Le débat concernant le projet de loi relatif à la bioéthique s’est tenu en première lecture à l’Assemblée nationale à partir du 24 septembre pour s’achever par son adoption le 15 octobre par 359 voix contre 114.
Une série de présentations issues de la lecture de toutes les séances consacrées à son examen vous est proposée avec comme objectifs d’une part de faire ressortir une ambiance parlementaire, d’autre part de mieux comprendre quelques enjeux, en particulier associés à la PMA sans père.
Vous sont successivement proposés ;
- Une introduction
- Le projet parental, ou l’enfant comme produit
- Le mensonge à tous les étages
- La foire aux incohérences
- Quand les mots n’ont plus de sens
- Respirons : un peu d’humain
- L’embryon, un « amas de cellules » ?
- Elargissement du DPI ou non ?
- Quand la GPA s’invite par la fenêtre
Trois prises de parole ont apporté un peu d’humain dans ce tableau progressiste.
Celle attendue de Mme Agnès Thill :
« Nous y voilà. La France va inscrire dans sa loi le père facultatif et permettre la venue au monde d’enfants sans père. Mais qui êtes-vous, pour vous permettre une telle mutilation ?
Est-ce à dire qu’un père est inutile ? Assumez de dire qu’un père n’est pas nécessaire ! Assumez de dire que vous ne devez rien à vos pères ! C’est précisément de cette société-là que je ne veux pas, celle qui dit qu’elle se fait toute seule, celle qui dit que l’autre n’est pas nécessaire.
Pour moi, voyez-vous, il n’y a pas plus grand que l’homme, et vous le piétinez, vous le réduisez à rien, à ses gamètes, à 1/60 000e de millimètre ! « Un donneur », vous appelez ça. « Ça », c’est un homme, madame la ministre, pas un donneur ! C’est celui qui porte, qui élève et qui soulève des montagnes pour son petit, celui qui l’élève jusqu’à lui, qui le soigne et l’encourage, celui qui le rassure et le grandit, qui l’écoute et l’accompagne ; mais n’en avez-vous donc jamais eu pour que vous ne sachiez pas à quel point on ne se passe pas d’un père ?
Votre projet de loi permet de s’offrir un être humain. On ne s’offre pas un être humain, madame la ministre. Un être humain n’est ni un objet, ni un projet, ni une promesse de campagne. Cette liberté si fièrement revendiquée n’est qu’une liberté de consommateurs. Des Français accèdent à un hard-discount reproductif, qu’il faudra reconnaître en France.Aider l’autre, voyez-vous – mais vous le savez –, c’est l’aider à accepter ses limites et à vivre avec elles. Ce n’est pas dépasser le possible humain. Produire des enfants sans père est une atteinte aux droits de l’enfant. Donner aux enfants des parents toujours plus vieux n’est pas un progrès social. Donner une mère seule pour famille n’est pas un progrès social. Vous savez tout cela, mais vous cédez pourtant à une société gouvernée par ses seuls désirs, par le souhait de ne connaître aucune frustration et de conquérir des droits à l’infini. Comme si la liberté se trouvait là – quel leurre ! »
Celle plus inattendue de Joachim Son-Forget, qui est médecin :
« Certains collègues ayant évoqué la présomption de paternité, d’autres la vraisemblance biologique, peut-être mon expérience personnelle pourrait-elle vous donner nourriture à penser. En tant qu’enfant adopté ayant grandi en Haute-Marne avec des parents qui avaient l’air bien français, je peux dire combien il est troublant de ne pas connaître sa lignée biologique et de ne pas partager le phénotype de ses parents. Qu’il soit adopté ou issu de PMA, un enfant se pose des questions lorsque la vraisemblance biologique est faible – si, par exemple, ses deux parents sont du même sexe ou n’ont pas la même couleur de peau que lui. Ces questions sont fondamentales. C’est pourquoi j’ai apprécié le discours tenu hier par Marine Le Pen, qui évoquait l’intérêt premier de l’enfant.
C’est là une chose que j’ai personnellement vécue, en posant des questions existentielles. Les faits sont tenaces ! Je ne peux pas entendre dire que la biologie n’existe pas et que seul l’environnement compte ! Je sais pertinemment que, du fait de mes origines coréennes, j’ai les yeux bridés et que, lorsque je croise des Coréens, ils me reconnaissent comme l’un des leurs à la couleur de ma peau. Au fond de moi, je suis certes un bon haut-marnais attaché à sa campagne, mais tous ces aspects cohabitent en moi. On ne saurait nier les uns pour accepter les autres ».
Et celle très personnelle et élevée de M. Vincent Thiébaut, à propos du sujet de l’extension du DPI (diagnostic pré-implantatoire) qui est plus développé dans un épisode suivant :
« Je souhaitais faire une intervention un peu personnelle, qui sera peut-être difficile pour moi. Je suis père de jumeaux, sourds profonds du fait d’une maladie génétique. Ils sont nés par FIV. Je l’avoue en toute honnêteté, je m’interrogeais jusqu’à récemment sur la pertinence du DPI.
Madame de Vaucouleurs, les parents ayant recours à une FIV bénéficient d’un véritable accompagnement : ils ont accès à des équipes médicales fantastiques. Mais il leur faut bien, ensuite, affronter la problématique de l’acceptation personnelle, la question de savoir s’ils vont jouer contre-nature, et la culpabilité. Ce sentiment de culpabilité est bien présent. Je le porterai toute ma vie.La question n’est pas, aujourd’hui, de savoir si je suis pour ou contre la naissance de mes enfants. Ils sont absolument extraordinaires et, justement parce qu’ils sont différents, m’ont ouvert les yeux, à travers leur handicap, sur des choses que je n’aurais jamais pu imaginer.
Ne jouons pas aux apprentis sorciers. La souffrance, la douleur, la culpabilité font partie de notre humanité. Elles sont même sans doute ce qui a transcendé notre humanité, et ce qui fait de nous ce nous sommes aujourd’hui.N’ouvrons donc pas la boîte de Pandore au nom d’une volonté d’harmonisation ou de standardisation. Même si, récemment encore, je pouvais être favorable à l’idée avancée par le biais de cet amendement, j’ai beaucoup réfléchi, et je crois que c’est la différence de mon expérience, et de mes enfants, qui font ce que je suis aujourd’hui ».
Avant trois textes consacrés à trois moments spécifiquement importants du débat parlementaire (l’embryon, un « amas de cellules » ? l’extension du diagnostic pré-implantatoire ? la GPA qui rentre à la faveur d’un amendement), que tirer comme conclusions forcément temporaires ?
- Il y eut un quarteron de députés (LR et non-inscrits) qui ont effectué un travail de qualité pour résister pied-à-pied à ce meilleur des mondes qui nous est promis, dans le cadre d’une procédure interne de temps législatif programmé qui aura profondément handicapé ces députés pour exprimer des avis sur des questions souvent complexes.
- Leur travail aura permis de soulever un nombre inattendu d’incohérences et de mensonges.
- La discussion parlementaire (qui ne suit pas la procédure d’urgence et sera donc complète dans les allers-retours entre l’Assemblée nationale et le Sénat) ne fait que commencer.
- Non seulement les démiurges sont à l’œuvre, mais derrière se profilent très nettement deux présences : celle du marché (on sait que le macronisme est un dévouement au marché) ; celle de l’Etat, qui de plus en plus s’immisce avec bonne conscience dans ce qui fait l’intime de la vie.
- Il y aura à la fin (si le processus législatif va jusqu’au bout) une saisine du Conseil constitutionnel. Les moyens de la saisine seront certainement nombreux. On sait cependant –hélas- que de M.Fabius à M.Juppé la solidité des convictions n’est pas la qualité première, sauf s’il s’agit bien sûr de leur carrière.
On pourra remarquer enfin, dans un monde où la communication est réglée, que depuis l’ouverture de ce débat jusqu’à sa conclusion par un premier vote, en passant par la manifestation du 6 octobre à Paris, il n’y a eu aucun message consacré à ce sujet ni sur le fil Twitter du Premier ministre, ni sur celui de M.Macron. Ils ont sans doute mieux à faire. Un passage à 70 Km/h de la vitesse autorisée sur les routes ? Une petite liquidation d’un grand groupe industriel français ?