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France : Société

Une fête collective n’a jamais pour principe de respecter l’histoire

Olivier Hanne, historien, auteur notamment de Jeanne d’Arc, biographie historique et du Génie historique du catholicisme, est interrogé dans L'Homme nouveau suite à la polémique qui entoure les fêtes johanniques, où certains ont cru voir une manipulation qui n'a pas eu lieu (l'élection de Jeanne ne dépend pas de la mairie), sous prétexte qu'une obscure adjointe municipale est béninoise… Extrait :

Jeanne-d-ArcCeux qui ont été choqués par le choix d'une jeune fille métisse pour incarner Jeanne d'Arc invoquent une nécessaire fidélité à l'histoire. Mais, justement, nous avons un peu tendance à lire le passé à l'aune d'une vision très actuelle du monde. La conception que nous avons aujourd'hui de la nation et de l'étranger correspond-elle à celle qui était en vigueur au Moyen Âge ? 

Au Moyen Âge l’étranger l’est d’abord par sa foi, si bien que le chrétien a toute légitimité pour s’installer partout dans la Chrétienté, sous réserve qu’il se trouve un protecteur ou un seigneur. C’est la raison pour laquelle les étrangers installés en France par exemple sont généralement des clercs, car l’Église les protège. Les populations n’ont aucun mal à accepter des clercs italiens ou allemands : au XIIe siècle, un certain Pierre Lombard, et donc italien, fut évêque de Paris. Les exemples sont innombrables. En revanche, à partir du XIIIe siècle, on sent que la généralisation du droit civil en Europe et la constitution de monarchies nationales tendent à générer une certaine méfiance. L’usage du français dans les textes écrits, à la place du latin, identifie plus facilement celui qui n’est pas d’ici, alors que le latin était la langue universelle de la Chrétienté. Philippe le Bel exige de savoir qui est sujet et qui ne l’est pas. L’étranger dépend forcément d’un autre maître, d’un autre roi, qui lui aussi réclame son droit. La Guerre de Cent Ans aux XIVe et XVe siècles contribue aux déplacements de populations, mais aussi aux pillages de compagnies de Navarrais, Castillans, Lombards et Germaniques, tout cela renforce la crainte de l’étranger et la nécessité de l’identifier. Mais le processus n’est ici qu’à ses débuts, et ce n’est qu’avec la IIIe République que se généraliseront les cartes d’identité.

Au-delà des polémiques qui gonflent toujours très vite sur les réseaux sociaux, l'enjeu est de savoir si les Fêtes johanniques ont pour ambition une reconstitution historique précise ou s'il s'agit plutôt d'incarner Jeanne et les valeurs et vertus qu'elle représente. Pour vous, quelles sont-elles ?

Une fête collective n’a jamais pour principe de respecter l’histoire, et encore moins pour les célébrations nationales, mais de faire mémoire d’un récit autour des morts pour souder les vivants. Le 14 juillet ne commémore d’ailleurs pas seulement la Prise de la Bastille (14 juillet 1789), mais aussi la Fête de la Fédération (14 juillet 1790), c’est-à-dire la première fête de la nation. Cela signifie que l’on célèbre autant l’évènement lui-même que sa première commémoration : nous fêtons la fête originelle. Forcément, une distance se crée entre la réalité de l’évènement et ce qu’il devient dans les mémoires. Les célébrations autour des morts de la Seconde Guerre, qui ont pris une importance démesurée, n’ont jamais pour fonction la précision des faits, mais de définir quel contrat politique unit les citoyens et autour de quelles « valeurs », lesquelles sont d’autant plus martelées qu’elles ne sont jamais définies. L’eucharistie est, en soi, une fête collective, elle fait mémoire d’un fait passé, pourtant c’est la seule qui se préoccupe peu de la réalité historique, car elle transporte le fidèle dans l’histoire elle-même et il devient participant de la Passion du Christ ; la messe n’est donc pas une mémoire mais un mémorial. La différence est essentielle.

Quant aux vertus de Jeanne, si elle ne fut canonisée qu’en 1920, c’est parce que l’on considérait à son époque qu’elle ne correspondait pas aux canons de la sainteté. Dans le camp du roi, les clercs la trouvaient trop obstinée, orgueilleuse, trop impliquée dans les combats du monde, manquant d’obéissance vis-à-vis de l’épiscopat et même de Charles VII. En revanche, après la Grande Guerre, les catholiques et même les athées français ont vu en elle l’incarnation parfaite des vertus qui les avaient transcendés pendant quatre ans : la force, la détermination, l’innocence bafouée, l’abandon, l’esprit de jeunesse, sans compter bien sûr – pour les catholiques – sa piété et sa confiance dans la monarchie de droit divin ; d’où le double hommage de 1920 : sa canonisation par l’Église et son élévation comme héroïne nationale par la République."

Du côté des Scouts d'Europe, ce choix réjouit : la Jeanne 2018 est issue de la même patrouille que la Jeanne 2017 !

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Janvier 2017 : des deux amies, l’une, Priscille (photo ci-dessus en armure), est chef de patrouille, au Guépard – et l’autre, Mathilde, est sa seconde. Toutes deux se présentent pour avoir l’honneur d’être Jeanne d’Arc aux fêtes johanniques d’Orléans. C’est finalement Priscille qui est retenue et devient Jeanne, pour un an. 

Janvier 2018 : Toutes deux servent dans la même compagnie, et Priscille remettra l’épée de Jeanne dans quelques mois. Alors Mathilde persévère et présente à nouveau sa candidature avec l’espoir d’être sélectionnée, car elle a vraiment à cœur d’être Jeanne d’Arc. Le 19 février 2018, la bonne nouvelle tombe ! Et c’est Mathilde qui est choisie et apprend avec de joie, qu’elle se glissera dans l’armure de la Pucelle d’Orléans lors des Fêtes Johanniques, du 29 avril au 8 mai prochain.

L’association “Orléans Jeanne d’Arc” a pour but :

  • De contribuer au maintien et au développement des traditions johanniques à Orléans ;
  • D’organiser la désignation de la jeune fille figurant Jeanne d’Arc lors des fêtes (la municipalité et encore moins l'adjointe à la communication n'y interviennent) ;
  • D’apporter son concours à la Municipalité d’Orléans pour l’organisation des Fêtes Johanniques.

Bénédicte Baranger, ancienne "Jeanne", Présidente d’Orléans Jeanne d’Arc depuis 2016, également ancienne du mouvement Guides et Scouts d’Europe, explique :

« Depuis 1945, c’est le même hommage, la même figuration et la même représentation. A Orléans, beaucoup de jeunes filles s’identifient à Jeanne, et ceci depuis 1429 ! En fait, Jeanne peut être et est un modèle pour toutes les jeunes filles chrétiennes, catholiques, les jeunes filles qui aiment leur patrie. La Jeanne de chaque année porte, par sa présence, les valeurs de Jeanne d’Arc : engagement, foi, courage, amour de son pays. Elles sont toutes issues de cercles, de vies diverses et variées et ont des contacts, des relations différentes. Il n’existe pas deux Jeanne semblables d’une année à l’autre. Mais toutes, elles touchent, chacune, ceux qui les entourent, les environnent. L’une va être plus spirituelle avec une vie de foi très importante ; l’autre va être plus engagée dans une vie d’action, de courage ; une autre encore va être plus tournée vers l’amour de la patrie. C’est le cas de l’une, dont l’amour de la patrie a marqué les esprits, alors qu’une autre est plus spirituelle, sa vie de foi nous a frappé. Ce qui n’empêche pas toutes les Jeanne d’être aussi joyeuses les unes que les autres. Ainsi sont Priscille et Mathilde que nous voyons sans cesse rire et sourire, toutes les deux. »

Lorsqu’on demande à Bénédicte Baranger si elle a un message à adresser aux guides et scouts d’Europe, elle répond :

« Je leur dirais que Jeanne d’Arc a quelque chose à leur dire.

Scouts et guides, routiers et guides-aînées, vous avez tant à apprendre de Jeanne ! J’appelle les scouts à regarder l’histoire de France avec amour, avec foi. Sans la transformer. Il existe dans notre histoire, dans l’histoire de notre patrie, des personnalités qui nous ont constitués. Ainsi fut Jeanne. C’est pourquoi il faut rendre hommage à ces personnalités.

Professionnellement, j’accompagne des jeunes toute la journée ; je vois que c’est notre mission à nous adultes, transmettre et former. Comprenez ! Il faut que notre histoire, nous la transmettions. Nous devons former les jeunes, afin qu’ils soient, à leur tour, acteurs de l’histoire.

Tous les scouts sont concernés. C’est vrai que, dans l’ensemble de la jeunesse chrétienne aujourd’hui, il y a 80% qui sont des scouts. Et c’est une joie. Les scouts présents les 29 avril et 1er mai sur la grand’ place d’Orléans seront rassemblés pour l’hommage de la jeunesse chrétienne à Jeanne d’Arc. Ils ont compris que la foi ; et l’amour de la patrie : c’est cela Jeanne. »

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12 commentaires

  1. Excellent article je vous remercie pour le partage.

  2. Mais qu’un m…..r pour pas grand chose. Encore que, je remercie les racistes et les athées-macroniens-maçoniques du débat qu’ils ont provoqué. Jeanne d’Arc nous appartient, à nous les catholiques.
    Mais je note le meilleur : “…En revanche, après la Grande Guerre, les catholiques et même les athées français ont vu en elle l’incarnation parfaite des vertus qui les avaient transcendés pendant quatre ans…”

  3. Voici une mise au point bien salutaire.
    Merci… Ite missa est.

  4. Un grand merci pour cet article très complet, à plusieurs sources, lu avec grande attention et qui sera utile à la réflexion de chacun.
    Une question si ce n’est pas trop demander, où trouver le processus de désignation des Jeanne (procédure, autorité qui décide) ?

  5. En tant qu’ancien Scout Unitaire de France, je suis très heureux et très fier que deux de mes soeurs (Le scout est le frère de tout autre scout) Guides d’Europe aient été choisies, deux années de suite, pour représenter Jeanne d’Arc !
    Allez, les Scouts de France ! Un peu de courage et de bonne volonté ! Retrouvez vos racines chrétiennes, catholiques ! Retrouvez l’esprit du Père Savin !

  6. … Issue des Scouts d’Europe ???
    Vade rétro Satanas !!!
    Il y a forcément un loup là dessous.
    Rien que ceci vaut condamnation des progressistes.

  7. En réponse à “Machin | 5 mar 2018 14:36:21”, wikipédia indique
    “Un jury constitué par l’association Orléans Jeanne d’Arc désigne chaque année depuis 1945 une jeune fille figurant Jeanne d’Arc lors des fêtes. Les dossiers sont examinés par un jury composé de personnalités religieuses, politiques et militaires ainsi que de plusieurs anciennes Jeanne.
    La jeune fille doit habiter depuis dix ans à Orléans, être baptisée, catholique pratiquante, donner de son temps bénévolement pour les autres et être de bonne moralité.” (source: https://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%AAtes_johanniques_d%27Orl%C3%A9ans#Liste_des_%C2%AB_Jeannes_%C2%BB_depuis_1945 )

  8. Il me semble que vous invoquez des arguments moraux, excellents par ailleurs, mais que la valeur symbolique de ce choix est mise de côté.
    Or, choisir une Jeanne d’Arc d’origine en partie africaine symbolise l’envahissement que nous subissons : c’est en cela que ce choix est condamnable.
    La présence de nombreux prêtres africains dans nos paroisses a exactement le même effet, et c’est navrant.

  9. Jeanne d’Arc celle qui aimait les anglais chez eux, aussi aurait quelque chose à leur dire.

  10. “(…) faire mémoire d’un récit autour des morts pour souder les vivants”.
    Souder les vivants ? Et bien c’est plutôt raté. Ce qui conduit à s’interroger sur la pertinence de ce choix…
    Qu’est ce que ce sera lorsque le comité élira une anglaise !

  11. @ roissard
    “La présence de nombreux prêtres africains dans nos paroisses a exactement le même effet, et c’est navrant.”
    Je sais que dans certaines paroisses cette présence est en effet critiquée (discussions avec des prêtres). Mais, dans beaucoup d’autres cette présence est très appréciée (expérience vécue). Je pense que nos missionnaires ont semé de “bonnes graines”, en Afrique notamment. Maintenant que c’est nous, en France (et en Europe en général), qui manquons de Prêtres, ces prêtres africains assurent parfois la relève et viennent, parfois, rechristianiser la France : n’est-ce pas un beau remerciement de leur part que de venir, en quelque sorte, “rembourser” leur acquisition à la Foi en venant, à leur tour, essayer de nous la faire retrouver ?
    Cela n’empêche pas qu’il soit regrettable que les sources françaises et européennes se tarissent, mais là c’est un autre débat (ou problème).

  12. couleur de peau ou couleur de l’ame?
    je préfère cette métisse à la blanche enturbannée de ze voice, et même à un edwin plenel bien blanc ou à un pierre laval à la cravatte d’un blanc immaculé

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