Le débat concernant le projet de loi relatif à la bioéthique s’est tenu en première lecture à l’Assemblée nationale à partir du 24 septembre pour s’achever par son adoption le 15 octobre par 359 voix contre 114.
Une série de présentations issues de la lecture de toutes les séances consacrées à son examen vous est proposée avec comme objectifs d’une part de faire ressortir une ambiance parlementaire, d’autre part de mieux comprendre quelques enjeux, en particulier associés à la PMA sans père.
Vous sont successivement proposés ;
- Une introduction
- Le projet parental, ou l’enfant comme produit
- Le mensonge à tous les étages
- La foire aux incohérences
- Quand les mots n’ont plus de sens
- Respirons : un peu d’humain
- L’embryon, un « amas de cellules » ?
- Elargissement du DPI ou non ?
- Quand la GPA s’invite par la fenêtre
Le sujet de l’élargissement du DPI (diagnostic préimplantatoire de l’embryon) est lancé par plusieurs amendements, soutenus quand même par quatre des cinq rapporteurs, avec en particulier la demande de ce qui est appelée une recherche d’aneuploïdie, c’est-à-dire la recherche de chromosomes absents ou surnuméraires (cas de la trisomie 21). Il s’agira alors clairement d’un tri génétique des embryons avant implantation.
On se rappelle l’injonction très violente de M.Philippe Vigier lors du vote sur l’ensemble du projet :
« Nous devons nous laisser guider par un seul impératif : le droit de l’enfant doit toujours l’emporter sur le désir d’enfant, tandis que l’amour doit rester le maître mot au sein de chaque famille, aussi différentes soient-elles. Mais nous avons aussi des regrets… regrets sur le diagnostic préimplantatoire, que nous aurions pu faire avancer. Il faut traquer, je dis bien « traquer », les embryons porteurs d’anomalies chromosomiques qui engendrent toujours plus de fausses couches, plus d’interruptions médicales de grossesse et plus de souffrance pour les femmes ».
En débat, la demande a été présentée par M.Jean-François Eliaou, rapporteur :
« Dans les exposés sommaires de ces amendements, il est proposé d’élargir le DPI, pour la recherche de mutations autorisées par l’article L. 2131-4 du code de la santé publique, à la numération des autosomes, c’est-à-dire des chromosomes non sexuels. Les professionnels de tous bords, qu’ils soient ou non favorables à l’ouverture et à la facilitation du DPI-A, s’accordent à dire que les anomalies chromosomiques augmentent avec l’âge des patientes. Or dans leur pratique quotidienne, les professionnels voient des femmes jeunes qui sollicitent un diagnostic préimplantatoire pour une raison génétique, par exemple la mucoviscidose ».
Le débat a été de bonne tenue, avec en particulier un ministre de la Santé particulièrement ferme sur ses positions.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mesdames et messieurs les députés, c’est certainement la question éthique du projet de loi la plus difficile à trancher – même s’il y en eut d’autres qui furent compliquées. À l’échelon individuel, je pense que l’argumentaire de M. Berta et des auteurs des autres amendements en discussion commune est tout à fait valable. Des couples qui ont un enfant avec une maladie génétique grave et qui ont de ce fait accès à un diagnostic préimplantatoire pour éviter d’implanter un embryon malade courent un risque non nul que, lors de la technique de fécondation in vitro, des anomalies chromosomiques touchent cet embryon, aboutissant soit à des fausses couches précoces, soit à des trisomies 13, 18 ou 21 – qui sont, quant à elles, viables.
La question qui nous est posée est la suivante : en raison de la souffrance liée à ces parcours individuels, souhaitons-nous autoriser la technique de la numération des autosomes ? Là, de toute évidence, tous les médecins sont favorables à l’emploi de la technique – et j’entends leurs arguments : ils suivent ces patientes, ils veulent faire au mieux pour elles, ils sont face à des couples qui sont engagés dans une démarche longue et difficile de fécondation in vitro et qui ont déjà un enfant malade ; ils veulent leur éviter soit une fausse couche, soit un autre enfant avec une maladie de type trisomie.
La question n’est pas de savoir si les médecins ou ces familles sont légitimes à poser cette question : ils le sont, c’est évident. La question est de savoir quelle garantie nous avons, si nous passons ce cap, que l’on n’ira pas au-delà. C’est la seule question que doit se poser le législateur, s’agissant d’une loi de bioéthique.
On propose à travers ces amendements que les embryons soumis à une recherche de maladies génétiques fassent en sus l’objet d’une numération des autosomes et d’une recherche d’anomalies chromosomiques.
D’abord, comme l’a souligné le rapporteur, il peut y avoir des faux positifs et des faux négatifs, c’est-à-dire que les cellules étudiées peuvent paraître saines alors que les cellules restantes sont malades. Il s’agit donc d’une fausse sécurité.
Surtout, cela reviendrait, pour toutes les trisomies et surtout pour la trisomie 21, à un diagnostic prénatal préimplantatoire. Aujourd’hui, monsieur Berta, le DPNI ne concerne que la trisomie 21 ; il n’est pas validé pour les autres trisomies. Il se fait en fonction du niveau de risque de la mère, lequel est évalué par une prise de sang : il n’est donc pas proposé à toutes les femmes. C’est en fonction d’une probabilité. Si la prise de sang est proposée à toutes les femmes, le DPNI, lui, dépend du niveau de risque et ne concerne que la trisomie 21. Par rapport au dépistage prénatal actuel, on chercherait donc de nouvelles choses ; surtout, le diagnostic serait préimplantatoire.
Comment faire en sorte que cette technique ne soit pas proposée à tous les couples en démarche de fécondation in vitro ? On passerait dans ce cas d’une moyenne de 250 couples par an qui font un DPI à 150 000 PMA. Or si l’on autorisait cette technique dans le cadre d’une recherche de maladies génétiques au motif que cela permettrait d’éviter des fausses couches, l’étape suivante – et c’est déjà la demande des professionnels du secteur – serait de faire une recherche d’aneuploïdie pour toutes les fécondations in vitro, indépendamment de l’existence d’une maladie génétique antérieure dans le couple concerné, et cela pour éviter les fausses couches à répétition. Or la recherche d’aneuploïdie donne forcément des informations sur les trisomies. Cela reviendrait donc à disposer d’une information relative aux trisomies pour tous les couples engagés dans une telle démarche ; on serait obligé de leur donner l’information et de leur dire d’éviter l’implantation d’un embryon porteur d’une trisomie. C’est ce glissement qui me pose problème.
Comment imaginer que nous n’allons pas automatiquement aboutir à ce que, dans le cadre d’une PMA, toutes les fécondations in vitro feront l’objet d’une recherche d’aneuploïdie et seront « indemnes » de trisomie ? On aboutit ainsi au mythe de l’enfant « sain ». Reprenons en effet le cas du couple qui a un enfant avec une maladie génétique. On va d’abord lui dire : on va vous éviter les fausses couches à répétition et un enfant atteint de trisomie parce qu’on ne veut pas pour vous de double peine – pardonnez-moi si j’emploie cette expression qui risque de choquer tous ceux qui, sur ces bancs, accompagnent ou ont dans leur famille un enfant atteint de trisomie ; mais, en réalité, si l’on veut leur éviter la double peine pour ce qui est de la trisomie, on ne leur promet pas pour autant qu’ils auront un enfant indemne de maladies génétiques. On trierait l’embryon sur le seul critère de la maladie génétique dont est atteint le premier enfant malade et sur celui de la trisomie. L’étape suivante, le glissement naturel, c’est d’aller rechercher d’autres maladies génétiques fréquentes. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Si l’objectif est d’éviter que ces couples n’aient un deuxième enfant malade, pourquoi se contenter de diagnostiquer la trisomie 13, 18 ou 21, et pas toute maladie génétique ?
Tout à fait !
Si je comprends donc la demande des médecins, je me demande si nous serions capables de résister longtemps à un glissement vers la recherche d’aneuploïdie pour toutes les fécondations in vitro et à l’extension de l’usage de la technique à la recherche d’anomalies ou de mutations relatives à d’autres maladies, parce qu’il est très facile de rechercher des maladies génétiques sur l’ADN. Voilà la question qui nous est posée, voilà la tension éthique qui, à mon avis, est mise en jeu par les amendements proposés.
Enfin, je voudrais dire que le fait de passer par une expérimentation, comme cela est proposé, n’a pas de sens. Expérimenter, cela veut dire que l’on pose une question et que l’on attend un premier résultat pour décider du déploiement d’un dispositif. Or il n’y a là aucune question à poser. Nous maîtrisons la technique. Nous savons exactement ce qu’elle donne. Dire que l’on va passer par une expérimentation n’est qu’une façon de contourner les choses, d’obtenir une dérogation pour utiliser une technique aujourd’hui interdite.
Exactement !
En vérité, on n’attend rien de l’expérimentation que l’on ne sait déjà. On sait le faire, on connaît le résultat. La seule question qui se pose est : souhaitons-nous étendre l’usage de cette technique ou non ? N’ayant pas la certitude que nous ne glisserons pas vers autre chose, mon avis est défavorable. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM, UDI-Agir et LR.)
Quant au fond du débat, une fois n’est pas coutume, je soutiendrai la position de Mme la ministre et de M. le rapporteur. Vous avez évoqué des risques d’erreurs : on peut retenir cet argument, mais franchement, il ne me semble pas être le plus important. Je crois quant à moi qu’il existe surtout un risque d’engrenage vers un tri. Utilisons là encore les bons mots – que l’on ait au moins le courage de les employer ce soir : ce que vous dénoncez, madame la ministre, c’est tout simplement un risque d’eugénisme ! (Exclamations sur les bancs du groupe MODEM.)
Je voudrais remercier Mme la ministre de son raisonnement extrêmement précis, plein de sagesse, et qui reflète certainement l’opinion de beaucoup d’entre nous. Il est évident que si l’on suit une logique purement scientifique, les arguments présentés par les promoteurs de ces amendements sont imparables, puisqu’il s’agit d’éviter des risques supplémentaires à des personnes engagées dans un processus de fécondation in vitro long, compliqué et non sans péril ; ce diagnostic permettrait d’éviter certaines fausses couches dans certaines conditions, et de détecter des maladies génétiques très graves. Jusque-là, tout le monde pourrait considérer ce geste comme quasiment thérapeutique.
Seulement, les autres arguments font immédiatement pressentir la dérive. Il n’y a pas que le film Le Huitième Jour pour émouvoir, il y a aussi ces milliers d’enfants vivant dans leur famille, et le combat de leurs parents – car élever un enfant atteint de trisomie, c’est un combat. Notre société se veut inclusive ; nous ne pouvons pas à la fois examiner des projets ou propositions de loi visant à favoriser l’inclusion de ces enfants, et dire à certaines familles qu’elles pourraient avoir la possibilité, en recourant au DPI-A, de limiter le risque d’avoir un enfant atteint de trisomie. C’est incohérent sur le plan philosophique, sur le plan de l’humanisme que nous promouvons tous.
Viennent ensuite les arguments qui font peur, bien que je ne juge personne pour les avoir utilisés : les arguments économiques. Il me semble extrêmement dangereux de penser à ce procédé médical en termes d’économies sur les fausses couches à répétition et autres risques. Sans doute sommes-nous à l’une des étapes de ce projet de loi où la notion d’éthique prend le plus d’importance. L’éthique commande de dire, à un moment donné, que nous ne pouvons utiliser toutes les techniques médicales ou thérapeutiques à notre disposition pour essayer de traiter des problèmes que rencontre la société. Je ne vais pas me faire que des amis dans cet hémicycle, mais cette question est trop grave pour la laisser aux seuls scientifiques parmi nous.
Ces deux sous-amendements clarifient le débat. J’ai entendu M. Touraine évoquer les fausses couches. En réalité, si nous disposions d’une technique, recherche d’aneuploïdies ou autre, nous permettant simplement d’améliorer la fécondation in vitro afin d’éviter à des femmes des fausses couches, et si cette technique ne nous donnait que cette information, il n’y aurait pas de problème éthique et donc pas de débat : il s’agirait simplement d’améliorer la technique de la fécondation in vitro. Nous y serions tous favorables, de même que nous sommes tous favorables à regarder la forme des embryons pour voir s’il n’y a pas d’effraction. Il s’agirait simplement d’une technique supplémentaire permettant d’éviter aux femmes des réimplantations inutiles. Le problème est que la technique qui nous donne cette information-là nous donne en même temps une autre information.
Exactement !
Il s’agit des trisomies. C’est là que se pose le problème éthique. La solution que proposent vos sous-amendements, c’est qu’on ne regarde pas ce qu’on voit ! Le problème, c’est qu’il n’y a pas un médecin, aujourd’hui, qui sache ne pas regarder ce qu’il voit. C’est tellement vrai que l’article 10 du texte autorise un médecin, lorsqu’il découvre une anomalie génétique incidente, à le dire à son patient. Car les médecins ne supportent pas de voir quelque chose et de ne pas pouvoir en parler !
La fécondation in vitro est une technique en constante amélioration, et je rêve que le programme hospitalier de recherche clinique sur les anomalies chromosomiques puisse nous aider à avancer. Peut-être, dans trois ou quatre ans, pourrons-nous disposer de meilleures techniques pour favoriser l’implantation et éviter le risque de fausse couche. Toutefois, aujourd’hui, nous ne pouvons pas recourir à une technique qui nous permettrait simplement d’améliorer la fécondation in vitro sans nous donner d’autres informations sur des embryons viables atteints de pathologies que nous connaissons. Pour cette raison, je suis profondément défavorable à tous les amendements en discussion ainsi qu’aux sous-amendements, parce que, je le répète, nous ne pouvons pas demander à un médecin de faire comme s’il ne voyait pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM ainsi que quelques bancs du groupe LR. – M. Dominique Potier applaudit également.)
Tous les amendements concernés sont rejetés. L’extension du DPI n’est pas adoptée.