De Bruno de Seguins Pazzis :
Mai 1940, Colombey Les Deux Eglises. Charles de Gaulle, est en famille pour quelques jours. Il repart très vite sur le front avant d’être nommé général de brigade par le président du conseil Paul Reynaud. Il est immédiatement confronté à l’effondrement militaire et politique de la France. Il s’oppose alors au défaitisme du gouvernement en place, en partie incarné par le maréchal Philippe Pétain. Après avoir fui à Bordeaux avec certains membres du gouvernement, Charles de Gaulle rejoint Londres pour demander l’aide de Winston Churchill et tenter de maintenir la lutte. De son côté, sa femme Yvonne doit quitter la propriété de Colombey Les Deux Églises. Elle se retrouve avec ses trois enfants en plein exil et doit échapper à l’arrivée des Allemands. Elle part d’abord pour le Loiret, puis à Carantec en Bretagne, avant de tenter de fuir le pays. La vie est dure notamment pour la benjamine de la famille, Anne, atteinte de trisomie 21. Depuis Londres, le général va tout tenter pour remotiver les troupes. Le 18 juin 1940, il lance un appel radio sur les ondes de la BBC.
Avec :Lambert Wilson (Charles de Gaulle), Isabelle Carré (Yvonne de Gaulle), Olivier Gourmet (Paul Reynaud), Gilles Cohen (Georges Mandel), Laurent Stocker (Jean Laurent), Catherine Mouchet (Mlle Potel), Sophie Quinton (Suzanne), Andrew Bicknell (Edward Spears), Tim Hudson (Winston Churchill), Philippe Laudenbach (le maréchal Philippe Pétain), Nicolas Robin (Alex Surchamps), Évelyne Buyle (tante Richard), Philippine Leroy-Beaulieu (Hélène de Portes), Alain Lenglet (Maxime Weygand), Nicolas Vaude (Paul Baudouin), Victor Belmondo (Claude Hettier de Boislambert), Marilou Aussilloux (Élisabeth de Miribel), Clémence Hittin (Anne de Gaulle), Lucie Rouxel (Élisabeth de Gaulle), Félix Back (Philippe de Gaulle), Pierre Hancisse (Geoffroy Chodron de Courcel). Scénario : Valérie Ranson Enguiale et Gabriel Le Bomin. Directeur de la photographie : Jean-Marie Dreujou. Musique : Romain Trouillet.
Le discours d’un général… Voilà un film qui ne sort pas sur les écrans tout à fait au hasard mais à point nommé à l’occasion du 130ème anniversaire de la naissance de l’homme d’état, du cinquantenaire de sa mort et du 80ème anniversaire de l’appel du 18 juin 1940. Après avoir étudié à Bologne dans une école de cinéma, Ipotesi Cinema, et un passage au Service Cinématographique des Armées, Gabriel Le Bomin a réalisé avec ce De Gaulle quatre longs métrages de cinéma, sa filmographie étant à ce jour constituée essentiellement de courts métrages et de documentaires qui dénotent un certain penchant pour la chose historique, politique et militaire. Ceci explique certainement l’intérêt qu’il éprouva à coécrire et réaliser ce film dont Charles De Gaulle qui répond à ces trois critères est l’un des personnages centraux et donc pas le seul. Mais reconnaissons qu’il faut une certaine audace, même si la circonstance s’y prête, pour réaliser un film sur la période apparemment la moins passionnante de la vie de Charles De Gaulle, car si on fait abstraction des dix premières minutes du film, le cinéaste choisit de concentrer son récit à une reconstitution des 12 jours, du 6 au 18 juin 1940 au cours desquels le destin du général de brigade Charles de Gaulle s’est forgé. Et ceci alors que celui qui n’est rien moins que la personnalité politique française la plus célèbre du XXe siècle, n’a fait jusqu’à présent au cinéma que des apparitions de seconds rôles, voir de la figuration (dans l’ordre chronologique Mission spéciale en 1946, Paris brûle-t-il ? en 1966, L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville en 1969, Chacal de Fred Zinnemann en 1973, La Carapate de en 1978), alors qu’il tient des rôles principaux dans quatre téléfilms : Le Grand Charles de Bernard Stora en 2006, Adieu de Gaulle, adieu de Laurent Herbier en 2009, Je vous ai compris : De Gaulle, 1958-1962 de Serge Moati et Ce jour-là, tout a changé : L’Appel du 18 Juin de Félix Olivier en 2010).
Le choix de cette période qui trouve son origine dans le film de Tom Hooper, Le Discours d’un Roi (2010) est le premier point qui donne une structure particulière au récit :
« (…) En sortant ému du Discours d’un roi, je me suis demandé quel serait l’équivalent pour le cinéma français et je me suis dit : l’appel du 18 juin. Cela m’a paru intéressant de circonscrire l’histoire à quelques semaines au moment ou De Gaulle est le plus fragile, le plus seul politiquement. Le moment du « saut dans le vide » Le film s’arrête quand l’épopée commence (…) » (Le Figaro du 03.03.2020, entretien avec Marie-Noël Tranchant).
Le second ne provient pas d’une émotion mais du choix assumé de ne pas faire du général le seul personnage principal du film :
« (…) La seconde option forte consistait à mettre sur un pied d’égalité Charles et Yvonne, durant ces quatre semaines de leur existence ensemble et séparés, en lien par leurs lettres (…). » (Le Figaro idem).
Le film se présente donc comme une alternance de séquences illustrant l’action et le combat politique du général d’un côté et l’immersion d’Yvonne et de sa famille dans la débâcle de 1940 de l’autre. Ce procédé a l’avantage de montrer un visage peu connu de l’homme d’état, celui d’un mari très amoureux de son épouse et d’un père aimant. Ce côté face du personnage fait aujourd’hui l’unanimité comme celui de son honnêteté qui lui ont fait refuser toute compromission aussi petite soit-elle. Ce choix permet aussi de montrer le rôle joué par une épouse qui a su rester à la fois dans l’ombre et soutenir et encourager son époux dans les moments de doute qu’il a pu connaître. Il est également l’occasion de quelques belles et non conformistes fulgurances sur la petite Anne atteint de trisomie 21 ; pas banal tout de même à notre époque ! A contrario, une insistance certaine sur la vie privée pour ne pas dire intime du futur homme d’état (le premier plan du film est sur ce point aussi ridicule qu’inutile, montrant à la Boisserie le bras du colonel De Gaulle caressant au lit celui d’Yvonne et le spectateur, le temps d’un instant, craint le pire) distille un ton sentimental et larmoyant qui devient par moment agaçant et qui de surcroît occulte curieusement le vouvoiement du couple. Déplacé apparaît également cette séquence onirique au cours de laquelle Yvonne De Gaulle fait un cauchemar qui la met au centre d’un pillage et d’un saccage de la Boisserie par les SS). Concernant l’action et le combat du général, le film décrit bien les évènements et leur chronologie même s’il n’échappe pas une forme de schématisation qui frise le manichéisme. Ainsi et seulement à titre d’exemple, les pétainistes seront outrés par la représentation faite du maréchal Pétain catalogué en deux secondes dans les lavabos de toilettes ministérielles comme un antisémite primaire, ou par ses acolytes du gouvernement qui n’apparaissent que comme des ambitieux pour les plus « jeunes » ou des vieillards limite cacochymes anti républicains. De la même façon, les gaullistes n’apprécieront sans doute pas du tout de voir un Winston Churchill traiter Charles De Gaulle d’orgueilleux. Ceux qui ne sont ni gaullistes, ni pétainistes resteront vraisemblablement perplexes… C’est que la caractéristique essentielle de ce De Gaulle est de faire rarement dans la nuance, comme si Gabriel Le Bomin résistait avec peine à ne pas sombrer dans le genre hagiographique. Pour le fond, il semble donc qu’il soit difficile d’échapper à la querelle des gaullistes et des antigaullistes, les uns mettant en avant le courage (indéniable), les qualités humaines en couple et en famille (difficilement contestable), les autres, l’opportunisme, l’orgueil, son intransigeance à l’encontre de ces ennemis politiques. Les uns et les autres se retrouvant sans doute dans une même frustration de ne pouvoir visionner l’épopée qui suit et bien entendu le spectateur ne verra rien sur celui qui sera chef du gouvernement provisoire, rien sur son attitude envers les généraux putschistes et rien sur son rôle durant les évènements de mai 1968. Inutile d’entrer dans ce débats de fonds, le film prouvant à lui tout seul, l’incontestable stature d’homme d’état de celui qui a marqué durablement et à cette période précise l’histoire de son pays et même celle de tout le monde occidental.
Cinématographiquement parlant, l’ensemble n’est pas très convaincant. Le spectateur n’est pas transporté par l’ampleur du drame qui se joue. Cela vient d’une trame qui manque de rythme, d’une mise en scène très molle au point que l’a séquence de l’Appel du 18 juin qui devrait être le sommet émotionnel ne transporte pas le spectateur, d’une direction photographique peu artistique et de qualité technique médiocre (Jean-Marie Dreujou : Scout toujours de Gérard Jugnot en 1985, Les Caprices d’un fleuve de Bernard Giraudeau en 1996, Les Enfants du marais en 1999 et Un crime au Paradis en 2001 de Jean Becker ), d’un montage chaotique avec des retours en arrière qui donne la désagréable impression d’un remplissage qu’une bande originale conventionnelle à la limite du supportable de Romain Trouillet (une seule musique de long métrage à ce jour de long métrage, Moon Kaboul Hotel de Anca Damian en 2017, compositeur par contre de musique de scène pour le théâtre) et qui sonne comme du « sous Hans Zimmer » ne parvient pas à dissimuler. L’interprétation n’arrange rien même si les comédiens ont souvent à composer avec des dialogues souvent très artificiels. Lambert Wilson aborde son personnage avec professionnalisme et volonté mais il est manifestement dépassé par celui-ci. Isabelle Carré reste engoncée dans son personnage d’épouse et mère courage. Quant aux autres, c’est la bérézina : Olivier Gourmet est pathétique en Paul Reynaud. Philippe Laudenbach, neveu de Pierre Fresnay, est piégé dans ce petit rôle, contraint de tirer un portrait peu amène de Philippe Pétain. Le dénommé Tim Hudson ne partage qu’un physique imposant avec Winston Churchill sombre dans le cabotinage.
Une entreprise louable qui manque de souffle et laisse un goût de déception : 2,5 /5.