Lu dans le nouveau numéro de l’Action Familiale et Scolaire :
Les arguments rassurants sur la situation contemporaine de la France ne le sont, hélas, pas vraiment. « Comment ne pas s’estimer heureux de ne pas vivre sous les bombes dans un pays en guerre, prisonnier de régimes totalitaires, ou né dans un pays de pauvreté et de misère ? » Désolé de dire cela, mais, au point où en sont les choses, on se croirait, sous son titre ironique, au spectacle d’Anne Roumanoff Tout va presque bien.
Mettons les choses au point, à partir de réalités constatées. Le cours de l’Histoire comme celui de la vie n’est pas statique mais en mouvement et orienté, avec des points d’aboutissement. Ce n’est pas parce qu’un effondrement n’est pas total et qu’il n’a pas développé jusqu’au bout toutes ses conséquences qu’il n’est pas amorcé et n’est pas en train de se dérouler. Pour apprécier valablement l’avenir d’un pays, le plus essentiel n’est pas le constat de son état présent, mais celui de l’évolution de ses atouts et de ses faiblesses, et leur résultante à terme.
Les exemples sont nombreux de périodes où beaucoup se sentaient rassurés, malgré les signes avant-coureurs perceptibles, alors que leur époque courait à la catastrophe. Quelques échantillons (parmi bien d’autres) :
- En 1938, le Premier ministre britannique Neville Chamberlain revenait à Londres en brandissant le texte des accords de Munich devant la foule britannique et déclarait : « It is peace for our time ! » Au même moment au Bourget, une foule enthousiaste faisait un triomphe à Édouard Daladier, considéré comme sauveur de la paix. Il avait enchaîné avec un mâle discours sur ce thème. Précision intéressante à connaître à propos du rassurisme officiel : dans l’avion, voyant l’immense foule amassée pour l’accueillir, il avait eu peur d’être conspué pour avoir cédé devant Hitler, puis, tout étonné d’être acclamé, il avait dit en aparté au ministre qui l’accompagnait : « Les c..s ! »
- Le 14 juillet 1939, le défilé militaire à Paris avait été spectaculaire et très réussi, donnant une impression de puissance redoutable. Après l’éclat de la grande Exposition universelle de Paris de 1937, beaucoup de gens se sentaient rassurés sur la grandeur française. Les esprits lucides savaient que ce n’était surtout pas le moment d’entrer en guerre contre l’Allemagne qu’on avait laissé réarmer.
- Au début des années 1970, peu avant son entrée dans un grand cycle de profond malheur historique, qui est loin d’être terminé et s’aggrave encore, le Liban était surnommé “la Suisse du Proche- Orient”.
Remontons plus loin, à plus vaste ou plus petite échelle.
- Au début du V siècle, l’auteur gallo-romain Rutilius Namatianus rédigeait un grand poème à la gloire de Rome, à la tête d’un empire destiné à être éternel, alors qu’il allait se disloquer de toutes parts.
- Quant au fameux Titanic, exemple plus ponctuel, néanmoins très instructif et de belle valeur symbolique, non seulement la veille, mais encore quelques quarts d’heure après le choc avec l’iceberg la plupart des passagers ne s’inquiétaient pas vraiment. D’ailleurs, toute la presse avait assuré qu’avec le progrès moderne le navire était “insubmersible”. Il n’y avait que les esprits incurablement chagrins, catastrophistes, voire sombrement complotistes, pour penser qu’il existait encore des risques de naufrage.
Symboliquement aussi, comment ne pas méditer sur le fait qu’un produit à la pointe de la science nautique et de la technique mondiale s’est brisé sur la pureté glacée du monde naturel, dont un prométhéisme moderne et arrogant a tendance à défier les lois …
Charles Darcis