Le débat organisé par France2 entre douze têtes de listes pour les européennes le 4 avril a présenté une galerie de portraits plutôt sympathiques, avec des présentations plutôt claires et des personnalités assez à l’aise. A l’exception de Mme Loiseau, légèrement tassée entre d’un côté F. Philippot et de l’autre J. Bardella, proximité malaisée pour elle et déterminée par le hasard. Et même si c’est toujours une source d’étonnement de constater qu’il y a toujours dans notre pays un Parti communiste qui, au surplus, s’arroge le slogan « L’humain d’abord ». Il y a des rapprochements qui font frémir même la mémoire la plus distraite.
Il y avait aussi les deux responsables des informations politiques (une sorte de pléonasme pour le service public se gausseront certains) sur France Inter et France2, totalement inutiles ; et les deux journalistes supposés animer le débat, qu’on comparerait volontiers à des instituteurs bornés, si ce n’était désagréable pour cette profession estimable, et qui ont passé leur temps entre interruptions sèches pour faire respecter les temps de paroles et questions saugrenues (« Comment est-ce qu’on fait aller mieux nos économies ? » avec réponse en une minute, sinon on vous coupe la parole). Ils avaient cependant eu l’idée de demander à chacun d’apporter un objet pour « à travers cet objet, parler de l’Europe ».
Au demeurant, les candidats sont restés disciplinés, et parfois décontractés. Comme quand N.Dupont-Aignan ayant proposé à F-X. Bellamy de le rejoindre sur sa liste fût interrompu par J.Bardella, juste à côté de lui, qui lui a soufflé : « Il y aura au moins quelqu’un »…
Au total, chacun a eu environ 12 minutes pour parler. Et des échanges communs, il est quand même ressorti une vue de la France, de l’Europe et du monde.
La vue de la France :à part la maquette d’Airbus montrée par N. Dupont-Aignan, « symbole de l’Europe qui marche, une coopération à quelques pays », les autres objets symbolisant la France étaient sympathiques mais néanmoins un peu étonnants : la baguette de pain (F. Philippot), le pot de miel (Y. Jadot) et le piment d’Espelette (N. Loiseau : « ça vient du sud-ouest, comme moi » et on se réjouit in petto pour elle, il lui faut bien quelques motifs de satisfaction) : ces produits français sont-ils réellement représentatifs de la puissance, de la créativité, des savoir-faire et du niveau de vie escomptés pour notre pays ? De la même façon, N. Loiseau se déclare attachée à la libre circulation à l’intérieur de l’Europe parce que « Nous sommes un pays de tourisme », éloge formidable pour une France disneylandisée mais au patrimoine de l’Unesco !
La représentation du monde est simple : le monde est hostile. « Il y a Vladimir Poutine, il y a Donald Trump, il y a la Turquie d’Erdogan, il y a la Chine » (R. Glucksmann). Face à ces dangers, « on est faible, on est des rageux impuissants face à des gens qui ont des objectifs » déclare aussi B. Hamon ; en pensant certainement en particulier à la Chine ; mais sans évoquer l’OCI (l’Organisation de Coopération Islamique) ni le Qatar et son financement occulte du mouvement des Frères musulmans. Et tous réclament plus ou moins des frontières et parfois la fin du libre-échange, comme de vulgaires D. Trump.
Entre les deux, la vue de l’Europe est étrangement unanime : c’est l’impuissance. Comme le dit F. Asselineau, « ce que je trouve fascinant dans ce débat ce soir, c’est que pour tous les sujets qu’on évoque, on s’aperçoit que l’Europe ne marche pas ». La gouvernance de l’Union européenne est étrillée : technocrates non-élus, « hystérie des lobbys » (N. Loiseau), système anti-démocratique (« Il n’y a pas de peuple européen, il n’y aura donc jamais de démocratie européenne » F. Philippot), personnalités contestées (« vous savez peut-être ce que faisait le commissaire européen au climat ? C’est l’ancien magnat d’une compagnie pétrolière. C’est un peu comme si on confiait à Dracula le camion du Don du sang » I. Brossat).
Comme le dit avec gentillesse J-C. Lagarde : « La solution, elle est dans la construction de la puissance de l’Union européenne ». Mieux vaut tard que jamais, même si l’on sait que cette impuissance est décrite par P. de Villiers comme étant dans l’ADN de l’Europe de Monnet, Schuman et Hallstein. R. Glucksmann ajoute : « Il faut ensemble qu’on construire les moyens d’une Europe puissante. Il va falloir rompre avec l’idéologie du libre-échange absolu, une Europe verte. Il faut construire une Europe de la défense, il faut qu’on montre une Europe de la défense sérieuse » (au moment où les Allemands réitèrent leur décision unilatérale d’embargo sur tout produit allemand embarqué dans des armes à l’exportation vers certains pays (jusqu’aux boulons) ; anéantissant ainsi l’idée même de toute coopération industrielle d’armement commune ultérieure. Alors, on fait comment ?
Loiseau démontrait toute l’imprévoyance de l’Union européenne : « Frontex, c’est la police européenne des frontières. Aujourd’hui, c’est 600 hommes. On a demandé qu’il y ait au minimum 10 000 hommes pour venir en soutien des polices nationales» et aussi « il faut reconstruire des champions industriels européens», après le refus de la Commission européenne de la fusion Alstom-Siemens dans la construction ferroviaire. Elle ajoutait « je propose qu’on construise une alliance européenne des batteries », déclaration martiale mais ne décalquant qu’une partie des inquiétudes de Carlos Tavarès, patron de PSA et président de l’Association des constructeurs automobiles européens, exposées lors de son audition à l’Assemblée nationale le 28 mars 2018, il y a un an.
De façon quasi-subliminale, B. Hamon avait choisi comme objet le gilet de sauvetage : tout un symbole !
« Construction » avez-vous dit ? Mais construire, c’est d’abord commencer à bâtir des murs. Et sur les murs, les échanges ont été instructifs.
Il y a d’abord eu J-C. Lagarde et R. Glucksmann qui avaient apporté le même objet pour introduire le débat : des fragments du Mur de Berlin. Pour déplorer tous les deux que d’autres veuillent reconstruire des murs : « Pourquoi aujourd’hui on reconstruit des murs ? On a trahi la promesse faite à tous les Européens au lendemain de la chute du Mur de Berlin » se plaint R. Glucksmann. Et personne ne s’étonne du contresens consistant à comparer la chute d’un mur qui était fait pour empêcher les gens de sortir de leur prison, avec la construction de murs qui sont faits pour réguler l’entrée de gens qui veulent déferler chez vous ! Et pourtant, R. Glucksmann encore lui de dire « l’Europe est ce qui peut nous protéger dans un monde hostile ». Sans murs ?
Comme le décrit N. Dupont-Aignan,
« l’Europe, c’est comme un immeuble. Le syndic de copropriété avec les propriétaires décide de supprimer toutes les portes des appartements. Est-ce que vous acceptez dans votre appartement, si vous habitez un immeuble, de supprimer les portes de votre appartement, de laisser juste un vague code en bas et l’immeuble devient un squat et on vient se servir dans votre réfrigérateur ? ».
Jordan Bardella avait choisi la passoire comme objet-symbole d’une Union européenne incapable de protéger les emplois, l’environnement, les valeurs de civilisation (contre l’immigration) et contre la menace terroriste. Et F-X. Bellamy de remettre les choses à leur place :
« Comment voulez-vous accueillir quelqu’un entre vos murs si vous n’avez plus de murs ? C’est quand même fou cette ingratitude envers les murs de gens qui, le soir, sont bien contents de se réfugier entre leurs murs pour pouvoir dormir tranquilles ».
Au final, il y a toutes les palettes de positionnement politique par rapport à l’Union européenne : ceux qui veulent en sortir, ceux qui veulent renégocier tous les traités, ceux qui veulent des coopérations par pays, ceux qui veulent changer l’Europe, le mantra des élections européennes depuis 40 ans comme le rappelle continûment F. Asselineau. Qui ajoutait :
« On a comme d’habitude tous les cinq ans le concours de à qui aura la meilleure autre Europe, avec un grand prix du meilleur acteur. Le problème, c’est que tout le monde s’en fiche. C’est comme le programme de M. Macron. Vous savez il a fait une tribune publiée dans 27 journaux. Mais déjà les Français, personne ne l’a lue. Alors vous imaginez qu’en Bulgarie, son article a servi à envelopper les œufs le lendemain matin ».
Il y a la fausse information (l’oiseau menteur) dûe à N.Loiseau et déjà connue des lecteurs du Salon beige : « J’étais à Londres le jour où Honda a annoncé qu’il fermait une usine et mettait fin à 3500 emplois au Royaume-Uni à cause du Brexit ». En réalité, la décision de Honda est liée à la signature prochaine d’un traité de libre-échange entre le Japon et l’Union européenne : de ce fait, l’usine qui avait été installée en Europe pour échapper aux droits de douane n’a plus de raison d’être. La production actuellement britannique sera relocalisée au Japon. Rien à voir donc directement avec le Brexit. Ce qui n’empêche pas dame Loiseau de continuer : « la décision du Brexit a été prise sur la base de slogans simplistes, d’une manipulation, de mensonges »…
Il y a la collision d’informations qui donnent un éclairage intéressant : R. Glucksmann s’offusque à propos de l’affaire de l’Aquarius (« aujourd’hui on traite les humanitaires comme des pirates. Ce ne sont pas des passeurs, ce sont des humanitaires ») au moment où C. Castaner, ministre de l’intérieur en réunion avec certains de ses homologues de l’Union européenne décrit :
«En Méditerranée centrale, on a observé de façon tout à fait documentée une réelle collusion à certains moments entre les trafiquants de migrants et certaines ONG. On a observé que certains navires d’ONG étaient en contact téléphonique direct avec des passeurs qui facilitaient le départ des migrants depuis les côtes libyennes, dans des conditions effrayantes, souvent au péril de leur vie. Les ONG dans ces cas-là ont pu se faire complices des passeurs »,
ce qui était exactement le propos de Génération identitaire en lançant en 2018 la mission « Defend Europe» en Méditerranée pour dénoncer la complicité objective des ONG – telles que SOS Méditerranée et son bateau l’Aquarius – avec les passeurs de migrants qui cherchent à rejoindre l’Europe. C’est sans doute la raison pour laquelle le mouvement est menacé de dissolution : le témoin a dit la vérité chantait Guy Béart.
Loin de tout préjugé, bien sûr mais quand même, il y a toujours ce léger mépris pour les voisins britanniques, manipulés comme les a déjà décrits N. Loiseau : « Regardez la médiocrité de la classe politique britannique qui n’arrive pas à se mettre d’accord sur quoi que ce soit » dit Y. Jadot qui participe lui-même à un débat où il y a déjà 12 têtes de listes pour les élections européennes dont R. Glucksmann, qui regrette à la fin de l’exercice une impossibilité d’union avec les listes du dénommé Jadot et de B. Hamon : « notre comportement n’est pas à la hauteur des périls ».
Et il y a cette réflexion amère de J. Bardella : « j’ai 23 ans, je n’ai jamais connu cette France qui va bien », et les défis qui nous attendent résumés par F-X. Bellamy qui avait apporté comme objet L’Iliade et l’Odyssée de Homère :
« L’Europe, c’est une civilisation menacée de sortir de l’histoire. Un héritage menacé. L’Europe, soit elle changera, soit elle disparaîtra. Confrontée à l’impuissance face à la guerre économique, à cause de la naïveté dont nous faisons preuve depuis longtemps maintenant, face au défi migratoire qui est devant nous, incapacité à relever le défi environnemental, risque de fracturations communautaires ».
Il n’est pas sûr que nous voulions de l’Europe du bonheur, slogan proposé par Y. Jadot : le bonheur est quelque chose de trop important pour être versé imprudemment dans le domaine public.
Paul Valéry disait
« Partout où les noms de César, de Gaius, de Trajan et de Virgile, partout où les noms de Moïse et de saint Paul, partout où les noms d’Aristote, de Platon et d’Euclide ont eu une signification et une autorité simultanées, là est l’Europe. Toute race et toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à l’esprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne ».
L’Union européenne a été conçue comme un marché (devenu : je me suis fait marcher dessus). Tout ce qui la rapprochera de la civilisation européenne sera le bienvenu.
philippe paternot
je plains les vrais journalistes qui s’impose par conscience professionnelle, cette épreuve d’écouter les débats, pour nous en faire un résumé