Lors de sa rencontre avec le gouvernement libanais, le corps diplomatique, les chefs religieux et le monde de la culture, Benoît XVI a dit :
"Un pays est avant tout riche des personnes qui vivent en son sein. De chacune d’elles
et de toutes ensemble dépend son avenir et sa capacité à s’engager pour la paix.
Un tel engagement ne sera possible que dans une société unie. Cependant, l’unité
n’est pas l’uniformité. La cohésion de la société est assurée par le respect
constant de la dignité de chaque personne et la participation responsable de
chacune selon ses capacités en engageant ce qu’il y a de meilleur en elle. Afin
d’assurer le dynamisme nécessaire pour construire et consolider la paix, il faut
inlassablement revenir aux fondements de l’être humain. La dignité de l’homme
est inséparable du caractère sacré de la vie donnée par le Créateur. Dans le
dessein de Dieu, chaque personne est unique et irremplaçable. Elle vient au
monde dans une famille, qui est son premier lieu d’humanisation, et surtout la
première éducatrice à la paix. Pour construire la paix, notre attention doit
donc se porter vers la famille afin de faciliter sa tâche, pour ainsi la
soutenir et donc promouvoir partout une culture de la vie. L’efficacité de
l’engagement pour la paix dépend de la conception que le monde peut avoir de la
vie humaine. Si nous voulons la paix, défendons la vie ! Cette logique
disqualifie non seulement la guerre et les actes terroristes, mais aussi toute
atteinte à la vie de l’être humain, créature voulue par Dieu. L’indifférence ou
la négation de ce qui constitue la véritable nature de l’homme empêchent le
respect de cette grammaire qu’est la loi naturelle inscrite dans le
cœur humain (cf.
Message pour la Journée
mondiale de la paix 2007, n. 3). La grandeur et la raison d’être de
toute personne ne se trouvent qu’en Dieu. Ainsi, la reconnaissance
inconditionnelle de la dignité de tout être humain, de chacun de nous, et celle
du caractère sacré de la vie impliquent la responsabilité de tous devant Dieu.
Nous devons donc unir nos efforts pour développer une saine anthropologie qui
intègre l’unité de la personne. Sans elle, il n’est pas possible de construire
la paix véritable.Pour être plus évidentes dans les pays qui connaissent des conflits armés – ces
guerres pleines de vanités et d’horreurs -, les atteintes à l’intégrité et à la
vie des personnes existent aussi dans d’autres pays. Le chômage, la pauvreté, la
corruption, les diverses addictions, l’exploitation, les trafics de toutes
sortes et le terrorisme entraînent, avec la souffrance inacceptable de ceux qui
en sont victimes, un affaiblissement du potentiel humain. La logique économique
et financière veut sans cesse nous imposer son joug et faire primer l’avoir sur
l’être ! Mais la perte de chaque vie humaine est une perte pour l’humanité
entière. Celle-ci est une grande famille dont nous sommes tous responsables.
Certaines idéologies, en remettant en cause de façon directe ou indirecte, ou
même légale, la valeur inaliénable de toute personne et le fondement naturel de
la famille, sapent les bases de la société. Nous devons être conscients de ces
atteintes à l’édification et à l’harmonie du vivre ensemble. Seule une
solidarité effective constitue l’antidote à tout cela. Solidarité pour rejeter
ce qui fait obstacle au respect de tout être humain, solidarité pour soutenir
les politiques et les initiatives qui œuvrent en vue d’unir les peuples de façon
honnête et juste. Il est beau de voir les actions de collaboration et de vrai
dialogue qui construisent une nouvelle manière de vivre ensemble. Une meilleure
qualité de vie et de développement intégral n’est possible que dans le partage
des richesses et des compétences, en respectant l’identité de chacun. Mais un
tel mode de vie convivial, serein et dynamique ne peut exister sans la confiance
en l’autre, quel qu’il soit. Aujourd’hui, les différences culturelles, sociales,
religieuses, doivent aboutir à vivre un nouveau type de fraternité, où justement
ce qui unit est le sens commun de la grandeur de toute personne, et le don qu’elle
est à elle-même, aux autres et à l’humanité. Là se trouve la voie de la paix !
Là est l’engagement qui nous est demandé ! Là est l’orientation qui doit
présider aux choix politiques et économiques, à chaque niveau et à l’échelle
planétaire !
Pour ouvrir aux générations de demain un avenir de paix, la première tâche est
donc celle d’éduquer à la paix pour construire une culture de paix. L’éducation,
dans la famille ou à l’école, doit être avant tout l’éducation aux valeurs
spirituelles qui donnent à la transmission du savoir et des traditions d’une
culture, leur sens et leur force. L’esprit humain a le goût inné du beau, du
bien et du vrai. C’est le sceau du divin, la marque de Dieu en lui ! De cette
aspiration universelle découle une conception morale ferme et juste, qui place
toujours la personne au centre. Mais c’est seulement librement que l’homme peut
se tourner vers le bien, car « la dignité de l’homme exige de lui qu’il agisse
selon un choix conscient et libre, personnellement, c’est-à-dire mû et déterminé
de l’intérieur, et non sous l’effet de poussées intérieures aveugles ou d’une
contrainte purement extérieure » (Gaudium et
spes, 17). La tâche de l’éducation est d’accompagner la maturation de la
capacité à faire des choix libres et justes, qui peuvent aller à contre-courant
des opinions répandues, des modes, des idéologies politiques et religieuses. L’établissement
d’une culture de paix est à ce prix ! Il faut évidemment bannir la violence
verbale ou physique. Elle est toujours une atteinte à la dignité humaine, celle
de l’auteur comme celle de la victime. Par ailleurs, en valorisant les œuvres
pacifiques et leur rayonnement pour le bien commun, on crée aussi l’intérêt pour
la paix. Comme en témoigne l’histoire, de tels gestes de paix ont un rôle
considérable dans la vie sociale, nationale et internationale. L’éducation à la
paix formera ainsi des hommes et des femmes généreux et droits, attentifs à tous,
et particulièrement aux personnes les plus faibles. Pensées de paix, paroles de
paix et gestes de paix créent une atmosphère de respect, d’honnêteté et de
cordialité, où les fautes et les offenses peuvent être reconnues en vérité pour
avancer ensemble vers la réconciliation. Que les hommes d’État et les
responsables religieux y réfléchissent !
Nous devons être bien conscients que le mal n’est pas une force anonyme qui agit
dans le monde de façon impersonnelle ou déterministe. Le mal, le démon, passe
par la liberté humaine, par l’usage de notre liberté. Il cherche un allié, l’homme.
Le mal a besoin de lui pour se déployer. C’est ainsi qu’ayant offensé le 1er
commandement, l’amour de Dieu, il en vient à pervertir le second, l’amour du
prochain. Avec lui, l’amour du prochain disparaît au profit du mensonge et de l’envie,
de la haine et de la mort. Mais il est possible de ne pas se laisser vaincre par
le mal et d’être vainqueur du mal par le bien (cf. Rm 12, 21). C’est à
cette conversion du cœur que nous sommes appelés. Sans elle, les ‘libérations’
humaines si désirées déçoivent car elles se meuvent dans l’espace réduit concédé
par l’étroitesse d’esprit de l’homme, sa dureté, ses intolérances, ses
favoritismes, ses désirs de revanche et ses pulsions de mort. La transformation
en profondeur de l’esprit et du cœur est nécessaire pour retrouver une certaine
clairvoyance et une certaine impartialité, le sens profond de la justice et
celui du bien commun. Un regard nouveau et plus libre rendra capable d’analyser
et de remettre en cause des systèmes humains qui conduisent à des impasses, afin
d’avancer en tenant compte du passé pour ne plus le répéter avec ses effets
dévastateurs. Cette conversion demandée est exaltante car elle ouvre des
possibilités en faisant appel aux ressources innombrables qui habitent le cœur
de tant d’hommes et de femmes désireux de vivre en paix et prêts à s’engager
pour la paix. Or elle est particulièrement exigeante : il s’agit de dire non à
la vengeance, de reconnaître ses torts, d’accepter les excuses sans les
rechercher, et enfin de pardonner. Car seul le pardon donné et reçu pose les
fondements durables de la réconciliation et de la paix pour tous (cf. Rm
12, 16b. 18).
Alors seulement peut croître la bonne entente entre les cultures et les
religions, la considération sans condescendance des unes pour les autres et le
respect des droits de chacune. Au Liban, la Chrétienté et l’Islam habitent le
même espace depuis des siècles. Il n’est pas rare de voir dans la même famille
les deux religions. Si dans une même famille cela est possible, pourquoi cela ne
le serait-il pas au niveau de l’ensemble de la société ? La spécificité du
Moyen-Orient se trouve dans le mélange séculaire de composantes diverses. Certes,
elles se sont combattues, hélas aussi ! Une société plurielle n’existe qu’à
cause du respect réciproque, du désir de connaître l’autre et du dialogue
continu. Ce dialogue entre les hommes n’est possible que dans la conscience qu’il
existe des valeurs communes à toutes les grandes cultures, parce qu’elles sont
enracinées dans la nature de la personne humaine. Ces valeurs qui sont comme un
substrat, expriment les traits authentiques et caractéristiques de l’humanité.
Elles appartiennent aux droits de tout être humain. Dans l’affirmation de leur
existence, les différentes religions apportent une contribution décisive. N’oublions
pas que la liberté religieuse est le droit fondamental dont dépendent beaucoup
d’autres. Professer et vivre librement sa religion sans mettre en danger sa vie
et sa liberté doit être possible à quiconque. La perte ou l’affaiblissement de
cette liberté prive la personne du droit sacré à une vie intègre sur le plan
spirituel. La soi-disant tolérance n’élimine pas les discriminations, parfois
elle les conforte même. Et sans l’ouverture au transcendant qui permet de
trouver des réponses aux interrogations de son cœur sur le sens de la vie et sur
la manière de vivre de façon morale, l’homme devient incapable d’agir selon la
justice et de s’engager pour la paix. La liberté religieuse a une dimension
sociale et politique indispensable à la paix ! Elle promeut une coexistence et
une vie harmonieuses par l’engagement commun au service de nobles causes et par
la recherche de la vérité qui ne s’impose pas par la violence mais par « la
force de la vérité elle-même » (Dignitatis
humanae, 1), cette Vérité qui est en Dieu. Car la croyance vécue conduit
invariablement à l’amour. La croyance authentique ne peut pas conduire à la mort.
L’artisan de paix est humble et juste. Les croyants ont donc aujourd’hui un rôle
essentiel, celui de témoigner de la paix qui vient de Dieu et qui est un don
fait à tous dans la vie personnelle, familiale, sociale, politique et économique
(cf. Mt 5, 9 ; He 12, 14). L’inaction des hommes de bien ne
doit pas permettre au mal de triompher. Il est pire encore de ne rien faire.
Ces quelques réflexions sur la paix, la société, la dignité de la personne, sur
les valeurs de la famille et de la vie, sur le dialogue et la solidarité ne
peuvent demeurer de simples idéaux énoncés. Ils peuvent et doivent être vécus.
Nous sommes au Liban et c’est ici qu’ils doivent être vécus. Le Liban est appelé,
maintenant plus que jamais, à être un exemple. Politiques, diplomates, religieux,
hommes et femmes du monde de la culture, je vous invite donc à témoigner avec
courage, à temps et à contretemps autour de vous, que Dieu veut la paix, que
Dieu nous confie la paix. سَلامي أُعطيكُم [« Je vous donne ma paix »]
(Jn 14, 27) nous dit le Christ ! Que Dieu vous bénisse !"