A l’heure où l’on commence à parler sérieusement de nouveaux sacres au sein de la FSSPX, le mensuel La Nef consacre son dossier de mars à la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, dans lequel on trouve des articles de Christophe Geffroy, du chanoine Albert Jacquemin (ancen séminariste de la FSSPX, aujourd’hui au diocèse de Paris), de Matthieu Lavagna,du père Basile Valuet (moine à l’abbaye bénédictine du Barroux), l’abbé Fabrice Loiseau (ancien séminariste de la FSSPX, fondateur des Missionnaires de la Miséricorde divine), Pierre Louis, et un entretien avec l’abbé Grégoire Celier, membre de la Fraternité Saint-Pie X depuis 45 ans, prieur de la chapelle NotreDame de Consolation (Paris VIIIe) et rédacteur en chef de la Lettre à nos Frères prêtres, expédiée quatre fois par an au clergé français. Extraits de cet entretien :
Comment qualifieriez-vous aujourd’hui votre situation et votre statut dans l’Église?
Sans choix de notre part, nous nous trouvons dans une situation inédite, et attristante pour l’Église. Rappelons que Mgr Lefebvre a fondé la Fraternité Saint-Pie X selon les normes du droit; que ses premières maisons ont été ouvertes avec l’autorisation de l’ordinaire ; que ses premiers membres étaient régulièrement incardinés. C’est seulement parce que la Fraternité SaintPie X maintenait la tradition catholique, disons pour résumer la doctrine du Christ-Roi et la liturgie reçue depuis toujours, qu’elle a été prétendument « supprimée », d’une façon illégale et injuste. Et malgré les fruits évidents de sanctification qu’a produits la Fraternité Saint-Pie X, malgré toutes les démarches faites auprès du Siège apostolique (courriers, rencontres, dialogues), cet apartheid est maintenu. Mais cet état canonique anormal n’est que le signe de la crise qui secoue l’Église depuis les années 1960, et qui ne fait que s’aggraver. C’est cette situation de l’Église qui doit nous préoccuper. Si la crise se résorbait, il n’y aurait rien de plus facile que de remettre d’équerre la situation de la Fraternité Saint-Pie X.
Comment justifiez-vous un état de nécessité qui permettrait de recourir à une consécration épiscopale sans mandat pontifical, comme Mgr Lefebvre l’a fait en 1988?
Les prêtres et les laïcs grâce auxquels la liturgie traditionnelle est encore célébrée ne se sont pas déterminés, à la fin des années 1960, par des considérations théologiques a priori, mais se sont appuyés sur les faits qu’ils avaient sous les yeux. Au milieu du chaos ecclésial de l’époque, ils ont vu que « le Missel romain traditionnel n’avait jamais été juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il était toujours autorisé », et qu’en contraste le Missel nouveau de Paul VI « s’éloignait de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe ». L’état de nécessité est tout simplement là sous nos yeux, avec la crise théologique, morale, liturgique, canonique, spirituelle qui déferle à chaque instant, couplée avec une persécution sauvage contre tout ce qui garde ne fût-ce qu’une apparence de tradition, persécution qui frappe aujourd’hui même des gens qui avaient toujours pris grand soin de se démarquer de la Fraternité Saint-Pie X.
D’une part, vous vous dites catholiques, et, d’autre part, vous affirmez que le pape et tous les évêques se trompent sur des points doctrinaux importants depuis le concile Vatican II et la réforme liturgique de 1969: comment résolvez-vous la contradiction inhérente à ces deux affirmations sans jeter un doute sur l’assistance promise par le Christ à son Église?
Nous sommes de toute évidence face à un mystère, celui de la « Passion de l’Église », aussi insondable que le mystère de la Passion du Christ, qui a bouleversé et « scandalisé » les Apôtres eux-mêmes. Le mystère est ce qui dépasse l’entendement simplement humain. Comment celui qui est Dieu même peut-il être ainsi tué ignominieusement ? Parce qu’il est à la fois Dieu et homme. Comment la sainte Église peut-elle aujourd’hui se trouver dans un tel état de désordre ? Parce qu’elle est à la fois divine et humaine. Le Christ nous a laissé cette parole énigmatique : « Lorsque le Fils de l’homme reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? » Ce mot n’implique-t-il pas que, à certains égards, l’Église ce jour-là soit dans une situation dramatique, comme effacée? Puisque le pape François a utilisé le Commonitorium de saint Vincent de Lérins dans son autobiographie Espère, citons ce passage : « Si quelque contagion nouvelle s’efforce d’empoisonner, non plus seulement une petite partie de l’Église, mais l’Église tout entière à la fois, alors le grand souci [du “chrétien catholique”] sera de s’attacher à l’antiquité qui, évidemment, ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère » (III).
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François vous a beaucoup octroyé (confessions, mariage…): vous satisfaites-vous du statu quo actuel avec Rome ou souhaitez-vous quand même parvenir à un accord? Et si oui, lequel ? Quelles seraient vos exigences minimales ?
Pour être exact, le pape François n’a rien donné directement à la Fraternité Saint-Pie X. Ce sont les fidèles qu’il a autorisés à recourir à notre ministère. Ce sont les évêques qu’il a autorisés à nous octroyer la délégation. En aucune manière, nous ne pouvons nous « satisfaire » d’un état de choses qui est injuste pour nous-mêmes, dommageable pour les fidèles, dramatique pour l’Église. Cependant, nous n’avons jamais souhaité un accord exclusivement relatif à la Fraternité Saint-Pie X. Car elle n’est pas le vrai problème, tout au plus un symptôme de la crise.
Près de quarante ans après les « sacres » de juin 1988, comment analysez-vous la situation des « traditionalistes » demeurés dans la pleine communion avec Rome? Même si leur situation est difficile (cf. Traditionis custodes), ne vous semble-t-il pas qu’ils ont prouvé que l’on pouvait faire « l’expérience de la Tradition », comme l’avait demandé Mgr Lefebvre, sans rupture avec l’Église?
Premièrement, je conteste toute idée de « rupture avec l’Église ». Une situation canonique « baroque », lorsqu’elle est subie, n’implique nullement une rupture. Pendant quinze ans après le motu proprio de 2007, il y a eu une période assez favorable pour ceux que l’on appelait les « Ecclesia Dei ». Mais leur situation reste précaire: ils sont désormais l’objet de brimades et de persécutions. À Paris, par exemple, en ce qui concerne les lieux où était célébrée la messe traditionnelle, la moitié a été supprimée d’un trait de plume : ce n’est guère rassurant sur « l’expérience de la Tradition ». […]