Cela valait bien une étude.
Le sociologue du genre et de la santé, Raphaël Perrin, poursuit ses recherches au Centre européen de sociologie et de science politique et au Centre Norbert-Elias à Marseille. Pendant quatre ans, le chercheur a enquêté sur le rapport des médecins à l’avortement. Son livre « Le choix d’avorter. Contrôle médical et corps des femmes » (éditions Agone), tiré de sa thèse, a été publié en avril. Il déclare au Quotidien du médecin :
Dans une émission sur France Culture, la Dr Marie-Laure Brival, gynécologue-obstétricienne et responsable de la maternité des Lilas, en Seine-Saint-Denis, faisait part en 2020 du renouvellement générationnel de son équipe et de ses difficultés à recruter des médecins qui acceptent de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse (IVG). Je me dis que c’est une énigme, au sens sociologique, un constat paradoxal puisque dans la population générale, on sait que le soutien au droit à l’avortement croît depuis des décennies. En septembre 2018, le Dr Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France, avait fait parler de lui en déclarant qu’il n’était « pas là pour retirer des vies ».
On évoquait aussi il y a quelques années la situation en Italie, où environ 70 % des gynécologues refusaient de pratiquer des IVG, avec une résurgence d’avortements clandestins (1). En commençant à enquêter, je me suis rapidement rendu compte que l’enjeu n’est pas l’opposition de principe au droit à l’avortement mais la réticence d’une partie de la profession à pratiquer les IVG. Cela ne se traduit pas forcément par le recours à la clause de conscience, en réalité peu utilisée en France.
Comment s’expriment les réticences des médecins à pratiquer l’IVG ?
Il y a peu d’opposition de principe chez les médecins, aujourd’hui massivement favorables au droit à l’avortement. En revanche, il peut y avoir du dégoût à pratiquer l’IVG, ce qui traduit des représentations sociales et morales intériorisées. Pour certains gynécologues et obstétriciens, la prise en charge de l’IVG est un acte considéré comme peu technique, peu porteur et qui ne permet pas d’obtenir des postes intéressants.
Même chez des médecins investis, il y a cette représentation selon laquelle l’avortement est un acte moralement grave, potentiellement traumatique voire dangereux s’il n’est pas pris en charge par des professionnels de santé, du social et de la psychologie. Cette idée, construite dans les années 1970, était alors perçue comme progressiste car elle permettait de considérer les femmes comme des victimes et non plus comme des coupables. Aujourd’hui, c’est cette représentation qui justifie le maintien des parcours complexes de prise en charge de l’IVG.