Pierre-Édouard Stérin, entrepreneur français de 50 ans, milliardaire connu pour ses investissements dans la restauration et la tech, de LaFourchette à Oh My Cream, en passant par Carmat, a été longuement interrogé dans Le Point. Extrait :
Vos aventures entrepreneuriales et philanthropiques visent le « bien » commun, une notion subjective. Quels sont vos véritables objectifs et ambitions ?
Mon objectif, comme tout chrétien, est de devenir saint. Je sais que cela demande des efforts. Je suis encore loin d’y parvenir. Cependant, cela me donne un cadre, me fixe des limites et me sert de moteur. Il y a quelques années, je me suis demandé si, après avoir gagné beaucoup d’argent, je devais arrêter de travailler pour jouer au golf toute la journée. Non. Suis-je appelé à continuer à gagner de l’argent pour gagner de l’argent ? Non plus. Ou suis-je appelé à gagner de l’argent pour faire le « bien » ? C’est le choix que j’ai fait.
Très concrètement, 80 % de mon temps est consacré au business, à travers ma structure d’investissement, Otium Capital. Je continue à investir et à créer des boîtes pour gagner de l’argent, parce que c’est ce que je sais faire de mieux. Les 20 % restants, je les consacre à faire le « bien », notamment avec le Fonds du bien commun, un établissement philanthropique que j’ai lancé en 2021. J’ai aussi fondé, plus récemment, Périclès, une structure politique et métapolitique.
Vous êtes suspecté, à travers Périclès, de vouloir influencer le débat public, en investissant vos moyens financiers et humains dans les médias, au service d’un parti politique, voire d’un candidat à la présidentielle. Est-ce le cas ?
Je suis un homme de droite, libéral au niveau économique, conservateur sur les sujets sociétaux. Je me situe au centre de la droite. Il me semble important de contribuer au développement de ce courant de pensée en France. J’ai donc vocation à financer, par le biais de Périclès, nombre d’initiatives entrepreneuriales permettant de rendre ces idées encore plus populaires, afin qu’un jour nous ayons des représentants politiques en position de dérouler un plan libéral-conservateur à la tête du pays.
Le cadre légal interdit à toute personne morale de financer une personnalité ou un parti politique. Périclès se concentre donc sur la création et le soutien à des initiatives citoyennes et des projets entrepreneuriaux, comme des think tanks ou des instituts de formation. Le reste n’est qu’une caricature de la part d’une presse d’extrême gauche radicale affiliée à LFI.
Et en dehors de cette structure Périclès ?
À côté de cela, je peux être amené à financer ponctuellement, comme tout citoyen français dans le cadre légal, des politiques au niveau national ou local. Ce sont des choix personnels. Je n’ai jamais financé ni Marine Le Pen ni Éric Zemmour. Mis à part sur le sujet de l’immigration, j’ai peu de convictions communes avec le Rassemblement national. Sur les plans économique et sociétal, nous sommes même très éloignés. Il est absurde de me suspecter de manoeuvrer pour que le RN arrive au pouvoir. Après, en toute franchise, à choisir entre le RN et la gauche ou l’extrême gauche, mon choix de vote est vite fait.
Comprenez-vous que le fait de financer la campagne de Marine Le Pen, d’Éric Zemmour ou d’un autre candidat de droite puisse choquer et être contesté ?
Que cela puisse interpeller, je le comprends tout à fait. En revanche, qu’on me conteste ce droit ou que l’on s’insurge, j’ai beaucoup plus de mal. Cet argent, je l’ai gagné. J’en fais ce qui me semble bon tant que cela reste dans un cadre légal, bien entendu. Si j’ai envie de financer différents candidats, différents courants de pensée ou certains combats – pour ou contre la tauromachie, par exemple -, c’est mon droit le plus absolu. Chacun est libre, en tout cas encore en France aujourd’hui, de faire ce qu’il veut de son argent.
On vous a déjà présenté comme un George Soros de droite…
C’est une source d’inspiration – ou plutôt d’anti-inspiration ! En réalité, je suis sûr que nous nous retrouverions sur plusieurs sujets, avec George Soros. Par exemple, sur l’accès à une éducation de qualité pour tous les Français, qui n’est pas une question de droite ou de gauche et sur laquelle nous devons tous être d’accord. Idem sur les sujets de lutte contre la pauvreté. En revanche, il y a, dans ce que finance Soros, des choses très éloignées de mes valeurs, comme sa stratégie woke ou encore esclavagiste, en souhaitant bannir les frontières et exploiter des populations étrangères en leur payant un salaire de misère.
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Vous n’êtes pas sans quelques contradictions. Comment peut-on être chrétien et se rêver multimilliardaire ? Se prétendre patriote et être exilé fiscal ?
J’ai quitté la France, à regret, pour mieux servir mon pays. Ma femme est originaire du sud-ouest de la France. Pour elle, Paris, c’est le Nord. Donc, la Belgique, c’est le pôle Nord. Pourtant, voilà dix ans que nous y vivons. Nous n’y sommes pas malheureux, mais ce n’est pas chez nous. Je suis en train d’élever mes enfants dans un pays qui n’est pas le leur. C’est dur, pour un patriote. Je le fais, parce que, en restant en France, on me « volait », sans rien faire de mon argent. Ce que j’économise en impôt, je le reverse à mon pays par la philanthropie.
Cette année 2024, par exemple, j’ai reversé 60 millions d’euros au Fonds du bien commun et ai gardé 300 000 euros avec lesquels je vis très confortablement. Je verse donc 200 fois plus que ce que j’utilise personnellement. Ce versement n’est possible que parce que je vis en Belgique. Cela me permet de garder la main sur les sujets que j’ai envie de subventionner. Et non pas laisser l’État financer des projets qui, pour la majeure partie d’entre eux, n’ont aucune efficacité.
Je rêverais que l’État français soit le meilleur outil pour servir mon pays. Qu’il finance de lui-même, et avec efficacité, l’éducation, la culture française, la sécurité… La « charité obligatoire » est une contradiction dans les termes, un non-sens. Le don véritable est la plus belle chose qui soit, n’en détruisons pas la possibilité avec un niveau d’imposition écrasant.
Pensez-vous qu’on puisse faire de la politique comme on fait du business ?
Ce serait idéal, mais personne ne le fait. Je pense que, lorsqu’on se présente à une élection et, surtout, dans l’exercice de ses fonctions, cela permettrait d’être beaucoup, beaucoup plus efficace qu’aujourd’hui au niveau national ou local. Le dernier budget à l’équilibre de la France remonte à 1974. Imaginez une entreprise perdant de l’argent chaque année depuis cinquante ans…
Cette situation aurait été impossible si la France avait été dirigée avec des objectifs précis, de meilleures équipes… Il suffit d’observer la situation économique, celle de la sécurité. Je ne parle pas de l’Éducation nationale, où tous les indicateurs montrent que, depuis trente ou quarante ans, la France prend énormément de retard par rapport à ses « concurrents », c’est-à-dire les autres pays européens ou les États-Unis. Une partie du problème, à mon sens, est qu’en grande majorité la politique n’attire plus que des profils médiocres. S’il existe quelques personnes brillantes, elles n’ont pas nécessairement le parcours qui leur permettrait de recruter une équipe imbattable nécessaire pour « faire le job », de manager, de décider, de trancher…