Après l’excellent article de Thibaud Collin, c’est le tour de cinq dominicains professeurs de théologie de dénoncer l’ouvrage d’Adriano Oliva qui fait la promotion de ce qu’on peut appeler un « thomisme gay ». Par ailleurs, la Revue Thomiste prévoit une réponse doctrinale de plus grande ampleur, mais le calendrier éditorial fait que ce ne sera pas avant le mois de juin. L’article des 5 dominicains se trouve en ligne sur le site de la revue Angelicum, de l’Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin à Rome. Il existe une traduction française : Thomas d’Aquin et l’homosexualité - Cinq dominicains répondent à Adriano Oliva :
"1) Première erreur : Séparer le lien du mariage du bien des enfants
Oliva sépare les deux parties essentielles du mariage que Thomas d’Aquin tient fermement ensemble. Saint Thomas note que le mariage s’établit par le consentement du couple. Ce qui survient dans la cérémonie de mariage. Pour saint Thomas, le lien du mariage a une double finalité : 1) la procréation et l’éducation des enfants, et 2) la croissance du couple dans l’amour et le soutien mutuel à travers leur vie commune. Pourtant Oliva prétend que, pour saint Thomas, la procréation ne fait pas partie de « l’essence du mariage » (Amours, p. 20). Comme le montre la conclusion du livre, Oliva soutient que saint Thomas peut nous aider à penser le mariage dans une complète abstraction de la procréation et du bien des enfants. Il déclare (p. 113) : « De même que dans le couple hétérosexuel chacun est poussé à se transcender dans l’amour de l’autre, et ceci non à travers l’ouverture à la procréation qui ne fait pas partie de l’essence du mariage, mais à travers l’amour indissoluble pour le conjoint … ».
Rien de tout ceci se trouve dans saint Thomas. Bien au contraire, le Docteur angélique insiste sur le fait que « le bien des enfants est la fin principale du mariage » (Commentaire sur les Sentences, livre 4, distinction 33, question 1, article 2, corpus). Nulle part saint Thomas ne dit que le bien des enfants est optionnel pour le mariage. Là où saint Thomas unit l’amour mutuel du couple et la charge de leurs enfants, Oliva divise.
2) Deuxième erreur : l’Église peut formellement permettre certains actes sexuels extra-conjugaux
Oliva insiste sur le fait de séparer le mariage des enfants. De manière prévisible, les conséquences pastorales de cette prétention sont d’une grande portée. Il soutient que les conciles de Trente et de Vatican II ont tenu l’enseignement de Thomas d’Aquin sur le mariage (c’est-à-dire, Thomas lu par Oliva). Il conclut que (p. 128) « l’union sexuelle ne fait pas partie de l’essence du mariage, comme l’enseignent le Catéchisme du concile de Trente et le concile Vatican II, et que par conséquent l’exercice de la sexualité entre divorcés remariés [civilement] ne porte pas atteinte au lien sacramentel précédent. » Par conséquent, l’Église ne peut user du pouvoir des clefs pour dispenser de tels couples de l’obligation de vivre la continence parfaite.
Cet ahurissante assertion d’Oliva n’a rien à voir avec Thomas d’Aquin, le Catéchisme de Trente ou Vatican II. Bien plutôt, elle résulte directement de son interprétation erronée de Thomas d’Aquin sur le mariage, de sa lecture fautive qui se poursuit dans son emploi de divers textes du Magistère. Il fait même appel à l’encyclique de Paul VI Humanae Vitae (paragraphes 8-10) pour faire valoir que l’exercice de la sexualité par un couple légitimement marié est indépendant de la nécessité de procréer (p. 49). En d’autres termes, le Pape Paul VI enseigne que le sexe n’a rien à voir avec les bébés. Nous trouvons que cette interprétation est tout simplement ridicule. L’étudiant dont un travail écrit aboutirait à une telle conclusion recevrait une note éliminatoire dans toute faculté de théologie digne de ce nom.
3) Troisième erreur : les couples divorcés remariés ne pèchent pas s’ils manquent à la continence
Oliva en appelle à une doctrine morale classique tenue par Thomas d’Aquin et de nombreux autres saints théologiens, à savoir, que les circonstances ont une incidence sur l’imputabilité d’un acte peccamineux. Oliva se demande si les couples divorcés remariés qui sont tenus à la continence sont coupables d’un péché quand ils chutent. Sa réponse est très simple : pas du tout. En général, de tels couples commettent soit un péché véniel, soit même aucun péché, pense-t-il (p. 71).
Il est évident que l’acte en question concerne une matière grave, à savoir, la pratique de l’acte conjugal avec une personne qui n’est pas son propre conjoint. Oliva n’explique pas pourquoi les circonstances éliminent cette culpabilité. Le lecteur semble être encouragés à poser un acte de foi envers l’auteur, puisque aucun argument clair n’est avancé. Une telle proposition rend évidemment inutile tout effort visant à promouvoir la continence chez les personnes divorcées et remariées. L’ouvrage d’Oliva est pastoralement irresponsable.
4) Quatrième erreur : les actes homosexuels peuvent être naturels et sains
La proposition “thomiste” d’Oliva la plus audacieuse est la suivante: les relations homosexuelles peuvent être moralement bonnes. Toute son argumentation repose fondamentalement sur la séparation entre le mariage et la progéniture (mentionnée plus haut) et son interprétation fallacieuse d’un unique texte de Thomas d’Aquin dans la Somme de Théologie.
Le passage en question (Ia-IIæ, q. 31, art. 7) considère le plaisir d’un point de vue métaphysique. Thomas aborde cette question parce qu’il veut expliquer comment quelqu’un peut prendre plaisir à quelque chose qui, à proprement parler, est contraire à la nature de l’homme. Il explique que certains plaisirs sont particulièrement attachées au corps : la nourriture, le sommeil, etc. Ces choses sont bonnes pour tous les animaux, et pas seulement pour les êtres humains. D’autres plaisirs trouvent leur origine dans l’âme, ce qui fait qu’on ne les rencontre pas chez la plupart des animaux, ou même chez aucun en dehors de nous. Ensuite, il peut arriver que ce qui est contre nature pour les êtres humains en général puisse se révéler être de quelque manière “naturel” pour certains individus, parce que leur nature a été altérée. Par exemple, certaines personnes malades prennent plaisir à manger de la terre. Ce n’est vraiment pas naturel pour eux, explique saint Thomas, mais il est plus juste de le comprendre comme une corruption de leur nature. Ce qui est contre nature pour la plupart (manger de la terre) devient “naturel” pour eux, mais seulement d’une manière qualifiée.
Thomas d’Aquin déclare ensuite que, du fait de mauvaises “coutumes“ ou habitudes, certains hommes finissent par trouver du plaisir dans le fait de manger des êtres humains, ou dans l’union sexuelle avec des animaux ou d’autres hommes [mâles] (coitu bestiarum aut masculorum). Ainsi, pour certaines personnes, le cannibalisme, la zoophilie, ou les rapports homosexuels peuvent devenir agréables et quasi-naturels, parce que les actes passés peccamineux ont déformé leur nature.
Oliva fait l’éloge de ce texte. Il croit qu’il montre que les actes homosexuels sont naturels pour les personnes homosexuelles. Et ce qui est naturel doit être bon ! Aussi, pour Oliva, Thomas d’Aquin place l’origine de l’inclination homosexuelle dans l’âme de la personne homosexuelle. Autrement dit, cette inclination provient de la partie la plus intime de son être, et elle pousse à l’acte sexuel. Oliva conclut que nous pouvons distinguer entre le sexe gay recherché simplement pour le plaisir physique et le « sexe gay tendre » qui vient du plus intime de la personne homosexuelle (p. 84-86, 105). En effet, les personnes homosexuelles sont appelées à vivre l’inclination qui est naturelle pour elles, à savoir, dans la fidélité à une autre personne du même sexe, et de jouir des actes sexuels non pas principalement pour le plaisir, mais comme des expressions de l’amour. L’Église devrait bénir de telles unions (p. 109-110, 114).
Maintenant, si, comme Oliva le soutient, saint Thomas veut dire que l’inclination homosexuelle vient de la partie la plus intime de l’âme de la personne, alors la même lecture doit s’appliquer à la mention que fait saint Thomas du cannibalisme et de la zoophilie. Pourtant cela est clairement absurde. Thomas d’Aquin ne peut pas vouloir dire que les cannibales et les pratiquants de la zoophilie suivent les penchants du plus intime de leur être. C’est précisément pourquoi Thomas fait mention des habitudes. Pourquoi ces trois vices proviennent tous de l’âme ? Parce qu’on les trouve surtout parmi les êtres humains. Les vaches ne mangent pas de vaches. Thomas pense que la plupart des animaux ne pratiquent pas les trois vices mentionnés. La prétention d’Oliva que, pour Thomas, certaines personnes sont nées avec une âme homosexuelle, est aberrante d’un point de vue de l’interprétation textuelle. Cela signifierait que, pour saint Thomas, d’autres sont nés avec une âmes cannibale, et d’autres avec une âme zoophile.
Ici, nous ne voudrions pas que nos lecteurs se méprennent sur ce que nous sommes en train de dire. Tous les êtres humains, indépendamment de leur inclination sexuelle ou “orientation“, ont une dignité intrinsèque, sont aimés par Dieu, sont sujets de la miséricorde et de la grâce de Dieu, et peuvent mener une vie de sainteté. (Nous mentionnons ensemble le cannibalisme, la zoophilie, et les actes homosexuels uniquement parce que l’argumentation d’Oliva le fait. Et nous ne disons pas non plus que ces trois comportement sont moralement équivalents. Pas plus d’ailleurs que saint Thomas qui pense qu’ils sont d’espèces morales différentes. Mais saint Thomas les groupe ensemble ici pour montrer que chacun est contraire à la nature quoique parfois recherché par certains individus). L’affaire qui nous occupe est strictement l’évaluation morale des actes homosexuels. « Les personnes homosexuelles », en revanche, « sont appelées à la chasteté. Par les vertus de maîtrise de soi qui leur enseignent la liberté intérieure, parfois par le soutien d’une amitié désintéressée, par la prière et la grâce sacramentelle, ils peuvent et ils devraient progressivement et résolument approcher la perfection chrétienne » (Catéchisme de l’Église catholique, no. 2359).
Conclusion
Dans l’ensemble, nous trouvons la lecture d’Oliva non seulement fausse mais irresponsable. Les principes d’interprétation des textes les plus élémentaires ne sont pas respectés. En outre, le genre populaire du livre a la capacité de créer une grande confusion parmi les fidèles catholiques. Pour cette raison, nous ressentons une forte obligation morale d’apporter une réponse aux thèses d’Olive."