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Bioéthique

Peut-on parler en vérité d’embryons artificiels ?

Peut-on parler en vérité d’embryons artificiels ?

De l’abbé Roy sur Claves :

Un événement scientifique qui a fait les gros titres de la presse internationale, de CNN à AL-Jazeera, sans provoquer en France la moindre réaction… Au milieu du mois de Juin, le Guardian se fait écho d’une avancée « fracassante » de la science[1], qui pourrait permettre de soigner de nombreuses maladies génétiques et d’améliorer le suivi des grossesses à risque.

Les articles de presse faisaient suite à la communication de Magdalena Zernicka-Goetz, chef de file d’une équipe de l’Université de Cambridge et du California Institute of Technologie, lors du congrès annuel de la Société Internationale de Recherche sur les Cellules Souches (International Society for Stem Cell Research, Boston, 14 juin 2023). « Nous pouvons créer des modèles semblables à l’embryon humain en déprogrammant des cellules » a-t-elle ainsi annoncé. Dans le même temps, l’équipe de Jacob Hanna, au Weizmann Institute of Science (Rehovot, Tel-Aviv, Israël) annonçait être parvenue peu ou prou au même résultat.

Traduite dans le langage de la presse, cette communication devint une annonce « fracassante » : la science serait ainsi parvenue à créer des « embryons artificiels. »

Le contexte : la recherche sur les cellules souches

Revenons sur le contexte de ces développements : les cellules souches sont depuis plusieurs décennies l’objet de recherches intenses, dans le cadre de leur potentiel usage thérapeutique. Ces cellules sont en effet caractérisées – à divers stades (totipotentes, multipotentes, pluripotentes – voir notre article sur la gamétogénèse) par leur indifférenciation, et donc leur capacité à devenir n’importe quelle cellule du corps humain. Un des points d’achoppement de ces développements a été depuis l’origine la provenance de ce matériau d’expérimentation biologique : pendant plusieurs décennies, la seule issue techniquement envisageable semblait être l’utilisation de cellules souches embryonnaires, prélevées sur des embryons fécondés in vitro dans le cadre d’une procréation médicalement assistée et demeurés sans projet d’implantation ultérieure. La découverte en 2006 de la possibilité de reprogrammer des cellules souches adultes à un stade antérieur de différenciation (parvenant ainsi à des cellules souches pluripotentes induites ou « iPS ») valut six ans plus tard au professeur Yamanaka le prix Nobel de médecine et parut ouvrir une possibilité pour la recherche de poursuivre ses avancées en évitant l’usage et la destruction d’embryons humains. On ne mesurait pas alors les voies qui s’ouvriraient par la suite à partir de cette reprogrammation.

Remédier à la scandaleuse « inefficacité » de la reproduction humaine

L’accroche de l’article scientifique dans lequel l’équipe du Pr. Zernicka-Goetz présente son étude laisse songeur : la reproduction humaine est « remarquablement inefficace » puisque 60% des grossesses échouent lors des deux premières semaines suivant la fécondation[2]. Or la science se heurte à une boîte noire lorsqu’il s’agit d’examiner les phases du développement embryonnaire entre 7 et 28 jours. La législation interdit en effet de pousser au-delà de deux semaines la culture in vitro (en laboratoire) d’embryons humains, tandis que l’observation in vivo (implantés dans leur environnement naturel, soit ordinairement au-delà d’une semaine) ne devient vraiment possible et fructueuse qu’après 28 jours. Pour percer l’obscurité de cette « black box », les équipes de Cambridge et de Tel Aviv proposent de reproduire in vitro un « modèle » d’embryon, ou « embryoïde, » que d’aucuns qualifient déjà d’embryon artificiel, afin de pouvoir scruter son développement. Les deux groupes de scientifiques affirment être parvenus – en fait à partir de cellules souches embryonnaires reprogrammées ou simplement mises dans un milieu particulier – à reproduire un modèle présentant les caractéristiques d’un être humain à ses premiers stades de développement, incluant l’embryon en lui-même et des éléments de son environnement immédiat, et à le mener jusqu’au stade de première différenciation des cellules en lignes distinctes, qui aboutit ultimement aux grandes fonctions corporelles et organiques. La recherche en est arrivée à ce point concernant l’espèce humaine, mais est déjà allée bien plus loin dans les expérimentations sur des animaux : on aurait ainsi développé des modèles à partir de cellules souches de souris, que l’on aurait mené jusqu’à un stade où se distinguent déjà une activité cardiaque et cérébrale. Les scientifiques espèrent pouvoir franchir bientôt ces étapes dans la recherche sur les modèles d’embryon humains, afin de pouvoir observer et examiner leur organisation, comprendre les mécanismes de leur différenciation et de leur développement, tester leur réaction à diverses stimulations, jusqu’à en faire des cobayes pour certaines thérapies.

Des « embryons artificiels » ?

Au-delà des annonces de la presse – mais pourquoi ce silence des médias francophones[3] – peut-on cependant parler en vérité d’embryons artificiels ? Revenons sur la réalité des choses.

  1. Ces équipes parlent de « modèles d’embryon » ou d’« embryoïdes, » termes qui laissent croire, il est vrai, à une parenté proche avec l’embryon humain, jusqu’à induire que ces réalités pourraient un jour le devenir.
  2. Or la réalité est autre. Ces « modèles » – développés, on l’a dit – à partir de cellules souches embryonnaires, donc prélevées sur des embryons humains issus d’une fécondation in vitro – sont des modèles post-implantatoires : ils ont dépassé le stade auquel on pourrait envisager de les viabiliser en les implantant dans l’environnement utérin. Ils ne pourront donc jamais devenir des embryons : en fait ils en étaient (une partie), et en ont été arrachés pour être utilisés par la recherche.
  3. Ajoutons que ces « modèles » ne correspondent pas à la définition de l’embryon humain : être issu de la fusion de deux gamètes de l’espèce humaine. Ils sont le résultat de la culture et de la combinaison de cellules souches placées dans un environnement qui reproduit certaines conditions de développement.
  4. Ces ensembles de cellules ne reproduisent d’ailleurs pas toutes les caractéristiques de l’embryon humain, et ne sont pas susceptibles de devenir un jour un être humain réel.
  5. Enfin les tentatives de ré-implantation des « modèles » embryonnaires développés chez la souris et le singe à partir de cellules souches induites se sont toutes soldées par des échecs : dans certains cas le corps de mère porteuse a semblé montrer divers signes correspondant au début d’une grossesse, mais le développement intra-utérin ne s’est jamais poursuivi au-delà de quelques jours.

La science, la loi et la Loi

Avec le développement de ces « modèles » embryonnaires, on se trouve, comme dans celui de la gamétogénèse, dans un cas où la science semble aller bien plus vite que la loi, et ainsi lui dicter son rythme et ses exigences. En développant in vitro ces modèles embryonnaires, on contourne en effet l’interdiction légale de cultiver en laboratoire des embryons humains au-delà de deux semaines (inscrite en France dans la loi du 2 août 2021), période au-delà de laquelle l’organisation interne de l’être humain présente un début de différenciation. On contourne aussi l’interdiction de créer des embryons spécifiquement pour la recherche, puisque la dernière mise à jour des lois de bioéthique a précisé en France que cette disposition ne protégeait que les embryons humains conçus « par fusion de gamètes. »[4]

À travers ces recherches, les scientifiques cherchent finalement à imposer leur vision du progrès – une conception qui fait totalement abstraction de toute considération éthique ou philosophique – mettant l’humanité devant le fait accompli d’une croissante déshumanisation. En louvoyant entre les faibles barrières des lois humaines, dont les termes sans cesse changeants offrent à la vie une protection toujours plus illusoire, c’est bien avec la Loi divine que joue la science contemporaine. L’objectif est d’ailleurs assumé dans ces dernières études : en cherchant à percer le secret de la « black box » des premières semaines du développement utérin par une reproduction in vitro d’un « modèle embryonnaire » humain, on aspire à maîtriser chaque étape du processus qui mène à l’apparition de la vie, jusque dans ses moments les plus mystérieux, en le reconstruisant artificiellement.

Que sont ces êtres hybrides ou embryoïdes, à mi-chemin entre l’être humain et l’élément chimique ? Quel est leur statut moral, dans quelle mesure doivent-ils être protégés ? Des questions que bien peu ont anticipé mais qu’il est urgent de se poser, en des termes qui surplombent les seules préoccupations médicales. Il est urgent de faire appel à une réflexion philosophique et éthique, seule propre à guider les législateurs humains en la matière. L’Église, interprète du droit naturel et divin, devra peut-être aussi préciser bientôt son jugement en la matière, car les derniers documents traitant du sujet (l’Instruction Dignitas Personae de la Congrégation pour la doctrine de la foi en 2008) envisagaient seulement les balbutiements de la recherche sur les cellules souches, dont les enjeux ont aujourd’hui considérablement évolué.

Références

Références
1 The Guardian, 14 Juin 2023
2 Voir dans la revue Nature de Juin 2023 : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2023.06.15.545082v1.full.pdf
3 on relèvera toutefois les articles d’Hervé Morin pour Le Monde, qui semble faire partie des rares journalistes parisiens à suivre ces avancées, ou un article du Huffington Post le 8 septembre dernier, ainsi que les mises au point d’Alliance Vitaou l’interview de Blanche Streb dans l’Homme Nouveau n°1790 (pp. 10 et 11).
4 Loi n°2021-1017, article 23 : 

I.-L’article L. 2151-2 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après la première occurrence du mot : « embryon », sont insérés les mots : « humain par fusion de gamètes » ;
2° Le second alinéa est ainsi rédigé :
« La modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces est interdite. »

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