Le Père Guillaume de Menthière est prêtre du diocèse de Paris depuis 1991. Actuellement curé de Notre-Dame de l’Assomption de Passy (XVIème) il est aussi enseignant au Collège des Bernardins et conseiller théologique de l’Association des Œuvres Mariales. Il est l'auteur de la méditation pour la Neuvaine pour la France.
Sœur Joséphine (V2014) et le Grand Charles
Et pourtant c’est bien vrai que Dieu est grand ! Mais pas comme ils le pensent, pas comme ils le croient, pas comme ils osent prétendre en témoigner. La petite sœur Joséphine nous l’avait dit un jour tandis que le muezzin hurlait, assommant de décibels le ciel de Nazareth. « Ils ne peuvent pas comprendre, avait murmuré la vieille clarisse en hochant la tête, pensez-donc, Dieu bébé ! Ils ne peuvent pas comprendre ». Le contraste était saisissant pour les pèlerins que nous étions entre la voix douce, mâtinée d’un délicieux accent libanais, et les haut-parleurs, cracheurs de Coran. En arrière-fond Joséphine nous faisait imaginer le tout petit village qu’elle avait connu autrefois, quand en 1936, elle était arrivée à l’âge de 20 ans, jeune novice au couvent de Nazareth. Depuis le temps de la Sainte Famille, le hameau n’avait guère changé. En venant, près de 2000 ans après Jésus, s’enfouir dans ce trou, Joséphine avait pu ressentir dans sa chair ce qu’était la vraie « grandeur de Dieu ». Celle de la Parole qui se fait silence, de la Puissance qui se rend vulnérable, de la Lumière qui se tamise… « Vivre obscur quand il ne tient qu’à soi de resplendir, voilà ce qui est proprement divin. » dit un héros de Montherlant.
Pourquoi donc me revient le souvenir d’une sœur libanaise vivant en Israël et décédée il y a tout juste un an quand je pense à la France ? Sans doute parce qu’elle avait une façon inimitable de faire entendre aux pèlerins français que nous étions la mission particulière de notre pays. Personne ne témoignait mieux qu’elle de la vocation spécifique de sainteté dévolue à la France. Elle évoquait le roi saint Louis, pèlerin de Nazareth, à qui le pape Grégoire IX avait écrit en 1239 : « Dans l’ancienne Loi Juda avait la préséance sur les autres tribus, ainsi le Royaume de France a été placé par Dieu au-dessus de tous les peuples(…) Le Seigneur choisit la France de préférence à toutes les autres nations de la terre pour la protection de la foi catholique ».
Sœur Joséphine pensait cela et elle le disait. Elle souscrivait sans sourciller à cet oracle du Grand Charles : « La France est une certaine donnée spirituelle de l’histoire ou elle n’est rien ». Pourtant le Grand Charles, pour elle, ce n’était pas le Général de Gaulle. C’était l’ancien jardinier du couvent des clarisses, ce petit homme arrivé là en 1897 pour vivre l’enfouissement évangélique et la spiritualité de l’Incarnation. Dans un dépouillement extrême il était déjà Charles de Jésus, radicalement donné au Christ.
Je revois Sœur Joséphine exhibant devant nous deux photos de Charles de Foucauld et nous disant avec insistance : « il est venu chez nous mais il est des vôtres ! Ne l’oubliez pas, il est homme de France, il est des vôtres ! »
Lequel des deux était des nôtres ? Car les deux portraits étaient si contrastés qu’on se demandait s’il pouvait bien s’agir du même homme. Quelle différence entre cet officier replet au regard terne et ce moine efflanqué aux yeux de braise ! A peine quelques années entre ces deux photographies. Charles n’était plus le même. C’était lui, encore, mais ce n’était déjà plus lui. C’était, comme dit l’Apôtre, le Christ vivant en lui. De même que les disciples après Pâques avaient eu bien du mal à reconnaître Jésus, il semblait qu’il y ait eu pour Charles une sorte de Résurrection, une métamorphose. Il était sorti du confessionnal de l’abbé Huvelin comme on sort du tombeau, vivant, tout à coup !
Il y a tant dans la vie du Bienheureux Charles de Foucauld ! Toutes les dimensions problématiques de la France actuelle semblent déjà présentes dans le parcours de cet officier jouisseur et mécréant devenu le frère universel. Consumérisme, guerres, corruption, dette, libertinage, colonies, indiscipline, mécréance, immigration, Islam, anti-cléricalisme …. C’était à cette époque de « bagne matérialiste », si bien décrite par Paul Claudel, où « tout ce qui avait nom dans l’art, les sciences et la culture était irréligieux ».
Le Père de Foucauld est mort assassiné. Par des terroristes, dirait-on aujourd’hui. C’était dans son ermitage du Sahara, au temps de la France de Dunkerque à Tamanrasset…Lors de sa béatification, en 2005, des Touaregs étaient présents à Rome autour du pape Benoît XVI. Sœur Joséphine était-là, elle aussi. Quelle chance ! Elle en rougissait encore d’un bonheur malicieux. Elle nous montrait avec fierté cette dernière photo ou un pape allemand saluait des Touaregs du Mali sous l’œil ravi d’une religieuse libanaise. « C’était pour l’un des vôtres, poursuivait-elle, un de France, la fille aînée, la sœur universelle » !