De l’abbé Lelièvre, dans La Nef, à propos de la prochaine loi de bioéthique :
Dans les prochaines semaines, l’Assemblée nationale entamera ses travaux sur la révision des lois bioéthiques. Au programme : la PMA pour les couples de femmes, mais pas seulement. La loi pourrait proposer d’autres types de modifications que nous devrions prendre la peine de regarder en détail : allongement de la durée de manipulation des « embryons surnuméraires », autorisation de l’autoconservation ovocytaire afin de pouvoir mieux organiser sa carrière, ou encore possibilité de créer des embryons transgéniques afin de favoriser la recherche. Nous sentons bien que derrière ces nombreuses possibilités techniques se dessine une société différente de celle que nous connaissions. La loi naturelle est de plus en plus rangée au rang des curiosités d’un autre temps, et fait place progressivement à une nouvelle société de tous les possibles. Dans cette société, le projet parental prime sur l’existante concrète de l’enfant, et le Bien se confond avec le pouvoir de l’Homme sur le vivant. Nous réalisons petit à petit que nous passons d’un monde marqué par l’anthropologie chrétienne à un monde différent, apparemment sans limite et intrinsèquement hédoniste.
Questionné en janvier dernier par les députés sur le bienfait des recherches embryonnaires, le docteur Marc Peschanski déclarait que les cellules souches embryonnaires étaient « un matériau biologique exceptionnel sans aucun équivalent ». Pour preuve : « en mars 2017, une équipe de chercheurs anglais […] a permis à deux patients atteints de cécité de retrouver la vue ». Deux visions du monde se font face. Dans l’Évangile, Jésus rappelle : « Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde », puis il prend de la boue et de la salive, l’applique sur les yeux de l’aveugle et l’envoie se baigner dans la piscine de Siloë. L’aveugle retrouve alors miraculeusement la vue. Dans notre monde, ce sont les médecins qui redonnent la vue, grâce à des cellules-souches « d’embryons surnuméraires sans projet parental ». Dans ce monde, 50 % des Français sont encore opposés à la PMA pour les couples des lesbiennes. Mais 64 % des 18-24 ans y sont favorables. Ce monde, de moins en moins chrétien, est pourtant celui dans lequel nous sommes envoyés.
Ce constat peut sembler terrifiant, et dans une large mesure il l’est. Pouvons-nous encore agir ? Que faire face à ces nouvelles lois ? Sommes-nous condamnés à n’être qu’un grain de sable de moins en moins efficace dans les rouages d’un Progrès devenu fou ?
Face à cette situation de crise morale, l’action chrétienne risque plusieurs écueils. Le premier serait de ne rien faire. S’isoler, dans une version mal comprise d’un Pari Bénédictin stérile, en attendant que l’orage passe. Les premiers chrétiens ne bénéficiaient pas d’un climat philosophique et politique particulièrement favorable. L’efficacité politique de leur témoignage s’est souvent résumée à la mort dans la puanteur des prisons romaines. Pourtant, grâce à Dieu, leur témoignage a converti la Terre.
Un autre risque serait de proposer un discours moralisateur, désincarné, en ajoutant la PMA en haut de la liste des interdits chrétiens que nos contemporains ne comprennent pas. Nous n’avons pas foi dans l’interdiction de la PMA ou dans celle de l’avortement. Nous avons foi en Jésus Christ ressuscité, et à l’Évangile de la Vie qu’Il nous a confié. Nos combats pour la Vie, aussi légitimes soient-ils, n’en sont qu’une conséquence.
Un dernier risque enfin, plus insidieux, serait d’intérioriser la dialectique du Monde, en opposant la Foi et la Raison. Concrètement, cela reviendrait à cacher notre Foi, voire à la renier de manière tactique afin de mieux convaincre nos contemporains. Certes, l’opposition à la recherche embryonnaire ou la PMA pour les couples de lesbiennes peut être indépendante de la Foi chrétienne. Libre à nous d’aller chercher dans notre monde les Hommes de bonne volonté qui, pour diverses raisons, cherchent encore à discerner le bien et le mal. Mais pour autant, peut-on renier notre Foi ? Qui pensons-nous tromper ?
Souvenons-nous simplement qu’il ne nous revient pas de convertir avec nos propres forces, mais seulement de dire, et d’essayer autant que possible de « rendre témoignage à la vérité », en utilisant aussi notre intelligence. Le reste ne nous appartient pas.
Espérons que cette fois encore, une minorité créative parle au monde et témoigne de l’Évangile de la Vie, dont nous fêterons les 25 ans en mars prochain. Prions pour que chacun de nous ait la force de témoigner dans nos paroisses, dans nos entreprises, dans nos écoles, dans nos administrations. « Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde ». Et si de fait, la solution était de mettre le Feu de l’Évangile au cœur de ce monde ?
C.B.
Reprenons à notre compte l’argument de bon sens de Bernadette Soubirous: je ne suis pas chargée de vous convaincre, je suis chargée de vous dire.