Tribune d'Odile Guinnepain, infirmière et responsable de l'antenne « Nos mains ne tueront pas » de Choisir la vie :
"Vincent ne mourra pas de soif ni de faim, soit pas de déshydratation ni de dénutrition.
« Il n'en n'aura pas le temps » !
Souvenons-nous, le 1er février 2016, en pleine « affaire Vincent » est votée la loi Claeys/Léonetti complètant la loi Léonetti de 2005. Dans son article 3, elle précise ceci :
«Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie.
La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent article est mise en œuvre selon la procédure collégiale définie par voie réglementaire qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d'application prévues aux alinéas précédents sont remplies. »
En 2013, l'alimentation de Vincent a été interrompue pendant 31 jours, temps pendant lequel on a continué à l'hydrater quotidiennement avec 200 ml d'eau (témoignage de sa mère dans « Pour la vie de mon fils » ed Plon-2015). Au bout de 31 jours, il était toujours bien là, bien vivant.
La Loi C/L et ses débats vifs sur l'arrêt des soins et des traitements de maintien en vie, ainsi que sur la « fameuse » « sédation profonde, continue, maintenue jusqu’au décès » en vue d'éviter toute souffrance, ont été évidemment motivés par cette « résistance » de Vincent.
Que plus jamais, lors d'une décision médicale collégiale ou juridique d'arrêt d'une alimentation et hydratation artificielles, un patient ne meure dans les conditions de douleurs innommables de la faim et de la soif comme ce fut le cas pour Terri Chiavo en 2005 ou Hervé Pierra en 2008.
Alors oui, cette fois-ci, pour ne pas revivre cette torture et par « compassion », Vincent n'aura pas le temps de souffrir de nouveau de la soif et de la faim. Il sera mort par sédation avant.
Revenons aux détails « concrets » de sa mise à mort si elle devait survenir.
Selon la Loi C/L, en même temps que seront stoppés son alimentation et son hydratation entérale par sonde de gastrostomie ou jéjunostomie, une « sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie » lui sera administrée. Vincent mourra en 24h, 48h ou 60h maximum des suites de cette sédation associant antalgiques et sédatifs puissants. Cette sédation terminale sera bien un acte d'euthanasie et, en aucun cas, un soin de confort ou encore moins « un soin palliatif ultime » !
En apparence (quoique cela reste à voir!) Vincent ne souffrira pas. Mais personne ne peut dire aujourd'hui si déjà il ne souffre pas profondément de cette situation (souvenons-nous du témoignage d 'Angèle Liéby dans « une larme m'a sauvée »). Personne ne pourra nous dire non plus si ce temps de la sédation qui va précéder sa mort ne sera pas le lieu d'une très grande souffrance.
Aujourd'hui, beaucoup de professionnels de santé et de citoyens s'indignent, à juste titre, de cette décision de mise à mort, entre autre parce que Vincent n'est pas en fin de vie, mais atteint d'un handicap lourd. Malheureusement, rappelons que la loi C/L, comme son intitulé l'indique, ne s'adresse pas seulement aux personnes en fin de vie : « Loi N°2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveau droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Si nous considérons que Vincent est malade, alors, il rentre pleinement dans le cadre de la loi.
Mais en réalité, Vincent n'est ni en fin de vie ni malade. Même s'il vit à l'hôpital, il est « seulement » porteur d'un handicap. Il a donc besoin de soins dits de « compensation » (CF le GEVA [Guide d'évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées] mis en place par Décret le 6 février 2008) mais pas de soins curatifs. Voilà la raison pour laquelle cette décision est d'autant plus injuste et intolérable.
Enfin, cette décision « collégiale » d'arrêt des soins est, selon la loi, une décision collégiale médicale. Elle a donc forcément été précédée d'une discussion médicale collégiale. Pour autant, a-t-elle été précédée d'une discussion collégiale paramédicale ? En effet, le Dr Sanchez avec ses confrères et consœurs s'occupent du suivi médical de Vincent ponctuellement ou régulièrement (comme pour tout patient dans un service de soins quelconque). Mais qui s'occupe de lui quotidiennement, plusieurs fois par jour et par nuit, pendant des heures, pour lui assurer ses soins de nursing, les préventions d'escarres, la pose de l'alimentation et de l'hydratation, l'entretien de sa chambre, et tous les soins de compensation ? Ce sont des aides-soignantes, des ASH, des infirmières, peut-être des kinésithérapeutes ; bref des paramédicaux dont on n'a absolument pas entendu la voix depuis 2013.
Je doute vraiment que l'ensemble de ce corps soignant, de surcroît en unité de soins palliatifs, habitué et formé à une attention particulière au confort des patients, soient unanimes devant cette décision (la décision collégiale médicale n'est pas non plus synonyme d'unanimité d'ailleurs!)
Alors pourquoi n'en savons-nous rien ? Ont-ils réellement voix au chapître ou sont-ils sommés de ne rien dire ?
Car ce sont bien eux qui seront les acteurs directs de la mort de Vincent. En effet, le Dr Sanchez et ses confrères feront la prescription de l'arrêt des soins mais il est évident que ce ne sont pas eux qui passeront les heures que durera l'agonie de Vincent à le soigner. Ce sont les infirmières qui poseront la seringue (PSE certainement) de sédatifs et en surveilleront l'efficacité, ce sont les infirmières qui exécuteront l'acte d'arrêter l'alimentation et l'hydratation et ce sont les aides-soignantes qui assureront les soins de nursing de Vincent jusqu'à sa mort, certainement avec ou en présence de certains membres de sa famille.
Alors, chers « collègues » infirmières, aides-soignantes, ASH, médecins de bonne volonté, n'ayez pas peur selon votre conscience et votre bon sens de refuser de vous soumettre à cet acte mortifère. Vous n'êtes pas seuls. Des milliers de soignants (comme beaucoup d'appels et publications le démontrent) n'approuvent absolument pas cette décision et refuseraient de s'y assujettir.
Nous avons-là le devoir de désobéir à la mise à mort si terrible de Vincent."