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L'Eglise : Foi

Qu’est-ce qu’une Chrétienté ?

Qu’est-ce qu’une Chrétienté ?

De l’abbé de Massia, aumônier général de Notre-Dame de Chrétienté, dans le nouveau numéro de l’Appel de Chartres :

Amis pèlerins,

En ce dernier dimanche d’octobre, la fête du Christ-Roi est une bonne occasion d’évoquer le thème de notre pèlerinage 2025 qui justement portera sur la royauté du Christ, à l’occasion du centenaire de l’encyclique Quas Primas, qui instituait en 1925 cette fête liturgique. Ceux qui découvrent aujourd’hui le pèlerinage de Chrétienté l’ignorent peut-être, mais la vocation première de cette œuvre de laïcs fondée en 1983 est, comme son nom l’indique, de promouvoir la chrétienté, c’est-à-dire la royauté du Christ sur toute la création et en particulier sur les sociétés
humaines (Charte de l’association, §1).

La chrétienté ! Certains sourient, incrédules ; d’autres s’agacent, pointant le cléricalisme larvé que ce concept suggèrerait, ou croyant y déceler les symptômes d’une peur de la vie et du monde. Feu la Chrétienté ! Les premiers chrétiens, nous dit-on, n’ont jamais cherché à fonder une civilisation chrétienne ; et si, bien malgré eux, une telle société plus ou moins animée des principes du christianisme a existé en France entre 496 et 1790, ce temps est fini et il faudrait s’en réjouir. L’Église, plus libre par rapport aux états depuis qu’elle en est hermétiquement séparée, s’éloigne enfin de la tentation du pouvoir qui corrompt tout agir, et peut ainsi mieux accomplir sa mission spirituelle dans les cœurs. D’ailleurs, nous dit-on encore, la définition de la liberté religieuse manifeste clairement que l’intention de l’Église a changé depuis Quas Primas, et qu’il n’est plus question de baptiser les nations ; Jésus-Christ parlait sans doute d’autre chose (Mt 28, 19).

On peut discuter à l’infini du sens des textes. Heureusement pour nous, l’interprète autorisé de l’enseignement de l’Église est l’Église elle-même, qui nous rappelle, dans le catéchisme de l’Église catholique :

« Le devoir de rendre à Dieu un culte authentique concerne l’homme individuellement et socialement. C’est là “la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral des hommes et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ” (Vatican II, DH 1). En évangélisant sans cesse les hommes, l’Église travaille à ce qu’ils puissent “pénétrer d’esprit chrétien les mentalités et les mœurs, les lois et les structures de la communauté où ils vivent” (Vatican II, AA, 10). […] Les chrétiens sont appelés à être la lumière du monde (AA, 13). L’Église manifeste ainsi la royauté du Christ sur toute la création et en particulier sur les sociétés humaines. (1) »

Et le texte du catéchisme cite alors les encycliques de Léon XIII (Immortale Dei) et de Pie XI (Quas Primas).

« Pénétrer d’esprit chrétien les mentalités, les mœurs, les structures de la société » : il ne s’agit pas d’autre chose que de cela. Ce n’est pas le lieu, ici, de développer les tenants et les aboutissants, les fines nuances et les balises de cette doctrine de l’Église, ainsi que les moyens pratiques pour la mettre en oeuvre : tout cela, nous l’approfondirons pendant le pèlerinage. Nous nous garderons aussi d’idéaliser une telle chrétienté ; l’histoire du christianisme nous a suffisamment montré que des sociétés animées par l’esprit chrétien n’en devenaient pas pour autant des paradis terrestres. Cependant, nous pensons que lorsque Jésus-Christ est connu et reconnu, lorsque les lois d’un pays observent et font observer l’ordre naturel autant qu’il est possible, lorsque la vérité triomphe publiquement de l’erreur (car oui, Jésus est la Vérité), les âmes s’en portent mieux. Ainsi parlait Pie XII :

« De la forme donnée à la société conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes. (2) »

Le temporel ne peut être coupé le spirituel dont il est pourtant bien distinct, pour la simple et bonne raison que les hommes dont César a la charge en cette terre sont tous appelés à l’héritage des saints dans le Ciel ; leur cœur est fait pour Dieu, et celui de César aussi. Or, les structures de la société dont s’occupe César aident terriblement les hommes à se perdre ou à se convertir.

Parce que nous sommes faits pour vivre en société, nous sommes en grande partie façonnée par elle, par l’éducation, les lois, les mœurs, la culture : toutes choses qui peuvent préparer en nous les sentiers du Royaume, ou au contraire nous les rendre difficiles d’accès, ut in pluribus, selon qu’elles respectent ou au contraire s’éloignent de l’ordre naturel, expression la plus accessible à l’homme de l’ordre divin.

Ainsi parlait Gustave Thibon :

« L’homme est esprit et chair, âme immortelle et “animal social”. Ce qui signifie que la foi chrétienne a besoin ici-bas d’un enrobement des mœurs, de traditions, de pratiques et de signes extérieurs qui sont autant de chemins terrestres vers le ciel. En d’autres termes, il n’y a pas de christianisme sans chrétienté et c’est l’une des pires erreurs de certains croyants de minimiser, voire d’éliminer, au nom de la vie intérieure, l’aspect extérieur, local et sociologique de la religion. (3) »

Le laïcisme, qui veut réduire le spirituel à la sphère privée et à l’intime, est le fruit d’une méconnaissance des rapports entre personne et société, l’oubli de la dimension communautaire de la vie comme de la religion.

Et c’est l’une des raisons pour lesquelles la Royauté du Christ, qui concerne premièrement le cœur et l’intime des hommes, doit s’étendre, d’une façon seconde, d’une façon dérivée, mais d’une façon nécessaire, à la société elle-même, parce qu’il est essentiel que les hommes (et pas seulement les chrétiens !) puissent mener sur terre, dans la cité, une vie digne de Jésus-Christ, une vie dans laquelle la rencontre avec Jésus-Christ, fin ultime de tout homme, soit rendue possible et même favorisée, bien qu’elle doive absolument demeurer libre et jamais contrainte ; et cela passe, nécessairement, par l’assainissement de l’environnement social, et concrètement, ultimement, par la reconnaissance de la royauté du Christ sur la société elle-même. Car il n’existe pas de situation « neutre » par rapport à Dieu ; on est avec lui, ou on est contre lui, la récente constitutionnalisation de l’avortement en est la bien triste preuve. Les premiers chrétiens ont peut-être bâti la chrétienté sans le vouloir, de même que saint Benoît a christianisé l’Europe sans le faire exprès. C’est en fait le signe que la chrétienté n’est pas autre chose qu’un rejaillissement naturel de la sainteté individuelle sur la société, en raison de ce lien étroit entre l’homme et son milieu. C’est pourquoi la sainteté précède la chrétienté, comme
l’affirmait le pape Jean-Paul II :

« Ne tombez pas dans l’erreur de croire qu’on peut changer la société en changeant simplement les structures externes ou en cherchant avant tout la satisfaction des besoins matériels. Il faut commencer par se changer soi-même, en tendant sincèrement son coeur vers le Dieu vivant, en se rénovant moralement, en détruisant dans son propre coeur les racines du péché et de l’égoïsme. Une personne transformée collabore efficacement à la transformation de la société. (4) »

C’est pourquoi, aussi, les saints nécessairement changent le monde : car plus la vie théologale inonde le cœur d’un chrétien, plus son âme est sensible au mal qui la menace, aux forces qui ruinent la vie théologale dans les institutions d’un pays (le pape Jean-Paul II a développé, à cette occasion, la notion cruciale de « structures de péché »).

« La vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu (5) ».

Alors à l’œuvre ! Chacun à sa place et à son niveau. Car la chrétienté devient une réalité dès qu’un chrétien décide de conformer son agir extérieur et public avec la règle de son cœur.

« Que les laïcs, unissant leurs forces, apportent aux institutions et aux conditions de vie dans le monde, quand elles provoquent au péché, les assainissements convenables, pour qu’elles deviennent toutes conformes aux règles de la justice et favorisent l’exercice de la vertu au lieu d’y faire obstacle. En agissant ainsi ils imprègnent de valeur morale la culture et les œuvres humaines […] car aucune activité humaine, fut-elle d’ordre temporel, ne peut être soustraite à l’empire de Dieu. (6) »

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