Question souvent posée, sur laquelle l’abbé Rabany a donné une conférence, diffusée sur Claves. Extrait :
[…] C’est la question habituelle : « qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? » La question est biaisée et ne devrait pas être posée ainsi, comme si chaque épreuve faisait suite à une faute passée : c’est le cas parfois, mais cette réflexion culpabilisante ajoute un mal au mal. Le bon Dieu permet parfois une épreuve pour notre bien, notre purification, pour nous détacher du péché et nous attirer à lui. S’il y a une relation entre notre péché et le mal subi par nous, en règle générale elle est plutôt indirecte : l’épreuve n’est pas une punition mais un remède pour notre salut ; c’est en la considérant ainsi que nous pourrons la faire tourner en bien, en l’offrant en sacrifice en union à celui du Christ.
Dieu et la cause du péché
Dieu ne peut être cause du mal, puisqu’il est un non-être ; saint Thomas pose cependant une question redoutable : Dieu est-il cause de l’acte du péché (en tant qu’acte, et non en tant que péché) ?
Tout acte est de l’être : si je pose un acte, c’est grâce à Dieu. Il faut dire que Dieu est bien cause de l’acte, mais pas de son caractère désordonné, et donc pas du péché.
Ainsi nos actes bons ont Dieu pour cause première et notre volonté pour cause seconde ; nos actes mauvais en revanche, ont Dieu pour cause première en tant qu’acte, et la volonté pour cause seconde, mais l’absence de rectitude morale de l’acte ne vient pas de Dieu, il est entièrement de la volonté désordonnée de l’homme. En pratique, c’est pour cela que l’on rend grâces dans la prière pour les actes bons que nous avons faits – ils viennent d’abord de Dieu, et que l’on demande pardon pour les actes mauvais – ils viennent d’abord de nous.
Cela peut permettre d’éclairer le mystère de notre inclination au mal : en se détournant de la volonté de Dieu, nous répondons à la tentation de nous faire la cause première de nos actes – au moins en partie. C’est bien le péché de Lucifer et sa tentation au Jardin : « vous serez comme des dieux ». Ce n’est bien sûr qu’une illusion, car nous ne sommes alors cause que du non-être, du rien.
« Sans moi, vous ne pouvez rien faire[3] »
« Sans moi, dit Dieu, vous ne faites jamais que le rien[4] »
Si Dieu est bon, pourquoi le mal ?
On en arrive alors à la grande objection posée à l’existence de Dieu. Pour y répondre il faut comprendre que Dieu ne peut être cause du mal, car celui-ci n’est qu’une privation, il vient donc de l’imperfection des créatures, de leur caractère matériel, et de la liberté de l’homme.
La foi éclaire ce mystère quant au mal qui nous touche personnellement : Dieu avait créé les premiers parents dans un état qui les exemptait de toute souffrance (la justice originelle), c’est la catastrophe du péché qui a brisé cette harmonie. Cette révélation n’est cependant pas sans porter une espérance immense, car l’homme n’a pas été créé mauvais, et le mal n’est pas sans remède.
On entre alors dans le mystère plus profondément : Dieu, infiniment bon, peut permettre le mal, mais il ne le ferait pas s’il n’était pas en mesure d’en tirer un bien plus grand.
« Dieu ne permettrait pas que le mal survienne dans sa création s’il n’était pas assez bon et assez puissant pour faire jaillir de ce mal, un bien. » (saint Augustin)
On dit bien que Dieu permet le mal : il ne le veut pas, il aurait pu vouloir un monde sans mélange de mal, mais a choisi, pour un plus grand bien, ce monde où le mal est possible.
L’Église contemple donc le mystère de la souffrance et le vit avec les hommes, mais elle le contemple dans le visage du Christ, qui n’est pas venu répondre à toutes nos objections humaines, mais donner un sens à ce mystère, en souffrant avec nous, en prenant sur lui le poids de nos maux. La Rédemption transforme ce qui nous est contraire en un sacrifice agréable à Dieu, et nos souffrances peuvent à la suite de celles du Christ être tournées en grâce de salut.
« Si nous souffrons avec lui, avec lui nous régnerons. » (2Tm 2, 11)
« Bienheureux ceux qui voudront porter la croix avec Jésus. Ils seront portés par elle là où ils ne voudraient pas aller, mais où il est meilleur pour eux d’aller. » (Cal Journet, Le mal)
« Nous savons que le mal est plus visible que le bien ; mais le bien est plus durable que le mal, il mine les constructions du mal qui s’effondrent l’une sur l’autre. Nous croyons que si le mal, à un moment de l’histoire, devait primer le bien, Dieu ferait sauter la machine du monde. » (ibid.)
« Il n’y a au fond, qu’un mal suprême, qui peut vicier tous les biens et hors duquel, il ne faut rien craindre, c’est le péché. Et qu’un bien suprême qui peut illuminer tous les maux et pour lequel il faut tout donner : c’est la charité. » (ibid.)