Partager cet article

L'Eglise : Foi

“Rendre témoignage à la vérité”

Le second tome de Jésus de Nazareth, de Benoît XVI, sera présenté le 10 mars. La Croix en publie déjà quelques extraits. En voici un, à propos du dialogue entre Jésus et Pilate :

J "La domination exige un pouvoir, elle le définit même. Jésus, à l’inverse, qualifie l’essence de sa royauté par le témoignage à la vérité. La vérité serait-elle donc une catégorie politique ? Ou bien le « règne » de Jésus n’a-t-il rien à voir avec la politique ? À quel genre alors appartient-il ? Si Jésus fait reposer son concept de royauté et de règne sur la vérité comme catégorie fondamentale, il est alors très compréhensible que le pragmatique Pilate demande : « Qu’est-ce que la vérité ? » (18,38).

C’est la question que se pose aussi la doctrine moderne de l’État : est-ce que la politique peut prendre la vérité comme catégorie pour sa structure ? Ou bien faut-il laisser la vérité, comme dimension inaccessible, à la subjectivité et s’efforcer au contraire de réussir à établir la paix et la justice avec les instruments disponibles dans le domaine du pouvoir ? Étant donné l’impossibilité d’un consensus sur la vérité et en s’appuyant sur elle, la politique ne se fait-elle pas l’instrument de certaines traditions qui, en réalité, ne sont que des formes de conservation du pouvoir ?

Mais, par ailleurs, que se passe-t-il si la vérité ne compte pour rien ? Quelle justice alors sera possible ? Est-ce qu’il ne doit pas y avoir des critères communs qui garantissent véritablement la justice pour tous – critères soustraits à l’arbitraire des opinions changeantes et aux concentrations du pouvoir ? N’est-il pas vrai que les grandes dictatures se sont maintenues par la force du mensonge idéologique et que c’est la vérité seule qui a pu apporter la libération ? […]

La définition classique, formulée par la philosophie scholastique qualifie la vérité de adequatio intellectus et rei – adéquation entre l’intelligence et la chose (Thomas d’Aquin, S. theol I q 21 a 2 c). Si la raison d’une personne reflète une chose telle qu’elle est en elle-même, alors cette personne a trouvé la vérité. Mais c’est seulement une petite part de ce qui existe réellement – ce n’est pas la vérité dans toute son ampleur et sa plénitude. Avec une autre affirmation de saint Thomas nous nous approchons davantage des intentions de Jésus : « La vérité est dans l’intelligence divine proprement et premièrement (proprie et primo) ; dans l’intelligence humaine, pro­prement mais secondairement (proprie quidem et secundario) » (De verit. Q 1 a 4 c). Et cela nous fait arriver finalement à la formule lapidaire : Dieu est « ipsa summa et prima veritas – lui-même la souveraine et première vérité » (S. theol. I q 16 a 5 c).

P Cette formule nous rapproche de ce que Jésus veut dire quand il parle de la vérité, pour laquelle il est venu dans le monde afin d’en témoigner. Vérité et opinion erronée, vérité et mensonge en ce monde sont continuellement mêlés de manière inextricable. La vérité, dans toute sa grandeur et sa pureté n’apparaît pas. Le monde est « vrai » dans la mesure où il reflète Dieu, le sens de la création, la Raison éternelle d’où il a jailli. Et il devient d’autant plus vrai qu’il s’approche davantage de Dieu. L’homme devient vrai, devient lui-même s’il devient conforme à Dieu. Alors il atteint sa vraie nature. Dieu est la réalité qui donne l’être et le sens.

« Rendre témoignage à la vérité » signifie mettre au premier plan Dieu et sa volonté face aux intérêts du monde et à ses puissances. Dieu est la mesure de l’être. En ce sens, la vérité est le « Roi » véritable qui donne à toutes choses leur lumière et leur grandeur. Nous pouvons dire également que rendre témoignage à la vérité signifie : en partant de Dieu, de la Raison créatrice, rendre la création déchiffrable et sa vérité accessible de telle manière qu’elle puisse constituer la mesure et le critère d’orientation dans le monde de l’homme – que le pouvoir de la vérité, le droit commun, le droit de la vérité puissent venir à la rencontre des grands et des puissants.

[…] Qu’est-ce que la vérité ? Cette question, comme étant sans réponse et impossible pour sa tâche, n’a pas été mise de côté uniquement par Pilate. De nos jours aussi, dans le débat politique tout comme dans la discussion à propos de la formation du droit, on éprouve en général une certaine difficulté à son égard. Mais sans la vérité, l’homme ne peut saisir le sens de sa vie ; il laisse alors le champ libre aux plus forts. […]

Dans le dialogue entre Jésus et Pilate, il est question de la royauté de Jésus et donc de la royauté, du « règne » de Dieu. Dans le dialogue de Jésus avec Pilate apparaît de manière évidente qu’il n’y a pas de rupture entre l’annonce de Jésus en Galilée – le royaume de Dieu – et ses discours à Jérusalem. Le point central du message jusqu’à la Croix – jusqu’à l’inscription sur la Croix – est le royaume de Dieu, la royauté nouvelle que Jésus représente. La vérité est, toutefois, au centre de cela. La royauté annoncée par Jésus dans les paraboles et, finalement, ouvertement devant le juge terrestre, est justement la royauté de la vérité. Ériger cette royauté comme libération véritable de l’homme, voilà ce dont il s’agit."

Partager cet article

3 commentaires

  1. “Étant donné l’impossibilité d’un consensus sur la vérité ” La Vérité s’est incarnée et s’est révélée, le consensus n’est pas à chercher, il faut seulement adhérer.

  2. Voilà qui est tout simplement génial et qui synthétise toutes les aspirations au progrès politique et aux frustrations de ceux qui souffrent de ce pouvoir stérile et anémiant.
    Quel coup de tonnerre pour ceux qui savent voir !

  3. “N’est-il pas vrai que les grandes dictatures se sont maintenues par la force du mensonge idéologique et que c’est la vérité seule qui a pu apporter la libération ? ”
    Il me semble que c’est n’est pas juste:
    -Franco et Salazar étaient des dictateurs catholiques ayant instauré le règne social du Christ . L’Espagne y a mis fin par l’avènemant d’une démocratie libérale et le Portugal par une révolution socialiste.
    -le nazisme a été combattu par les armes et pas par la vérité qui malheureusement ne s’impose pas d’elle même. Quand au communisme, il est toujours bien vivant, ne serait-ce qu’en Chine et au Viêt Nam.
    Cette phrase me semble être en plus une condamnation sans discernement de tous régime qui ne serait pas démocratique…
    “La royauté annoncée par Jésus dans les paraboles et, finalement, ouvertement devant le juge terrestre, est justement la royauté de la vérité.”
    Et concrètement?
    Où est passé le règne social du Christ? C’est vrai que ça n’est pas très compatible avec la liberté religieuse…

Publier une réponse

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services