Par Olivier Minvielle, auteur de « La chasteté à l’école des saints : comment ils ont triomphé » (Editions du Parvis)
La vie mi-privée mi-publique des Grands de ce monde, les pages people de nos gazettes préférées, ou encore les tribulations, révélées récemment, de certains membres du clergé, doivent nous interroger. Regardons un peu en arrière :
La liberté, à laquelle nous aspirons tous, n’a cessé à travers les siècles de recouvrir des réalités très multiples : Dans l’Antiquité, « être un homme libre » signifiait que l’on n’était pas un esclave, propriété d’un maître, et que l’on pouvait circuler ou fonder une famille sans autorisation. Les philosophes grecs ont cependant donné à la notion un contenu plus profond, plus fin, en montrant que le citoyen qui jouissait d’une liberté politique ou juridique, pouvait en réalité être l’esclave de ses passions ou de la foule, et manquer de liberté « intérieure »[1]. Nombreuses sont alors les philosophies ou sagesses qui ont prétendu conduire à la liberté totale, extérieure comme intérieure.
La philosophie platonicienne avait également très vite pressenti le rôle du corps dans ce défi ardu. Les Grecs aimaient ainsi faire un petit jeu de mot, le fameux « Soma, sema », qui signifie : « notre corps est un tombeau ». Ils voulaient montrer par-là que le corps pouvait devenir comme une prison pour l’âme, et posaient le principe d’un conflit entre le corps, cause de souffrance et de déchéance, et l’âme qui ne demande qu’à s’élever…Certaines religions orientales (bouddhisme, zen, etc…), ainsi que des philosophies occidentales inspirées par le New-Age, continuent ainsi de proposer le mépris du corps, ou à l’inverse, un matérialisme intégral qui absolutise le corps. Mais la négation du corps, comme à l’inverse son exaltation quasi-idolâtre (dans le body-building ou la chirurgie esthétique, par exemple) ne donnent pas au corps sa juste place et ne nous procurent pas un bonheur authentique.
Alors que ces différentes approches opposent une dimension de l’être à une autre[2], c’est-à-dire une totale domination soit du physique, soit du psychique, soit du spirituel désincarné, le christianisme a voulu apporter la réconciliation profonde de toutes les dimensions de l’être humain : Jésus-Christ a eu faim, soif, s’est reposé de sa fatigue, assumant par là sa dimension physique, corporelle, en un mot son « incarnation ». Mais il a aussi donné son corps à l’Humanité en disant « Ceci est mon corps, livré pour vous », parachevé par son sacrifice sur la croix le vendredi saint. Cette perspective de l’unité de la personne humaine a tout de suite été une nouveauté dérangeante pour les philosophies païennes, et tout en se diffusant ensuite dans l’Occident médiéval, elle a connu de multiples remises[3]en cause jusqu’à n’apparaitre aujourd’hui qu’une voie parmi tant d’autres.
Pour notre époque, le problème demeure…Nous comprenons qu’il faut prendre soin de ce corps qui est une partie de notre être, l’entretenir, et qu’il permet des plaisirs légitimes, dans le sport ou la gastronomie par exemple. Nous sentons que le corps est source de communion, de joie. D’un autre côté, nous rêverions d’êtres comme les anges, purs esprits qui échappent à la maladie et à la souffrance. Et nous pouvons aussi nous agacer de ce corps, cause de tentations, de chutes, de désordres….
Personne ne peut prétendre sérieusement échapper à cette cruelle ambivalence. Si beaucoup d’entre nous aspirent à la paix intérieure, peu nombreux sont ceux qui peuvent s’affirmer totalement hermétiques au conditionnement social, ou insensibles aux turpitudes normales de la vie. Comment être libre face aux pulsions que notre corps nous inflige, alors que s’est développée une société hédoniste et pornocrate ?
Pour répondre à cette interrogation profonde, il faut accepter l’idée, et peut-être redécouvrir, que la tempérance et une certaine ascèse sont les conditions de l’authentique liberté : Elles la déploient, elles l’enfantent. La chasteté est une maitrise de soi et de ses émotions, qui répond à notre besoin d’unité intérieure et elle est adossée à un juste rapport aux autres.
Tous les sondages le montrent : la diffusion permanente de l’obscénité sur les différents supports informatiques ou médiatiques nous met de plus en plus à la merci de l’indécence. De la pudibonderie, contre laquelle il était de bon ton de s’inscrire il y a quelques années, on est à présent passé à l’étalage de la corporéité dans tous ses états, ne laissant plus rien à l’intimité des personnes et précipitant le commun des citoyens dans l’avilissement le plus basique, comme s’il était moderne et « décoincé » de laisser l’éros s’emparer de la vie sociale. Le manque de maîtrise de soi, l’exacerbation des pulsions et des passions ne dédouanent personne de ses responsabilités. Mais force est de constater qu’une multitude de citoyens sont précipités, parfois malgré eux, dans des voies de souffrance : dépendance ou addiction, dépressions, transmission de virus divers, pour ne citer que les plus répandues.
Parallèlement, la société contemporaine ne veut guère entendre parler d’ascèse ou de modération à l’heure de l’hyper-consommation. A plus forte raison en temps de crise économique, il est de bon ton de « se faire plaisir » : Ce faisant, on occulte que c’est l’idéologie du plaisir permanent, quelle qu’en soit la forme, qui est en réalité facteur de la crise, de nos crises.
Observons ce qui se passe depuis quelques années dans le monde occidental : Pour des raisons diverses, on rend la chasteté particulièrement difficile. Il s’ensuit, qu’on utilise de manière massive les moyens de contraception qui sont invoqués comme des instruments de liberté, alors qu’ils sont en fait la parade technique à un manque évident de liberté vis-à-vis de la sensibilité et des émotions.
Ceux qui souffrent de cette licence sans frein ou en pressentent l’arnaque, comme ceux qui se trouvent empêtrés dans ces sables mouvants jusqu’à douter de leur capacité à se ressaisir de leur vie, peuvent s’engager sur un chemin de croissance qui ne renonce aucunement à la joie à laquelle nous sommes tous appelés, ni aux formes parfaitement légitimes de plaisir.
Précisons en outre qu’on a en réalité tout à gagner à s’engager dans la voie de la vertu. Si l’on est célibataire, il s’agit de se préparer à la vie de couple en se préservant d’une pollution de la mémoire, de l’imagination, et d’un affaiblissement progressif de la volonté, qui peuvent être autant de handicaps éventuels pour l’avenir. A un âge plus avancé, il s’agit de transformer sa vie personnelle et familiale par une liberté préservée ou retrouvée. Celui ou celle qui recouvre sa liberté, retrouve une paix intérieure qui pacifie son entourage et ses interlocuteurs. Il a une juste estime de lui-même. Il fait un pas déterminant dans la voie d’une vie plus saine ; plus sainte, diront certains.
Le chemin de la vraie joie ne peut pas se définir, quoi qu’en dise le prêt-à-penser actuel, par la possession de tout, la consommation de tout, et l’euphorie permanente. Au contraire, c’est le meilleur moyen de vivre l’enfer sur cette Terre que de se laisser manipuler ainsi, car elle finit par faire de nous des « drogués de l’inassouvi ».
Il y a en réalité bien mieux à vivre, moyennant quelques efforts inévitables et la passion de la vérité…
Bref, 50 nuances plus libre !
[1]Pensons par exemple aux discussions de Socrate avec les Sophistes et l’un de leurs champions, Gorgias.
[2]Cette opposition « dualiste » fut dénoncée comme une hérésie par la foi chrétienne, car elle nie l’unité de la personne humaine ; elle « tronçonne » la personne, comme s’il n’existait pas de lien intrinsèque entre toutes ses dimensions.
[3]Le nominalisme au Moyen Age, le rationalisme athée des Lumières, la post-modernité aujourd’hui.