L’abbé Jean de Massia, prêtre de la Fraternité Saint-Pierre, à l’origine de Claves, doctorant et professeur de théologie dogmatique au séminaire Saint-Pierre de Wigratzbad, publie aux éditions Téqui le résultat de son travail de licence : une théologie thomiste du sacrifice à la lumière des lectures du P. Michel-Louis Guérard des Lauriers.
Pourquoi l’homme, dans sa relation à la divinité, éprouve-t-il le besoin de poser l’acte précis, dramatique, sacré du sacrifice ? Pourquoi faut-il que cet acte soit sanglant, violent, destructeur ? En a-t-il toujours été ainsi ? Qu’est-ce qu’un sacrifice ? La question intéresse celui qui réfléchit à l’homme et à son comportement religieux, comme celui qui réfléchit à Dieu et à son intervention dans l’histoire. Car la foi chrétienne comporte aussi son sacrifice, celui de la Croix, rendu présent sur les autels par l’eucharistie. Mais s’agit-il de la même chose ? Peut-on penser la religion chrétienne sur le schéma des religions païennes, avec ses rites, ses sacrifices, son sacré ?
Pour répondre à ces questions, l’abbé Jean de Massia interroge la théologie, mais aussi la métaphysique de l’acte sacrificiel, à l’école de deux grands dominicains : saint Thomas d’Aquin et l’un de ses disciples récents, le père Guérard des Lauriers. Il nous montre que le sacrifice est au cœur du mystère du salut : l’homme entre en communion avec son Dieu par le sacrifice. Et si le Christ s’est offert sur la Croix, ce n’est pas pour dispenser l’homme de s’offrir, mais au contraire pour lui rendre la capacité d’offrir un sacrifice agréable à Dieu, pour sa gloire et pour notre salut.
Sans négliger les nombreuses remises en cause de la théologie contemporaine au sujet du sacrifice, un thème dont les supposés relents païens donnent la nausée à certains auteurs modernes, même parmi les catholiques, l’abbé de Massia envisage tout d’abord les principales objections aujourd’hui soulevées contre la persistance du sacrifice dans la religion de la nouvelle alliance.
Il envisage ensuite son sujet dans le cadre plus large de l’anthropologie religieuse (notamment à partir des travaux de Rudolf Otto, Mircea Eliade ou Julien Ries), puis dans l’horizon biblique de l’Ancien Testament.
Avançant jusqu’au Nouveau Testament, l’abbé de Massia relève que les différents sacrifices identifiés dans le contexte vétérotestamentaire ne sont pas reniés mais assumés et sublimés par la nouvelle alliance, qui les fond en l’acte d’offrande ultime posé par Jésus sur la croix.
Le vrai sacrifice
Le sacrifice est donc naturel à l’homme, en même temps que clairement voulu par Dieu. Quel est cependant le « vrai sacrifice » que désire le Seigneur ? Reprenant l’acception complexe du terme « verum sacrificium » chez saint Augustin, l’abbé de Massia montre qu’elle n’est en rien contradictoire avec la vision plus complète que donne saint Thomas quelques siècles plus tard. Le sacrifice est ainsi un acte intérieur d’offrande, manifesté extérieurement par un signe sensible, qui prend souvent (du moins après le péché originel) la forme d’une immolation. Sa finalité est double : reconnaissance de la majesté divine et de la dépendance absolue de l’homme, et recherche d’une communion transcendante.
Le sacrifice et le péché : le sacrifice racheté
A la suite des pénétrantes intuitions du P. Guérard des Lauriers, l’abbé de Massia peut enfin appliquer la notion de sacrifice à notre monde marqué par le péché originel et à la condition particulière de l’homme déchu. Le sacrifice, toujours dû par l’homme en justice, ne peut plus être posé d’une manière acceptable par Dieu. Il faudra qu’un homme-Dieu, seul capable d’unir en lui-même une victime parfaite et un prêtre saint, offre au Père un sacrifice parfait, pour que le sacrifice soit racheté et que l’homme puisse retrouver un chemin de retour vers Dieu. Ce sacrifice unique est le sacrifice du Christ, auquel la vie chrétienne consiste par conséquent à participer et à s’unir en vérité, en particulier dans l’offrande de soi à la messe.
Ce dernier développement permet à l’abbé de Massia d’insister avec fruit sur la nécessité de l’offertoire et sur la richesse de son développement dans les prières du missel romain ancien, tel que célébré par les prêtres de la Fraternité Saint-Pierre notamment. Les derniers chapitres du livre, d’une belle portée spirituelle, nous encouragent tous, prêtres et fidèles, à faire de la messe le centre réel de notre vie, articulé sur ce point nodal qu’être l’offertoire, instant privilégié où notre sacrifice, malgré son imperfection, peut être inclus dans celui du Christ et offert avec lui au Père, en un acte d’une portée et d’une valeur salvifiques infinies.