je vais développer certaines étapes essentielles avant de répondre, aussi simplement que possible, à la question. Après avoir effectué leur « coming out », il est fréquent que beaucoup prennent une grande distance avec la Parole de Dieu et l’enseignement de l’Église catholique. De façon métaphorique, dans un élan qu’ils perçoivent comme libérateur — une bouffée d’oxygène euphorique —, ils croient accéder à une forme de conscience supérieure, inaccessible, selon une grande partie des personnes homosexuelles, à ceux qui ne partagent pas leur expérience intime ou spirituelle ; en l’occurrence, à tous ceux qui ne connaissent pas de l’intérieur ce que signifie être une personne homosensible ou trans. Convaincus de s’être enfin ouverts à une vie authentique, arrachés aux ténèbres et délivrés d’un joug qu’ils identifient rétrospectivement comme oppressif, ils glissent peu à peu, parfois à leur insu, vers une posture victimaire. Il s’agit là d’un mécanisme de protection, d’un moyen de légitimer leur nouvelle identité, souvent défendue avec vigueur, et parfois même avec colère. Dès lors, la recherche de l’âme sœur devient la quête absolue, le Graal à tout prix, afin de vivre une relation de couple assortie de sexualité, parce que, disent-ils : « J’y ai droit. » Je parle ici de très nombreuses personnes, moi y compris, qui avons traversé ces étapes. La passion peut n’être qu’un passage, mais elle peut aussi dépasser ce stade : dans ce cas, il s’agit d’addiction. C’est pourquoi je comprends les ressorts intimes qui animent ces personnes : je puis entrevoir leurs pensées, leurs enthousiasmes comme leurs doutes. Mais je sais aussi, avec certitude, que le chemin qu’elles souhaitent emprunter demeure périlleux. À cette étape, nous croyons volontiers avoir tout compris, comme si cette expérience nous conférait un accès privilégié à une vérité dont les autres, nécessairement, seraient exclus. Or, il s’agit d’une illusion, d’un passage — douloureux peut-être — mais qui n’épuise ni le mystère de la vérité, ni la profondeur du réel. Et pourtant, je pressens déjà leur objection : « C’est toi qui n’as rien compris. » Le plus grand danger, par la suite, est de se laisser happer par les méandres idéologiques du wokisme. Car alors, l’on s’engage dans un labyrinthe dont il est difficile de ressortir indemne, et où les blessures se multiplient. Si j’écris tout cela, c’est parce que toutes les personnes homosensibles ou trans traversent, peu ou prou, des étapes communes. Le refus ou la négation de certains passages bibliques, ou encore de l’enseignement de l’Église, en fait partie. J’ai combattu les passages bibliques, trouvant l’Église tellement rétrograde et arriérée ; je m’en prenais aux prêtres et faisais partie de ceux qui pouvaient s’arguer de connaître de l’intérieur le système pour mieux encore le dénoncer. Je m’appropriais les thèses d’Helminiak et me targuais de pouvoir enfin être libre. Et pourtant, c’était exactement l’inverse qui se produisait. Mais avec LA GRACE de Dieu, le temps, un accompagnement patient, et surtout par le désir profond de vivre par amour pour Dieu et pour ses frères et sœurs, le choix de la chasteté dans la continence s’est peu à peu imposé comme une évidence libératrice, source d’une grâce sanctifiante que la foi et l’humilité rendent féconde.
Père X – Tu vois cher Gaétan, il n’y a eu aucun slogan, aucun agenda politique à faire avancer lors du pèlerinage LGBT à Rome, seulement la joie de se retrouver pour partager sur des parcours en Église, souvent marqués par le rejet, l’exclusion, toutes et tous heureux de pouvoirs le faire avec tout leur être, à la tombe des apôtres Pierre et Paul, comme le font tous les autres dynamismes d’Église. Enfin tous étaient dimanche à la belle célébration où deux de nos jeunes frères ont été canonisés.
Gaëtan – Ce que je vois, ce que j’espère, c’est que nous, personnes homosensibles, soyons enfin réunis sous un même nom : « frères », bien au-delà de nos identités secondaires. Mais la fraternité doit se garder du progressisme, qui ne cesse de vouloir réformer au lieu de se réformer lui-même. Un progressisme qui se nourrit des blessures des personnes et de l’Église pour justifier toutes les thèses d’une prétendue libération — qui n’en est pas une. Et je ne suis pas le seul à le dire, loin de là.
Père X – Aussi, pour aider nos sœurs et frères homo et trans à vivre leur attachement à Jésus, aidons-les à reconnaitre leur différence, non comme une punition ou un enfermement, mais comme don de Dieu qu’ils vont devoir vivre comme source d’épanouissement pour réaliser leur vocation propre.
Gaëtan – Qui parle encore de punition dans l’Eglise pour qualifier les personnes homosensibles ou trans ?
Père X – Comme cela, nous serons une Église ouverte comme celle de Pierre et de Paul qui, dès les premiers siècles a baptisé un eunuque sans longue catéchèse, et baptisera des païens de Capharnaüm, parce que l’Esprit était déjà descendu sur eux. Une Église missionnaire qui continue à recevoir toutes les sœurs et tous les frères qui attendent de goûter l’amour de Dieu dans tout leur être.
Gaëtan – Comme le disait Scholtus : L’Eglise est ouverte en ce qu’elle témoigne d’un tombeau ouvert… et non parce qu’elle serait politiquement libérale ou gayfriendly.
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