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Tribune libre

Une approche du complotisme et de l’anti-complotiste par la psychologie

Une approche du complotisme et de l’anti-complotiste par la psychologie

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Comprendre le complotisme

Un jour, j’ai eu le malheur de dire dans une conversation entre collègues : « Notre Dame de Paris est en feu, ce n’est pas un accident. » Je n’ai même pas eu temps de justifier ou de compléter mon propos que l’on me rétorque : « encore un complotiste ! » dans un jugement téméraire et colérique.

Dans son ouvrage récemment publié aux éditions Artège nommé « complotisme et anti-complotisme », le père Pascal Ide nous livre une analyse plus que passionnante sur les enjeux et les mécanismes qui nous poussent à croire telle ou telle rumeur. Son entreprise est d’autant plus édifiante que, comme il l’affirme, aucune étude du complotisme sérieuse n’a encore été réalisé jusqu’à présent, d’où l’intérêt de proposer des pistes sur un sujet qui semble imprégné notre société. Il nous rappelle quels sont les différents types de complots et qu’ils sont gradués : le complot juif-mondial (les juifs veulent dominer le monde), le nouvel ordre mondial des Illuminati, les anti-mondialistes, les anti-américanistes, les anti-sionistes, les reptiliens ou même la rumeur de Roswell selon laquelle il y aurait des extraterrestres parmi nous. N’oublions pas qu’il existe des complots avérés comme le Watergate de 1972 ou plus simplement le complot contre le Christ.

Habituellement, le complotisme est un mouvement réactif qui se déclenche par des lanceurs d’alertes comme, l’un des plus connus, Edward Snowden qui est un ancien employé de la National Security Agency (NSA), connu pour avoir révélé en 2013 des informations classifiées sur les programmes de surveillance de masse des États-Unis et d’autres gouvernements. Le complotiste se méfie, manque de confiance et peut se constituer tout un système de pensée se basant sur un fait, partant de la simple peur à l’idéologie puis à la mythologie.

Ce que nous enseigne la psychologie

L’auteur passe volontairement par le domaine de la psychologie pour tenter d’expliquer les réactions complotistes. Il invoque la théorie des biais cognitifs qui propose une interprétation des comportements en fonction de nos à priori, de notre condition humaine. Citons en quelques-uns : le biais de simplicité qui nie la complexité des systèmes, le biais de confirmation qui retient uniquement les opinions qui vont dans le sens du sien, le biais d’intentionnalité qui veut toujours trouver une cause à un phénomène, et celui de focalisation qui représente une erreur par monisme en isolant l’évènement et en occultant ses possibles dépendances.

Il cite clairement deux psychologues qui, chacun, ont une vision particulière du « comment » de ce mécanisme.

Le premier, Daniel Kahneman est un psychologue israélo-américain, surtout connu pour ses travaux en psychologie cognitive et en économie comportementale, domaines pour lesquels il a reçu le Prix Nobel d’économie en 2002 (partagé avec Vernon Smith). Il a travaillé sur la manière dont les gens prennent des décisions. Avec son livre “Thinking, Fast and Slow” (Système 1, Système 2 : Les deux vitesses de la pensée), il donne une approche plutôt pessimiste et édicte que notre mode de pensée fonctionne en deux temps. Le premier est le « pilote » automatique, sans effort de pensée, où nous émettons des jugements basés sur des intuitions ou associations : il est passionnel et irrationnel. Le second demande de la concentration et permet d’avoir une réflexion approfondie, supposée logique pour résoudre une énigme par exemple.

Le second, Raymond Boudon, part des actions des individus pour expliquer les phénomènes sociaux, et a donc une approche plus inductive. Dans son livre “L’inégalité des chances” (1973), Boudon explique que les inégalités scolaires et sociales ne sont pas seulement le résultat de la domination culturelle (comme le pensait Bourdieu), mais aussi des choix rationnels des familles en fonction de leur milieu. Le raisonnement spontané ne serait donc pas purement passionnel mais découlerait de raisons plus profondes.

Un diagnostic

Derrière ces mécanismes, notre auteur décrit quelques adages tenus par les complotistes. Rien n’arrive par hasard. Tout ce qui arrive est intentionné. Rien n’est tel qu’il paraît être. Tout est lié. Tout doit être critiqué. Ces à priori font intervenir ce que l’auteur nomme une blessure de l’intelligence par l’affectivité. Derrière ce concept qui recadre ce qu’est l’intelligence, il ne soutient pas que l’intelligence n’est plus mais qu’elle est blessée comme la nature originellement bonne est blessée par le péché originel.

Quel est le symptôme ? L’individu en question réagit par peur, méfiance, et graduellement éprouve un ressentiment puis de la haine qui réduit malgré lui l’univers des possibles pour tenter d’expliquer un évènement. Evidemment, les influences du monde y sont pour quelque chose puisque, notamment depuis l’avènement d’Internet, l’information est beaucoup plus accessible tout comme la désinformation. Qui n’a jamais été pris de colère en lisant la une du jour ? L’individu est sujet à des mauvaises interprétations au point que l’on voit aujourd’hui des rubriques « Désintox » sur les médias les plus populaires. Ne parlons pas des nombreux slogans des politiques pour faire de la démagogie et du populisme.

Des critères

L’auteur propose quelques critères pour discerner ou non du bienfondé des articles et des nouvelles.

Il reprend le critère de la non-réfutabilité, émit par Karl Popper, pour tester la fiabilité d’une théorie. Ainsi, dire que le vaccin contre le Covid19 est inefficace sur quelques individus est réfutable car expérimentable. En revanche, dire que ce même vaccin est dangereux est irréfutable. Pour rendre cette phrase (qui n’est pas une théorie du coup) réfutable donc théorique, il faudrait la préciser : « Le vaccin contre le Covid-19 est dangereux à long terme à cause des effets secondaires révélés, comme des troubles cardiaques rares observés dans 1 personne sur 50 000 après 2 ans d’utilisation. ». Rappelons qu’une théorie est recevable tant qu’une autre ne vient pas l’invalider. Ainsi, dire que la Terre est ronde est vraie… tant qu’une théorie plus vraisemblable ne dit pas l’inverse ! (Beaucoup de scientistes idolâtrant la science l’oublie).

Blaise Pascal a énoncé : « l’erreur n’est pas la vérité mais l’oubli de la vérité contraire ». Dans nos affirmations, nous sommes souvent tentés de sortir de nos gonds et de prononcer une sentence : « la justice punit toujours les innocents ». Réalistement, nous voyons que ce n’est pas vrai car cette phrase ne prend pas en compte sa vérité contraire qui serait… plutôt fausse : « la justice protège toujours les coupables ». Avoir cette posture inverse permettrait d’être plus perspicace avant de nous lancer dans des anathèmes qui ne ferait que mouvoir nos passions.
Autre vérité : philosophiquement parlant, le mal est une privation de bien. Théologiquement, il existe (les anges déchus). Mais il ne doit pas être extrapolé comme le fait le manichéisme. Les esprits impurs pèchent par désobéissance. Comme disait le Christ : « Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut subsister ». Or l’unité qu’est le Christ est la pierre angulaire du Royaume de Dieu. Un système purement mauvais ne peut donc pas tenir.

Guérisons

Comme un vrai médecin qui analyse les maux et en propose des remèdes, il s’agit maintenant pour l’auteur de proposer une voie de sortie. Le Père Ide a mis un accent sur le complotiste mais, et très justement, vient aussi toquer à la porte de l’anti-complotiste qui pèche tout autant, par manque de charité : il est réactionnaire au réactionnaire en prenant une « posture d’aplomb ».

Dire de quelqu’un qu’il est ignorant, biaisé parce que complotiste, c’est aussi faire preuve d’un certain conformisme : allégeance au système, aux institutions, aux personnes sans remise en question et par lâcheté. Pour concilier les deux cas, il faut prendre du recul et rentrer dans un vrai dialogue qui interroge les positions. Reconnaître le besoin de vérité, éclairer l’intelligence par un retour à une véritable formation en logique et aux syllogismes.

« Il faut alors entrer dans le paradoxe ». Le purisme complotiste comme anti-complotiste « simplifie par excès la réalité et refuse la nuance ». Notre devoir est de comprendre la réalité sans raccourci et d’en appréhender toute sa complexité contre tous les sophismes quotidiens que nous entendons mais surtout de savoir dialoguer… car en France, il est devenu difficile de rentrer dans un sujet sans tomber dans le tabou. Tout devient facilement sujet à polémique.

Mickaël Ottmann

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