Le 12 novembre, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé une autorisation de recherche délivrée par l’Agence de la biomédecine (ABM) mettant en jeu plusieurs centaines d’embryons humains. Lucie Pacherie, juriste et responsable plaidoyer France à la Fondation Jérôme Lejeune, a été interrogé sur Gènéthique :
Le 12 novembre, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé une autorisation de recherche délivrée par l’Agence de la biomédecine. De quoi s’agissait-il ?
Le juge administratif a en effet donné raison à la fondation Jérôme Lejeune qui lui avait soumis la légalité d’une autorisation de recherche sur l’embryon humain en mars 2024. Le juge administratif a annulé cette autorisation considérant qu’elle ne respectait pas les conditions légales. Le protocole de recherche en cours est donc interrompu. Ce sont plus de 200 embryons humains qui échappent ainsi à la destruction.
Ce protocole de recherche, autorisé le 10 janvier 2024 par l’Agence de la biomédecine pour une durée de 4 ans, avait pour finalité l’étude du développement embryonnaire de J0 à J14. Il s’agissait de la première application de la réforme de la loi bioéthique de 2021 qui a repoussé les limites en autorisant la recherche sur l’embryon humain jusqu’à son 14ème jour de vie (contre son 7ème jour avant 2021). Selon l’autorisation, ce protocole de recherche s’inscrivait dans un projet d’amélioration des conditions de culture d’embryons humains dans le cadre de la PMA. L’objectif affiché était de comprendre les processus du développement péri-implantatoire de l’embryon humain jusqu’à 14 jours en réalisant une analyse bio-informatique afin de fournir une cartographie dynamique du transcriptome de l’embryon de J3 à J14. Pour ce faire, l’équipe de recherche expliquait qu’elle répertoriait les protéines de l’embryon par « spectométrie de masse », une technique qui nécessitait d’utiliser un nombre important d’embryons humains.
L’autorisation précisait que 100 embryons humains par an pendant 4 ans seraient utilisés, c’est-à-dire détruits, pour cette recherche, et que ces embryons humains issus de la procréation médicalement assistée avaient été « donnés » à la recherche parce qu’ils étaient porteurs d’anomalies génétiques diagnostiquées par DPI, qu’ils ne faisaient plus l’objet de « projet parental », ou encore qu’ils étaient considérés comme non transférables ou non conservables.
Pourquoi la Fondation Jérôme Lejeune avait-elle initié un recours contre cette recherche ?
A la lecture de l’autorisation de l’Agence de la biomédecine, la fondation Lejeune a tout de suite vu que le nombre d’embryons humains utilisés étaient anormalement élevé. Elle a aussi tout de suite vu que l’argumentation avancée pour justifier de la nécessité d’utiliser l’embryon humain n’était pas recevable. L’autorisation précisait par exemple que le modèle murin permettait « difficilement d’appréhender l’étude exhaustive du développement embryonnaire ». Or la « difficulté » n’est pas la même chose que l’impossibilité. La loi autorise la recherche sur l’embryon humain notamment quand « en l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à des embryons humains », pas quand c’est plus difficile, plus long ou plus coûteux de se passer d’eux… Et puis l’autorisation elle-même précisait que de précédents travaux avaient conclu que le modèle bovin « est plus proche de l’homme que le modèle murin ». Pourtant, aucune explication ne démontrait pourquoi il était impossible de mener la recherche sur le modèle bovin à la place de l’embryon humain.
C’est forte de la jurisprudence spécifique à la recherche sur l’embryon humain, qui a permis de préciser les conditions de « pertinence scientifique » ou encore d’absence d’alternative[3], que la fondation Lejeune a saisi le juge administratif pour lui soumettre la légalité de cette autorisation. Elle est le seul contre-pouvoir en la matière face à une Agence d’Etat qui ne remplit pas son rôle de régulateur et de gardien du peu de limites légales.
Sur quels fondements le Tribunal s’est-il appuyé pour annuler cette autorisation ? Est-ce une première ?
D’abord il faut souligner que le juge administratif a pris sa décision d’annulation contre l’avis du rapporteur public, ce qui n’est pas commun dans ces procédures. Ensuite, le juge administratif a prononcé deux motifs d’annulation de l’autorisation, ce qui est encore moins commun. Même si cette décision est un jugement de première instance, qui n’exclut donc pas le fait que l’ABM interjette appel, elle mérite d’être étudiée sur ces deux motifs.
Le juge administratif a en effet considéré d’une part que l’ABM n’a pas respecté le critère légal de subsidiarité, d’autre part que l’ABM n’a pas respecté le critère légal relatif à la pertinence scientifique.
Le premier motif signifie que le juge a considéré que l’ABM n’a pas vérifié, comme la loi le lui impose, « l’étendue du recours projeté par le protocole à l’embryon humain » et en cela a violé l’article L2151-5 3° CSP. En examinant les rapports d’expertise, le juge a vu qu’
« il ne comporte, […] aucune indication sur la possibilité de l’utilisation, notamment du point de vue de l’étendue, de l’embryon bovin, dont le développement au cours de la première semaine […] est plus proche de l’embryon humain ».
C’est la deuxième fois que le juge annule une autorisation de recherche sur l’embryon humain sur ce fondement. En juillet 2023 les juridictions administratives avaient tranché définitivement à l’annulation d’une autorisation délivrée par l’ABM pour ne pas avoir priorisé le modèle murin. Il y a là une transgression éthique et juridique gravissime.
Le deuxième motif signifie que le juge a considéré que l’ABM n’a pas vérifié la méthodologie du protocole de recherche litigieux, et en cela a violé l’article L2151-5 1° CSP. En effet
« il ressort […] des pièces du dossier et il n’est d’ailleurs pas contesté par l’Agence de la biomédecine que le dossier de demande d’autorisation […] comportait une ambigüité quant au nombre d’embryons utilisés dans le cadre du projet de recherche ».
La demande initiale visait 800 embryons, mais a été revue à la baisse ; le rapport d’expertise et le rapport d’instruction faisaient ensuite état tantôt de 200 embryons, tantôt de 400 embryons. Et la demande de complément d’information de l’ABM est intervenue après l’avis du conseil d’orientation qui fondait la décision d’autorisation… preuve qu’elle n’a pas fait grand cas de cette ambigüité.
Comment analysez-vous ce jugement qui arrive à la veille de la 4ème révision de la loi bioéthique ?
Cette décision montre d’abord que le Parlement a beau repousser les limites éthiques -les fameuses « lignes rouges »- de révision en révision des lois de bioéthique, elles ne sont toujours pas respectées. Autrement dit, quand la loi sort du champ éthique, plus aucune condition, limite, ne tient. Alors que la loi de 2021 ouvrait le champ pour travailler sur l’embryon humain jusqu’à 14 jours de vie, l’ABM n’a pas su faire respecter les quelques conditions légales.
Cette décision montre ensuite combien la conscience de l’embryon humain est altérée. Il est troublant de voir que 400 embryons humains détruits pour la recherche scientifique ne provoquent aucune réaction quand le lobby de la protection animale, lui, mobilise les Français. Pour ne prendre que le dernier exemple en date : une récente dépêche AFP relative à l’élevage de singes pour la recherche scientifique souligne que 74% des Français se disent défavorables à l’expérimentation animale (sondage IPSOS 2023). L’Europe a aussi affirmé sa volonté d’abandonner progressivement l’expérimentation animale. Qu’en est-il de l’embryon humain ? Il est atterrant de voir que ceux qui détruisent l’embryon humain ont moins de compte à rendre (y compris médiatiquement) que ceux qui travaillent sur des animaux.
La 4ème révision de la loi de bioéthique débute en janvier prochain avec les Etats généraux. S’en suivront les travaux des sociétés savantes, l’avis du CCNE, les travaux parlementaires. Deux ans durant lesquels les citoyens avertis entendront parler de blastoïdes, de gamétogenèse, d’embryons à trois ADN (don de mitochondries), de ROPA, de DPI-A etc. Pour la plupart de ces sujets l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires vont être jetées en pâture, tels de vulgaires matériaux. Pour que la loi de bioéthique ne se fasse pas sans les Français la Fondation Lejeune lance un documentaire rétrospectif sur 30 ans de lois bioéthiques, et organisera dans chaque région des soirées ciné-conférence pour réfléchir aux enjeux de la 4ème révision de loi bioéthique et donner les moyens de participer au débat.
