La période des sacrements de confirmation, de premier communion et de mariage arrive. Thibaud Guespereau, prêtre du diocèse de Nanterre, Henri Vallançon, prêtre du diocèse de Coutances, et Thibaud Collin, professeur agrégé de philosophie, viennent de publier un ouvrage sur les sacrements, rassemblant différentes contributions. L’Eglise doit-elle agir comme un “distributeur automatique” de sacrements, ou, à l’inverse, réserver ces sacrements aux seuls “purs” ? Peut-on donner un sacrement à un pécheur public ? Quels en sont les fruits ? Le sacrement sauve-t-il l’homme malgré lui ?
Les prêtres constatent le peu de fruits de ces sacrements dans la croissance de la pratique et de la fréquentation des paroisses… Les sacrements sont, par excellence, la source de la grâce divine qui vivifie les âmes. Pourquoi donc ne portent-ils pas plus de fruits ? En eux-mêmes ils sont parfaits. N’est-ce pas dans leur usage qu’il faut chercher la cause du problème ? De fait, nombreux sont les prêtres et autres acteurs pastoraux qui souffrent de se sentir tiraillés entre volonté d’accueil et respect des sacrements. Comment sortir de ce dilemme ?
Au-delà du contexte social et culturel actuel, les intervenants de cet ouvrage exposent les articulations essentielles entre les notions de péché, état de grâce et sacrements. Ils cherchent à montrer les différentes ruptures historiques à l’origine de l’obscurcissement de la conscience commune et ses conséquences sur la dévitalisation des communautés chrétiennes. Ces prises de conscience ouvrent à des solutions évoquées par plusieurs exemples concrets. S’ajuster à la volonté de Dieu déploie la fécondité pastorale. Le salut de nos frères ! tel est le véritable enjeu.
Dans sa contribution, l’abbé Jean de Massia (FSSP) écrit :
[…] Il est intéressant de noter que saint Thomas, quand il s’agit d’affirmer qu’il ne fat pas donner le baptême à un pécheur, ne pense pas directement au respect à avoir au sacrement, mais a spontanément en tête la phrase de saint Augustin : “Celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi” : c’est bien la liberté de l’homme dont il est question ici. Etre attentif aux dispositions du sujet, respecter le sacrement, c’est en fait prendre au sérieux la liberté humaine : car “Dieu ne force pas l’homme à la justice”, écrit saint Jean Damascène.
Dans cet équilibre entre “ex opere operato” et “les dispositions intérieures requises pour le sujet”, il y a comme deux cas extrêmes, qui témoignent de la gratuité du salut, et du fait que dans le sacrement, c’set le Christ qui agit :
- Le baptême du nourrisson : l’ex opere operato fonctionne “à plein”. L’enfant avant l’âge de raison est incapable d’un acte de volonté, il est donc incapable de poser un obstacle au sacrement ou aux fruits du sacrement. Ainsi reçoit-il la grâce sacramentelle du baptême, et de la confirmation également le cas échéant.
- L’onction des malades sur un agonisant sans connaissance : ex opere operato, le moribond ne pose aucun acte humain, il suffit qu’il ait une attrition habituelle et le sacrement opère.
Mais l’adulte, lui, qui a l’usage de sa liberté, peut poser un obstacle. De quelle nature est cet obstacle ? Ecoutons le développement de saint Thomas :
On peut être pécheur par la volonté de pécher et par le propos de demeurer dans le péché. A ceux qui sont pécheurs en ce sens il ne faut pas conférer le baptême. D’abord parce que le baptême nous incorpore au Christ (Ga 3, 27): “Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ.” Or, aussi longtemps qu’on a la volonté de pécher, on ne peut être uni au Christ […] Ensuite, parce qu’il ne doit y avoir rien d’inutile dans les oeuvres du Christ et de l’Église. Or est inutile ce qui n’atteint pas la fin à laquelle il est destiné. Et personne ne peut avoir la volonté de pécher et en même temps être purifié du péché, ce qui est le but du baptême: ce serait contradictoire. – Enfin, parce qu’il ne doit y avoir aucune fausseté dans les signes sacramentels. Or un signe est faux quand la chose signifiée n’y correspond pas. Mais quand un homme se présente à l’ablution baptismale, cela signifie qu’il se dispose à la purification intérieure. Or ce n’est pas le cas pour celui qui a le propos de demeurer dans son péché. Il est donc clair qu’à des pécheurs de cette sorte on ne doit pas administrer le baptême.
[…]