Extraits de la rencontre du saint-Père Benoit XVI avec le Corps Diplomatique, les représentants des principales religions au Palais présidentiel de Cotonou, aujourd'hui :
"Trop souvent, notre esprit s'arrête à des préjugés ou à des images qui donnent de la réalité africaine une vision négative, issue d'une analyse chagrine. Il est toujours tentant de ne souligner que ce qui ne va pas ; mieux encore, il est facile de prendre le ton sentencieux du moralisateur ou de l'expert, qui impose ses conclusions et propose, en fin de compte, peu de solutions adaptées. Il est tout aussi tentant d'analyser les réalités africaines à la manière d'un ethnologue curieux ou comme celui qui ne voit en elles qu'un énorme réservoir énergétique, minéral, agricole et humain facilement exploitable pour des intérêts souvent peu nobles. Ce sont là des visions réductrices et irrespectueuses, qui aboutissent à une chosification peu convenable de l'Afrique et de ses habitants.
J'ai conscience que les mots n'ont pas partout le même sens. Mais, celui d'espérance varie peu selon les cultures. Il y a quelques années déjà, j'ai consacré une Lettre encyclique à l'espérance chrétienne. Parler de l'espérance, c'est parler de l'avenir, et donc de Dieu ! L'avenir s'enracine dans le passé et le présent. Le passé, nous le connaissons bien, regrettant ses échecs et saluant ses réalisations positives. Le présent, nous le vivons comme nous le pouvons. Au mieux j'espère, et avec l'aide de Dieu ! C'est sur ce terreau composé de multiples éléments contradictoires et complémentaires qu'il s'agit de construire avec l'aide de Dieu.
Chers amis, je voudrais lire, à la lumière de cette espérance qui doit nous animer, deux réalités africaines qui sont d'actualité. La première se réfère plutôt de manière générale à la vie sociopolitique et économique du continent, la seconde au dialogue interreligieux. Ces réalités nous intéressent tous, car notre siècle semble naître dans la douleur et avoir du mal à faire grandir l'espérance dans ces deux domaines particuliers.
Ces derniers mois, de nombreux peuples ont manifesté leur désir de liberté, leur besoin de sécurité matérielle, et leur volonté de vivre harmonieusement dans la différence des ethnies et des religions. Un nouvel État est même né sur votre continent. Nombreux ont été également les conflits engendrés par l'aveuglement de l'homme, par sa volonté de puissance et par des intérêts politico-économiques qui font fi de la dignité des personnes ou de celle de la nature. La personne humaine aspire à la liberté ; elle veut vivre dignement ; elle veut de bonnes écoles et de la nourriture pour les enfants, des hôpitaux dignes pour soigner les malades ; elle veut être respectée ; elle revendique une gouvernance limpide qui ne confonde pas l'intérêt privé avec l'intérêt général ; et plus que tout, elle veut la paix et la justice. En ce moment, il y a trop de scandales et d'injustices, trop de corruption et d'avidité, trop de mépris et de mensonges, trop de violences qui conduisent à la misère et à la mort. Ces maux affligent certes votre continent, mais également le reste du monde. Chaque peuple veut comprendre les choix politiques et économiques qui sont faits en son nom. Il saisit la manipulation, et sa revanche est parfois violente. Il veut participer à la bonne gouvernance. Nous savons qu'aucun régime politique humain n'est idéal, qu'aucun choix économique n'est neutre. Mais ils doivent toujours servir le bien commun. Nous nous trouvons donc en face d'une revendication légitime qui touche tous les pays, pour plus de dignité, et surtout pour plus d'humanité. L'homme veut que son humanité soit respectée et promue. Les responsables politiques et économiques des pays se trouvent placés devant des décisions déterminantes et des choix qu'ils ne peuvent plus éviter.
De cette tribune, je lance un appel à tous les responsables politiques et économiques des pays africains et du reste du monde. Ne privez pas vos peuples de l'espérance ! Ne les amputez pas de leur avenir en mutilant leur présent ! Ayez une approche éthique courageuse de vos responsabilités et, si vous êtes croyants, priez Dieu de vous accorder la sagesse ! Cette sagesse vous fera comprendre qu'étant les promoteurs de l'avenir de vos peuples, il faut devenir de vrais serviteurs de l'espérance. Il n'est pas facile de vivre la condition de serviteur, de rester intègre parmi les courants d'opinion et les intérêts puissants. Le pouvoir, quel qu'il soit, aveugle avec facilité, surtout lorsque sont en jeu des intérêts privés, familiaux, ethniques ou religieux. Dieu seul purifie les cœurs et les intentions.
L'Église n'apporte aucune solution technique et n'impose aucune solution politique. Elle répète : n'ayez pas peur ! L'humanité n'est pas seule face aux défis du monde. Dieu est présent. C'est là un message d'espérance, une espérance génératrice d'énergie, qui stimule l'intelligence et donne à la volonté tout son dynamisme. Un ancien archevêque de Toulouse, le Cardinal Saliège disait : « Espérer, ce n'est pas abandonner ; c'est redoubler d'activité ». L'Église accompagne l'État dans sa mission ; elle veut être comme l'âme de ce corps en lui indiquant inlassablement l'essentiel : Dieu et l'homme. Elle désire accomplir, ouvertement et sans crainte, cette tâche immense de celle qui éduque et soigne, et surtout de celle qui prie sans cesse (cf. Lc 18, 1), qui montre où est Dieu (cf. Mt 6, 21) et où est l'homme véritable (cf. Mt 20, 26 et Jn 19, 5). Le désespoir est individualiste. L'espérance est communion. N'est-ce pas là une voie splendide qui nous est proposée ? J'y invite tous les responsables politiques, économiques, ainsi que le monde universitaire et celui de la culture. Soyez, vous aussi, des semeurs d'espérance !"