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Il y a quelques années, Romain Guérin a publié son roman « Le journal d’Anne-France », lequel a été qualifié de chef-d’œuvre par Jean Raspail en personne. Voilà qui vous pose un décor…
Il revient aujourd’hui avec « Le Grand soulèvement », que je viens de lire deux fois tant il m’a été difficile, à l’issue de la première lecture, de me dire qu’elle était terminée. J’en voulais encore, je voulais rester dans ce livre et m’offrir encore la compagnie de ses personnages attachants, me maintenir dans le rythme de leurs aventures et goûter encore au charme des décors, des dialogues et des idées géniales dont l’intrigue regorge jusqu’à l’explosion finale qui vous fiche des étoiles dans les yeux et vous ébouillante le sang dans les veines.
Si la littérature n’était qu’un objet de divertissement, si elle ne prêtait à rien d’autre qu’au seul plaisir de passer un excellent moment, ce roman remplirait amplement ces critères grâce à son intrigue ingénieuse, ses choix narratifs exigeants et brillamment maitrisés et grâce à tout ce qui fait du « Grand soulèvement » une œuvre originale, ambitieuse, généreuse et inspirante. Mais voilà, la littérature n’est pas que cela : elle est aussi ce qui nous donne à réfléchir et à méditer. Là encore, « Le Grand soulèvement » répond présent.
L’histoire commence au milieu des années 70, en France, quelque part dans un coin de la Bretagne d’où va partir à la hâte, en direction du Vatican, un jeune prêtre paniqué. La République vient de légaliser l’avortement et le jeune religieux plein de bonne volonté mais ne sachant comment absorber seul cette nouveauté qui menace la vie, répond à son premier mouvement qui est de s’en ouvrir directement au pape. Sur place, les surprises s’enchaînent et ce qu’il entend dire par le pape en qui il plaçait tant d’espoir le désole et ruine sa foi dans l’Église. Au lieu d’une solution à ses tourments, il trouve les premiers enchevêtrements d’un labyrinthe qui mettra sur sa route le sombre, énigmatique et effrayant Vidar, prince de Mortemine, ombre humaine qui paraît être tout à la fois un proche du pape et son pire ennemi. Que se passe-t-il dans les coulisses du Vatican et pourquoi tout ce qui fait irruption sur la route du jeune abbé Korrigan paraît obéir à un schéma organisé, préparé, sur lequel pourtant il n’a aucune prise ?
Les événements s’enchaînent sans que l’on sache s’ils sont poussés uniquement par le hasard ou si une force supérieure en commande les étapes. Le lecteur est laissé dans cette ambiguïté permanente qui l’empêche de savoir s’il tient dans ses mains un livre politique ou un livre de pure science-fiction. L’auteur, au sommet de son art, joue continuellement à mêler les registres et s’assure ainsi de garder son lecteur dans une attente qui rend impossible l’interruption de sa lecture. Pour avoir lu les précédentes œuvres de Romain Guérin, je n’ai pas été étonné de le savoir capable d’une telle prouesse narrative, pour autant je dois reconnaître que sa dernière livraison place la barre très haut et que pour se maintenir au niveau auquel il a lui-même placé son œuvre, il va devoir se surpasser. Ce qu’il fera, à n’en pas douter.
Sur le charme proprement stylistique du roman : nous sommes plongés au cœur d’une intrigue dont les différentes facettes semblent à la fois se rejoindre continuellement tout en s’excluant dans le même temps ; les lecteurs de Barjavel apprécieront de se retrouver plongés dans ce type d’univers stimulant où les apports de chaque nouveau chapitre nous imposent de reconsidérer complètement les certitudes que l’on croyait pouvoir dégager au chapitre précédent. J’ai dit Barjavel ? Pour les raisons évoquées à l’instant je dis aussi : Arsène Lupin ! Le personnage principal, bientôt rejoint par un autre, devant des faits qui mettent leur curiosité au défi, se lancent dans une enquête aventureuse qui rappelle effectivement les méandres lupiniennes. Lancés sur les grands chemins, ils enchaînent les rencontres qui toutes prennent leur sens au moment du grand dévoilement final. Quant à la dimension religieuse et même mystique qui invite le mystère à la fête, comment ne pas y sentir l’encre du Jean Raspail de « L’anneau du pêcheur » ?
Jonathan Sturel