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Tribune libre

Un an de « rétablissement » de la démocratie et de l’État de droit en Pologne avec le soutien de Bruxelles

Un an de « rétablissement » de la démocratie et de l’État de droit en Pologne avec le soutien de Bruxelles

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Ce qui se passe en Pologne depuis exactement un an, avec le retour au pouvoir du libéral pro-UE Donald Tusk, illustre parfaitement l’inquiétante dérive de la démocratie libérale en Occident. Une dérive qui s’est exprimée ailleurs par les efforts en vue d’empêcher Donald Trump de se représenter aux élections américaines ou d’interdire à Marine Le Pen de se porter candidate à la prochaine élection présidentielle française. On pourrait encore citer, parmi d’autres exemples de cette dérive, la volonté de dissoudre l’AfD en Allemagne et la récente annulation du premier tour des élections présidentielles en Roumanie.

Et pourtant, tout va pour le mieux désormais en Pologne selon les quelques journaux français qui ont relevé la date anniversaire de l’intronisation de ce troisième gouvernement Tusk entré en fonctions le 13 décembre 2023. Un gouvernement rendu possible par la création d’une coalition anti-PiS avec la Coalition civique de Tusk lui-même (constituée de son parti Plateforme civique, ou PO, d’un autre parti libéral et des Verts), l’alliance centriste Troisième voie (constituée par le parti centriste Pologne 2050 et le parti agraire PSL) ainsi que la Nouvelle Gauche (une alliance de plusieurs partis allant des post-communistes à la gauche LGBT). À en croire certains journalistes français visiblement assez mal informés et sans doutes quelque peu aveuglés par leurs préjugés, ce gouvernement gaucho-libéral étant soutenu et vanté par Bruxelles, il ne peut qu’être plus démocratique et plus respectueux des droits des citoyens que ses prédécesseurs plus conservateurs (« ultra-conservateurs ») et plus souverainistes (« nationalistes »).

Hélas, la réalité se dévoile sous une lumière bien différente si l’on s’intéresse aux faits. Voici donc que vient de s’achever la première année de ce gouvernement dont les composantes s’accordent principalement sur leur hostilité au conservatisme, au catholicisme et au souverainisme, et surtout sur leur haine du parti Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński, même si ce parti social-conservateur s’inscrivant dans la tradition démocrate chrétienne est en réalité nettement moins conservateur et moins souverainiste que ne le dépeignent les médias français. Cette première année a été marquée par des violations des règles de l’État de droit qui sont absolument sans précédent depuis 1989-90, date de la transition de la dictature communiste à un régime démocratique avec une économie de marché, après 45 ans d’occupation soviétique. Non, le PiS, malgré toutes les critiques entendues pendant huit ans, n’a jamais commis des atteintes aux règles de la démocratie et de l’État de droit comme celles commises depuis un an au prétexte justement de « rétablir » l’État de droit.

Notre Institut Ordo Iuris pour la Culture du droit, qui est un des plus gros think-tanks conservateurs en Europe et en tout cas le principal think-tank juridique, a donc profité de cette date anniversaire du 13 décembre pour publier un rapport de 122 pages intitulé « Une année de dévastation de l’État de droit – Les plus importantes atteintes à l’État de droit et aux principes démocratiques de la part du gouvernement de Donald Tusk ». Ce rapport est en polonais, bien sûr, mais nous avons aussi publié en octobre un premier résumé en anglais (https://en.ordoiuris.pl/civil-liberties/year-violations-rule-law-and-democratic-principles-donald-tusks-government-poland) de ces graves atteintes aux règles de la démocratie et de l’État de droit. C’était un an après les élections du 15 octobre 2023 qui ont permis le retour au pouvoir de Donald Tusk en privant la coalition Droite unie menée par le PiS de sa majorité absolue à la Diète (la chambre basse du parlement polonais), ne lui laissant qu’une majorité relative.

Pour le lecteur francophone, voici un bref aperçu de ces violations des règles de la démocratie et de l’État de droit commises, selon le premier ministre Donald Tusk qui a ouvertement reconnu en septembre dernier qu’il prenait effectivement certaines libertés avec le droit, afin, soi-disant, de rétablir l’État de droit en appliquant les principes de la « démocratie combative » :

1. La prise de contrôle par la force des médias publics une semaine seulement après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement de Donald Tusk, en s’appuyant sur des agences de sécurité privées et en court-circuitant le Conseil des médias nationaux, seul habilité à révoquer et nommer les dirigeants de ces médias en vertu de la loi en vigueur en Pologne.

2. En janvier, le ministre de la justice de Tusk révoquait le procureur national sans l’accord du président de la République, en violation de la loi. Les mois suivants, un grand nombre de procureurs ont ainsi pu être mutés ou révoqués sur décision du nouveau procureur national.

3. Le nouveau procureur national nommé par le ministre de la Justice Adam Bodnar a notamment formé une équipe spéciale pour enquêter sur l’utilisation du « Fonds pour la justice » sous le gouvernement précédent. Une enquête qui n’a à ce jour débouché sur aucune mise en accusation devant les tribunaux, mais qui a conduit à plusieurs détentions provisoires, et notamment celle du père Olszewski, responsable de la fondation Profeto, pendant plus de sept mois (https://lesalonbeige.fr/le-calvaire-dun-pretre-catholique-polonais-emprisonne-sans-jugement-par-leuropeen-donald-tusk/), avant que la Cour d’appel de Varsovie ne finisse par ordonner sa libération le 24 octobre dernier. C’est aussi dans le cadre de cette enquête que le parquet cherche depuis plusieurs mois à arrêter un ancien secrétaire d’État du ministère de la Justice, Marcin Romanowski. Les procureurs affectés à cette équipe ont presque tous de bonnes raison d’en vouloir personnellement au gouvernement précédent (du fait de procédures disciplinaires ou de dégradations ou mutations désavantageuses dont ils avaient fait l’objet), ce qui est aussi contraire aux règles.

4. Le ministre de la Justice de Donald Tusk a également remplacé les présidents et vice-présidents des tribunaux à travers le pays, en court-circuitant le conseil de la magistrature à chaque fois que son accord était requis (à chaque fois que le collège des juges d’un tribunal a refusé d’appuyer la décision du ministre), en violation de la loi.

5. Depuis le printemps, le gouvernement de Donald Tusk refuse systématiquement de publier et d’appliquer les jugements du Tribunal constitutionnel polonais, en violation de la Constitution. Le gouvernement du PiS avait lui aussi refusé de publier certains jugements du Tribunal constitutionnel en 2016, mais il s’agissait uniquement de quelques décisions concernant un domaine bien précis ayant trait à l’organisation de son travail et la nomination des juges, et c’était lié à un conflit de compétences entre le Parlement et le Tribunal constitutionnel. Cela avait valu au gouvernement du PiS les premières attaques de la Commission européenne. Une Commission qui, aujourd’hui, n’a rien à redire sur le fait que le gouvernement de Donald Tusk refuse de publier et d’appliquer TOUTES les décisions du Tribunal constitutionnel polonais. En outre, ce gouvernement a annoncé son projet d’en changer tous les juges, ce qui a été récemment critiqué par la Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe. Malgré ces critiques et le caractère évidemment anticonstitutionnel de ce projet, le gouvernement Tusk a d’ors et déjà supprimé les fonds affectés aux salaires des quinze juges en place du Tribunal constitutionnel dans son projet de budget 2025.

6. Le gouvernement Tusk et sa coalition parlementaire refusent de reconnaître et d’appliquer les jugements de la Cour suprême (équivalent polonais de la Cour de cassation en France) quand ceux-ci ne leur conviennent pas. C’est ainsi, par exemple, que le président de la Diète Szymon Hołownia, leader du parti Pologne 2050 membre de la coalition gouvernementale, avait déchu en janvier deux députés du PiS, anciens ministres, de leur mandat de député malgré l’annulation de sa décision par la Cour suprême, et que le ministre de l’Intérieur les avait fait arrêter, forçant le président Duda à leur accorder sa grâce présidentielle pour la deuxième fois dans la même affaire.

7. La Commission électorale, dominée par les membres de la coalition gouvernante, a rejeté les comptes de campagne (pour les dernières législatives) du PiS et lui a par conséquent supprimé ses subventions pour plusieurs années, à l’approche de la campagne pour l’élection d’un nouveau président de la République l’année prochaine. Une élection essentielle pour Donald Tusk, car le président dispose d’un droit de veto sur les lois votées par le parlement et sa coalition hétéroclite ne dispose pas de la majorité nécessaire pour renverser ce veto. Le ministre des Finances de Donald Tusk a immédiatement suspendu les versements au PiS au titre des subventions aux partis politiques alors que le parti de Jarosław Kaczyński avait fait appel de cette décision devant la Cour suprême (instance de dernier recours pour les questions électorales), ce qui aurait dû conduire à la suspension de la décision de la Commission électorale. Et alors que la Cour suprême vient d’annuler la semaine dernière cette décision de la Commission électorale, le ministre des Finances a affirmé en conférence de presse qu’il ne se sentait pas concerné par ce jugement. La suppression des fonds versés au PiS alors que les partis de la coalition continuent de bénéficier de cette subvention accordée aux partis politiques est bien évidemment de nature à fausser le jeu de l’élection présidentielle.

8. La coalition gaucho-libérale aujourd’hui au pouvoir en Pologne conteste la légitimité de tous les juges nommés ou promus au cours des huit années de gouvernement du PiS (2015-2023), soit environ un tiers des juges actuellement en exercice. Elle se sert régulièrement de cet argument pour refuser d’appliquer des jugements, mais uniquement quand ceux-ci ne lui conviennent pas. En septembre, le ministre de la Justice et le premier ministre ont présenté un projet de loi prévoyant une « vérification » par le gouvernement de ces quelque 2500 juges, en violation du principe d’indépendance de la justice.

9. En septembre, la ministre de la Santé du gouvernement de Donald Tusk a publié des directives enjoignant les responsables des établissements de santé ainsi que les personnels de santé à ne pas refuser un avortement à une femme qui se présenterait avec une attestation d’un psychiatre indiquant que sa grossesse pose un risque pour sa santé mentale. La ministre a en même temps menacé les établissements réticents de lourdes sanctions financières s’il refusaient des avortements ou si leurs médecins contestaient la validité de ces attestations (qui peuvent être obtenues sur Internet, sans véritable consultation médicale). La loi polonaise de 1993 sur l’avortement n’autorise l’avortement qu’en cas de grossesse issue d’un viol (jusqu’à la 12e semaine de grossesse) ou en cas de danger pour la vie ou la santé de la femme enceinte (pendant toute la grossesse). Même s’il n’est pas question dans la loi spécifiquement de « santé physique », c’est ainsi que cela a toujours été compris en Pologne et un relâchement de cette condition est clairement contraire non seulement à la loi mais aussi à la Constitution et à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel polonais, car cela revient dans les faits à permettre les avortements à la demande sans limite de délai. Ces directives sont de tout évidence une manière de contourner la loi après l’échec en juillet dernier du vote à la Diète d’une loi libéralisant l’avortement.

10. La publication cet été par la ministre de l’Éducation d’un arrêt réduisant les heures de catéchisme à l’école sans consultation préalable avec l’Église, en violation du Concordat.

11. Les répressions contre la Marche de l’Indépendance (https://lesalonbeige.fr/les-liberaux-pro-ue-au-pouvoir-en-pologne-veulent-interdire-la-grande-marche-patriotique-annuelle-de-varsovie/), la plus grosse manifestation patriotique en Europe qui se déroule chaque 11 novembre à Varsovie. Plus généralement, les répressions dont font l’objet depuis un an les organisations à sensibilité patriotique, conservatrice et/ou chrétienne, y compris la multiplication des contrôles et les exigences de remboursement des bourses de recherche visant le Collegium Inermarium, une petite université privée cofondée il y a quelques années par l’Institut Ordo Iuris. Petite, mais visiblement gênante pour la gauche libérale qui n’aime pas beaucoup le pluralisme des idées et qui prépare d’ailleurs une loi sur les « discours de haine » afin de préparer le terrain aux débats (ou plutôt à l’absence souhaitée de débat) sur une loi concernant les unions civiles ouvertes aux duos homosexuels.

Autant de violations des principes de la démocratie et de l’État de droit dont le but semble être d’empêcher tout retour au pouvoir de personnes qui seraient jugées trop conservatrices ou trop souverainistes. D’où le soutien affiché par Bruxelles, qui s’est aussi traduit par un déblocage des fonds européens retenus depuis plusieurs années. A Bruxelles, en effet, un projet de réforme des traités est en cours pour créer un super-État européen. Or un retour des conservateurs au pouvoir en Pologne pourrait empêcher la réalisation de ce projet. D’autant que, à en croire les sondages publiés depuis un an, un tel retour n’est envisageable pour le PiS qu’en coalition avec la Confédération, une alliance des nationalistes chrétiens et des libertariens conservateurs, ce qui laisserait présager un gouvernement plus conservateur et plus souverainiste que celui de Mateusz Morawiecki. ¡No pasarán!

Olivier Bault
(Institut Ordo Iuris)

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3 commentaires

  1. Je note avec intérêt la concentration et rapidité de mesures coercitives envers la justice. Ce point révèle que le département de la justice est stratégique, au même titre que la reprise en main des médias pour limiter les dissonnances.
    Il me semble utile de conserver ce point particulier en tête afin de dresser des garde-fous pour une règlementation future lorsque nos libertés auront été reconquises.

  2. La plupart des lecteurs du Salon Beige n’ont pu apprécier le titre figurant sur l’image : “rok deswastacji państwa prava”.

    “une année de dévastation de l’Etat de droit”

    Le Salon Beige devrait faire attention à ne pas relayer de telles “fake news”, ce qui est certainement punissables en vertu de l’Etat de droit, ou le sera bientôt.

  3. On voit ce qui nous attend si LFI venait à prendre le pouvoir en France. Ça ne donne pas envie.

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