Célibataire sans enfant de 63 ans, Martine a été enceinte à 4 reprises : deux avortements, une fausse couche et une mort in-utéro. Elle a longtemps enfoui ce pan de son histoire marquée par des épreuves en série avant de la revisiter, suite à sa conversion. Elle est interrogée par Raphaëlle Coquebert sur Louis et Zélie. Extraits :
Votre première grossesse n’était pas voulue, car vous aviez juré de ne pas avoir d’enfant. Pourquoi ?
Parce que j’ai eu une relation extrêmement néfaste avec ma mère. Elle n’en avait que pour mon frère aîné et j’étais son souffre-douleur. Chauffeur routier, mon père était aux abonnés absents. Je crois qu’il n’a jamais vraiment su que sa femme, très portée sur la boisson, m’injuriait et me frappait à qui mieux mieux. J’ai relaté dans mon livre ou ailleurs cette enfance toute de douleur, qui m’a marquée au fer rouge. Jusqu’à cette violente prise de bec avec ma mère qui m’a jetée dehors à six mois de mes 18 ans.
Qu’est-il advenu alors ?
Une plongée dans les ténèbres de la rue. Alcool, drogue, violence. Et sexualité déshumanisante, là où je cherchais désespérément de l’amour… Heureusement, en devenant majeure, je pouvais prétendre à un logement octroyé par l’Etat. Durant 6 ans, un élan de vie m’a permis de me reconstruire : j’ai jonglé entre petits boulots et cours par correspondance. J’ambitionnais de rentrer dans la Police et j’y suis parvenue. J’ai pensé que c’en était fini de mes errances, qu’une nouvelle page de ma vie commençait.
Ça n’a pas été le cas ?
D’un certain côté si puisque j’avais un travail et que je me suis engagée dans une relation stable avec un gendarme avec lequel je suis restée 15 ans. Mais ma vision de la famille était si abîmée que je ne voulais pas entendre parler de mariage ou d’enfant… Devant son insistance, j’ai fini par l’épouser, à 30 ans, en 1991. J’ai cru alors le bonheur possible, même si je réalise avec le recul que je ne savais pas aimer. Quand on n’a soi-même jamais reçu d’amour, vous savez…
Par contre, les enfants, c’était niet. La relation toxique que j’avais eue avec ma mère me rendait incapable de me projeter moi-même dans la maternité. Mais il a suffi, en 1994, d’un oubli de pilule pour contrecarrer mes plans. Mon mari, lui, désirait ardemment fonder un foyer. Enfant unique choyé par ses parents, comment aurait-il pu comprendre mon affolement à l’annonce de cette grossesse ?
Savait-il combien vous aviez été maltraitée par votre mère ?
À peine. À l’époque, j’étais très renfermée, je sortais peu, je ne voyais ni famille ni amis, je gardais tout pour moi. Il ne connaissait mon histoire que dans les grandes lignes : par réflexe de protection, je l’avais enfouie au plus profond de mes entrailles. Elle m’a explosée à la figure au moment de cette grossesse. Crises de larmes, crises de panique, je ne pouvais pas concevoir d’avoir un enfant – je ne parlais même pas d’enfant du reste… Au centre de planification, personne n’a cherché à comprendre ma détresse. « Pourquoi vous mettre dans un état pareil, m’a-t-on lancé ? On va faire tout ce qu’il faut pour régler votre problème… »
C’est comme ça que vous avez pris rendez-vous pour avorter ?
Oui, sans même en avertir le papa. J’en ai éprouvé de la culpabilité, mais il était tellement en décalage avec ma souffrance intérieure… Nous ne parvenions pas à nous comprendre. Ça a été terrible. (Elle répète le mot à trois reprises). 30 ans après, j’en ai encore des frissons. À l’hôpital, personne ne s’est soucié de moi. Personne. Le médecin m’a à peine adressé la parole, alors que je pleurais toutes les larmes de mon corps. Pas un geste d’humanité, pas une main tendue. C’est encore à vif en moi.
Et après ?
Une fois encore, j’ai tout enfoui. Je me suis réfugiée corps et âme dans le travail pour éviter de penser. Le temps a passé, mon mari revenait à la charge : « et si nous fondions une famille ? » Moi, je n’étais pas bien certaine d’en être capable, mais j’avais si peur de le perdre ! Je n’avais que lui dans ma vie… Aussi ai-je accepté d’arrêter ma contraception. Mais je n’avais pas fait de travail sur moi, je n’étais pas plus prête qu’avant… À la vue du test de grossesse positif, l’angoisse m’a à nouveau saisie. Sauf que là j’ai trouvé des oreilles attentives. À commencer par le médecin qui m’a auscultée et qui s’est étonné que je fonde en larmes. Je me suis mise à hurler « Elle me crachait dessus, elle me crachait dessus, elle me crachait dessus ! » Il m’a demandé avec douceur « Qui vous crachait dessus ? » « Ma mère. »
Pour la première fois de ma vie, quelqu’un s’intéressait à moi et m’écoutait [Martine se met à pleurer] ! J’ai tout déballé. Il m’a donné les coordonnées d’une psychologue : « Vous êtes sur le fil du rasoir, j’ai peur pour vous, allez-y absolument. » C’est comme ça que j’ai commencé à décrypter mon passé.
Ces consultations vous ont-elles aidée à y voir plus clair ?
J’avais envie de mener cette grossesse à terme, mais mon mari n’a pas voulu assister aux séances, comme le lui suggérait la psychologue. Il est venu à la première, puis il a lâché l’affaire. J’étais encore très fragile et quand il a fallu faire un choix pour ne pas dépasser le délai légal d’avortement, la professionnelle m’a glissé : « Je ne suis pas sûre que vous y arriverez. »
Ainsi ai-je pris rendez-vous pour une deuxième IVG. Sur le coup, il m’a semblé que c’était le moindre mal…
Quel a été l’impact de ce deuxième avortement sur votre couple ?
Désastreux. Mon mari se sentait trahi, la communication s’est tarie entre nous, nous vivions comme en parallèle. Et puis, une bonne année a passé, je continuais ma thérapie, je me croyais plus forte. J’ai pensé que l’heure d’envisager une troisième grossesse était arrivée. Je l’ai envisagée plus sereinement en effet… mais j’ai fait une fausse couche.
Trois mois après, mon mari me pressait de tenter une nouvelle fois d’avoir un enfant. C’était trop tôt, mais de même que j’avais été soumise à ma mère, je me suis soumise à ses desiderata. Je n’ai pas su dire clairement et fermement que j’avais besoin de plus de temps. Quand ma grossesse s’est arrêtée, à trois mois, j’ai compris que notre couple ne s’en relèverait pas. Un cri d’amertume s’est élevé en moi, une colère folle envers ma mère : « Tout est de ta faute, tu as tout détruit en moi. »
Commence alors une lente descente aux enfers.
Oui, nous avons divorcé, je me suis retrouvée une seconde fois à la rue, j’étais un zombie, ma vie n’avait aucun sens. J’ai décidé de me tirer une balle dans la tête. C’était vite vu, j’avais une arme de service.
Sauf que le Seigneur ne l’entendait pas de cette oreille.
Le Seigneur ? Vous étiez croyante ?
Pas du tout, même si j’avais été baptisée par tradition. Qu’est-ce qui m’a poussée à entrer dans une église un dimanche où j’errais dans la rue ? Je ne saurais dire… C’était en pleine messe, et les mots de l’homélie3 m’ont touchée au cœur. J’ai déjà raconté par ailleurs mon chemin de conversion, cet avant et cet après dans ma vie. Pourquoi le Seigneur est-Il venu me chercher, moi ? Je l’ignore. Mais Il est venu et Il a tout restauré. […]