Gènéthique a demandé à Nicolas Bauer, chercheur associé à l’European Centre for Law and Justice (ECLJ) et doctorant en droit à l’université de Strasbourg, de faire le point :
Pourquoi la diffusion d’Unplanned a-t-elle suscité la polémique ?
La force du film est qu’il est fondé sur une histoire vraie, celle d’Abby Johnson qui a été directrice d’une clinique du Planning familial américain. Elle a elle-même avorté à deux reprises et a coopéré à 22 000 avortements, convaincue qu’elle aidait ainsi les femmes. Une sonde échographique lui révèle un jour la réalité in utero d’une IVG par aspiration. Elle découvre alors, concrètement, ce qu’une femme qui avorte ne voit pas. Ce sera pour elle une expérience bouleversante qui l’amènera à changer radicalement de point de vue et… de métier.
Au-delà cette expérience, Unplanned montre l’engrenage qui conduit des femmes à envisager l’avortement, sans jamais juger ces personnes. Il met sur le devant de la scène des communautés et des associations qui œuvrent pour sortir les femmes de cette spirale en leur proposant l’aide concrète qu’elles demandent. En France, ce discours n’est pas vraiment dans l’air du temps. Cela a conduit des personnalités politiques et médiatiques à demander, vainement, la censure de ce film.
La diffusion sur C8 d’Unplanned entre-t-elle dans le cadre de la loi du 20 mars 2017 qui a étendu le délit d’entrave ?
En 1974, Simone Veil avait décidé de maintenir un délit d’incitation à l’avortement, en considérant que « l’incitation à l’avortement par quelque moyen que ce soit […] reste inadmissible ». En 2001, ce délit a été abrogé et il est devenu légal de pousser une femme à avorter. Désormais, c’est uniquement l’ « incitation à ne pas avorter » qui est sanctionnée pénalement, au titre du délit d’entrave à l’IVG. Ce dernier, créé en 1993, a été étendu à deux reprises par des lois de 2004 et 2017, si bien qu’il est aujourd’hui très difficile pour les associations d’exercer leur rôle de prévention des avortements.
Concernant Unplanned, Élisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes, a affirmé que C8 « se rend coupable du délit d’entrave condamné dans notre pays ». À ce jour, le délit d’entrave ne pénalise pourtant pas la diffusion de toutes les opinions ou informations remettant en cause l’avortement. En 2017, le Conseil constitutionnel a très clairement indiqué que la diffusion d’une opinion ou information « à destination d’un public indéterminé » n’était pas constitutive d’un délit d’entrave. Il est donc légal, en France, de diffuser un film comme Unplanned. Aucun juriste n’a de doute sur ce point.
A contrario, C8 est protégée par l’existence d’un autre délit, celui d’entrave à la liberté de la diffusion de la création artistique. Il est réprimé par une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (article 431-1 du Code pénal).
Elisabeth Moreno parle d’un « outil de propagande anti-avortement abject » au sujet de ce film. Peut-on encore avoir une opinion en France sur l’avortement ?
Une autre polémique concernant C8, en octobre 2018, est très révélatrice de l’attitude de certains face au débat. Cyril Hanouna, l’animateur de « Touche pas à mon poste ! », avait voulu initier un débat sur le sujet « pour ou contre l’IVG en France ? » (cf. « La France ne devrait-elle protéger que les femmes faisant le choix d’avorter et pas les autres ? »). Les réactions politiques ont été comparables à celles contre Unplanned : l’IVG est une question qui ne se discute pas en France. En tout état de cause, plus de 300 000 téléspectateurs ont regardé Unplanned le 16 août dernier ; des milliers d’autres l’avaient visionné l’année dernière grâce aux séances de e-cinéma proposées par SAJE Distribution et suivies de débats participatifs.
La question de l’IVG interpelle en réalité de nombreux Français. À chaque grossesse, les parents peuvent voir leur bébé in utero. À six semaines de grossesse, on vous dit : « votre bébé est magnifique, regardez sa tête, ses oreilles, ses petits bras,… écoutez son cœur, il bat très vite » ; et à dix semaines de grossesse : « le foie, les reins, les poumons de votre enfant sont bien formés ». Les parents vivent en général avec enthousiasme cette rencontre avec leur enfant chez leur gynécologue. Il est difficile ensuite de rester indifférent à l’IVG.
Quelles peuvent être les suites données par le CSA aux plaintes contre Unplanned ?
Le CSA va visionner Unplanned. S’il considère que sa diffusion peut avoir constitué un délit d’entrave à l’avortement, il en informera le procureur de la République. C’est très peu probable. Dans tous les cas, si jamais C8 était poursuivie pénalement pour délit d’entrave, la chaîne ne serait pas condamnée : la loi et les réserves émises par le Conseil constitutionnel sont claires et protègent la diffusion d’Unplanned.
Le CSA s’assurera ensuite que la diffusion d’Unplanned respecte la convention qu’il a signée avec C8 et dont les obligations sont principalement issues d’une loi de 1986. La diffusion d’Unplanned ne viole aucune stipulation de ce contrat. Aucune procédure de sanction ne devrait donc être engagée.
En revanche, il est tout à fait possible que, pour des raisons politiques, le CSA désapprouve publiquement la diffusion d’Unplanned. Dans ce cas, il enverra une simple lettre à C8, rappelant de grands principes tels « l’égalité femmes-hommes » ou la « lutte contre les préjugés sexistes ». Une telle lettre pourrait donner lieu à des réactions politiques mais, sur le fond, n’entraînerait aucune conséquence réelle pour la chaîne.
À l’issue de l’examen de ces plaintes par le CSA, C8 devrait ainsi avoir la confirmation qu’elle peut proposer de nouvelles dates de diffusion d’Unplanned.