De Roland Hureaux, haut fonctionnaire et essayiste, pour le Salon beige:
Le Sénat doit se prononcer sur le projet gouvernemental d’inscription d’un « droit à l’avortement » dans la constitution. Un tel sujet est pour les sénateurs fort embarrassant.
Au fond d’eux-mêmes, une majorité de sénateurs, sans être hostiles à la loi Veil, est hostile à cette inscription dont ils mesurent l’absurdité juridique. La société moderne a instauré de nombreux droits qui n’étaient pas reconnus autrefois : logement, minimum vital, santé, sécurité sociale etc. Pourquoi ne pas les inscrire tous dans la constitution ? Le droit à l’avortement est-il une urgence au moment précis où la natalité vient de s’effondrer dans notre pays à un étiage jamais atteint jusqu’ici et où de plus en plus de jeunes, obsédés par le climat , se demandent s’il est encore utile d’avoir des enfants.
Pourtant les sénateurs sont soumis à une pression sans précédent de la part des lobbies favorables à l’avortement – et à qui la situation juridique actuelle de la France sur ce sujet (de la France pourtant très ouverte) ne suffit pas. Les médias et les relais d’opinion les plus divers répandent partout que cette inscription (qui n’ a pourtant aucun précédent dans les pays avancés) est dans le sens de l’histoire que, si le Sénat la bloquait, il ferait une fois de plus la preuve qu’il est dépassé, ringard, hors de son temps. Ce genre de considération se substitue presque toujours au débat de fond.
C’est là précisément ce que craint la Haute Assemblée, déjà contestée par les « modernistes » de tous bords qui se demandent à quoi elle sert.
« Modernistes », c’est-à-dire partisans sur tous les sujets de l’idéologie dominante fondée sur une histoire supposée à sens unique, sur le « sens de l’histoire ».
Idéologie, sens de l’histoire, cela veut dire que certains sont en avance, d’autres en retard. Comme il est de fait que toute idéologie s’éloigne du bon sens, sont en « arrière » les gens normaux, les gens de bon sens, les raisonnables, les sages.
Ceux qui, parmi les sénateurs, ont une vue trop courte des choses s’imaginent qu’en cessant d’être normaux, en abandonnant le bon sens pour suivre l’air du temps, ils seront mieux tolérés, qu’ils achèteront, eux qu’on croit dépassés, un droit de survie. Ils s’imaginent aller de sursis en sursis, de concession en concession, encore un peu plus loin. « Encore une minute, Monsieur le bourreau. »
Or dans la vie, c’est l’inverse. Ce sont les feuilles sèches, celles qui, apparemment, ne servent plus à rien qui tombent de l’arbre et s’envolent.
Pour exister, il faut résister.
Ceux qui résistent à l’air du temps seront vilipendés. Ils seront l’objet de décri public, de haine, de mépris , surtout de nos jours où l’intolérance des woke passe toute mesure, mais ils manifesteront qu’ils existent qu’ils ne sont qu’une institution coûteuse et sans objet . Qu’ils plaisent ou non, on ne pourra pas dire qu’ils ne servent à rien . Et le jour venu, on les respectera . Si quelqu’un veut supprimer le Sénat, il se trouvera assez de monde pour apprécier ses prises de position et faire du bruit. Sinon, il n’y aura plus personne pour le défendre et personne ne s’apercevra de sa disposition.
Pour parler comme Pascal, suivre l’air du temps est le fait des demi-habiles, lui résister est le fait des habiles.
D’autant qu’aux niveaux invraisemblables de discrédit qu’atteint l’actuel gouvernement de la France , sans doute sans précédent, tout ce qui s’oppose à lui, quel qu’en soit le sujet, même ceux sur lesquels il est approuvé, recueille l’appui de l’opinion.
Eperons que là majorité sénatoriale qui s’oppose à la constitutionnalisation de l’avortement le comprendra.