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L'Eglise : Foi

« Vatican II et la nouvelle liturgie ont inventé un nouveau mode magistériel, la régression dogmatique »

« Vatican II et la nouvelle liturgie ont inventé un nouveau mode magistériel, la régression dogmatique »

A l’occasion de la réédition, revue et augmentée, de son ouvrage intitulé Trouvera-t-Il encore  la foi sur terre ?, nous avons interrogé l’abbé Claude Barthe :

Le titre de votre ouvrage est une citation de l’Évangile. Au vu de l’évolution actuelle de la religion catholique (croissance en Afrique et en Asie, chute en Europe…), peut-on envisager que celle-ci disparaisse en Europe occidentale, et donc à Rome, comme elle avait été pratiquement éliminée d’Afrique du Nord au début du Moyen-Age ?

L’abbé Claude Barthe – Notez que la question du Christ porte sur la foi qui pourrait disparaître, pas sur le nombre de ceux qui se disent catholiques. On peut parfaitement être catholique par la carte d’identité, si l’on peut dire, et avoir fait naufrage dans la foi.

Par ailleurs, s’il y a croissance du catholicisme en Afrique et en Asie, c’est une croissance du nombre des catholiques dans l’absolu, mais ce n’est pas une croissance relative, car la population y augmente énormément : les sectes ont malheureusement une croissance relative beaucoup plus grande. Qui plus est, l’orthodoxie des épiscopats et des théologiens d’Asie laisse parfois beaucoup à désirer.

En fait, le verset en saint Luc 18, 8, est très mystérieux. Il faut le rapporter aux prédictions concernant la persécution radicale de la religion du Christ par l’Antéchrist dans la deuxième épître de saint Jean, ou par l’Homme de péché de la 2èmeaux Thessaloniciens, ou encore par la Bête de l’Apocalypse, à laquelle il sera donné de faire la guerre aux saints, et de les vaincre (13, 7). On doit sans doute interpréter la phrase comme annonçant la presque disparition de la foi. N’y va-t-on pas dans nos contrées occidentales, y compris à Rome ?

Presque disparition, mais pas totale. Que Rome cesse d’émettre la règle de foi n’est pas possible. Il est vrai que nous sommes dans une situation que Jean Madiran qualifiait de « collapsus magistériel ». Je développe le même thème, celui de la « démission » des organes du magistère qui ne font pas leur travail. Mais cette situation ne peut qu’être provisoire.

Une des caractéristiques dramatiques de la situation présente est que ceux qui sont en charge du magistère ne font plus leur travail de définir ce qu’il faut croire et de condamner ceux qui s’en écartent. Ni dogmatisation, ni condamnation, disait en substance le discours d’ouverture du Concile par Jean XXIII. De sorte que les frontières de la foi sont devenues floues à l’intérieur même de l’Église institutionnelle.

Notre-Seigneur a promis que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église. Mais cette promesse s’applique-t-elle à l’Église militante ? Car pour ce qui est de l’Église souffrante et de l’Église triomphante, il est certain que l’enfer ne peut plus rien contre elles.

La promesse s’applique bien à l’Église militante, dirigée par le Successeur de Pierre et les évêques unis à lui dans la foi. Cette promesse est incluse dans celle qui est faite à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » (Matthieu, 16, 18). Mais justement, si le Christ a jugé bon de faire cette promesse, c’est qu’en certaines époques, il a pu sembler, et il peut sembler aujourd’hui, que l’erreur l’emporte.

Depuis la Révolution française, un certain nombre de courants (Lamennais, américanistes, modernistes, etc.), qui peuvent se regrouper sous l’appellation générale de catholicisme libéral, ont tenté de trouver une voie moyenne entre vérité catholique et esprit nouveau, dans la bonne intention, toujours déçue d’ailleurs, de ménager au catholicisme une certaine reconnaissance sociale au sein de la modernité. Le magistère, de Pie VI à Pie XII, a condamné sans relâche cette tentation. Avec Vatican II, le catholicisme libéral, sous la forme de ce que Pie XII a appelé la « nouvelle théologie », a pris les rênes du pouvoir magistériel, et ceci dès les premiers jours de l’assemblée, en octobre 1962, qui ont vu un véritable retournement politique. Mais pas un retournement magistériel, ce qui serait impossible. En fait, les hommes de la nouvelle théologie ont écarté le personnel de l’École romaine qui entourait Pie XII, et ont en somme fait main basse sur le magistère, en le mettant en veilleuse. Les principales « intuitions » de Vatican II (liberté religieuse, œcuménisme, principes du dialogue avec les religions non chrétiennes) veulent dire autre chose que le magistère antérieur, sans le contredire de front, en se plaçant sur un mode d’enseignement pastoral, autre que le mode magistériel classique qui se fonde sur le contenu de la Révélation et oblige à croire.

Dans votre livre, qui aborde longuement le Concile, vous soulignez que le décret sur l’œcuménisme ne contient pas la moindre définition de ce concept. Dans les années qui ont suivi, Rome n’a-t-elle donc jamais cherché à définir cette notion ?

En effet, ce qui, dans le décret Unitatis redintegratio, ressemble le plus à une définition est ce truisme : « Par “mouvement œcuménique” on entend les entreprises et initiatives provoquées et organisées en faveur de l’unité des chrétiens » (n. 4). Le texte subséquent le plus important est l’encyclique de Jean-Paul II, Ut unum sint de 1995, qui traite longuement de l’engagement œcuménique, mais sans en définir davantage la portée. On a lancé l’Église dans un formidable « mouvement », sans être capable de dire où on allait, ni vers quelle unité on se dirigeait.

Et c’est normal, parce que l’œcuménisme est typiquement cet entre-deux catholique libéral, ni vraiment catholique, ni vraiment hérétique. Le dilemme était le suivant : pour l’œcuménisme protestant, celui que prône le Conseil Œcuménique des Églises, l’unité de l’Église se fera dans l’Église du Christ à laquelle aucune Église existante ne peut prétendre s’identifier pleinement ; pour l’unionisme catholique traditionnel, l’unité ne peut se faire qu’au moyen de la réintégration, individuellement ou en corps, dans l’Église de ceux qui l’ont quittée. Eh bien, l’œcuménisme de Vatican II voulait dépasser l’unionisme (j’ai entendu de mes oreilles le cardinal Willebrands, Président du Conseil pour le Dialogue, dire qu’il ne fallait plus parler de « retour »), sans tomber dans l’hétérodoxie protestante. Cercle carré. J’ai un jour respectueusement titillé le cardinal Ratzinger sur ce point : retour des séparés dans la même Église catholique qu’ont quitté les séparés ou retour dans une autre Église ? Il m’a répondu : « Retour dans l’Église catholique, mais “en avant” ».

L’œcuménisme n’est pas pour autant le néant, car la théologie a horreur du vide. La troisième voie « pastorale », qui tente de ruser avec la doctrine traditionnelle, sort tout de même de l’orthodoxie : le décret sur l’œcuménisme dit que les chrétiens séparés bénéficieraient d’une « communion imparfaite » avec l’Église catholique (Unitatis redintegratio, n. 3). Ut unum sint en rajoute : ce serait les communautés séparées elles-mêmes qui seraient en communion imparfaite avec l’Église catholique (n. 11). Ce qui est impossible : la communion, fondée sur la foi, comme l’état de grâce, fondé sur la charité, existe ou n’existe pas, et l’on n’est pas plus à demi en état de grâce, qu’on est à demi en communion avec l’Église. Les protestants ne sont pas des catholiques à 20 ou 30%, les orthodoxes à 60%, etc.

Vous évoquez aussi la réforme de la liturgie, devenue malléable, comme l’ont été les textes du Concile. Que pensez-vous de ces tentatives de penser le Novus Ordo de façon traditionnelle, comme à Solesmes, à la communauté Saint-Martin, ou, plus récemment, avec l’ouvrage du père Nadler “L’Esprit de la messe Paul VI” ? Ces tentatives sont-elles conformes à “l’esprit du Concile” ?

Je pense que ces tentatives, qui manifestent une sorte de mauvaise conscience activée par la présence bien vivante du rite traditionnel, sont vaines. A l’époque de l’instauration du nouvel Ordo, ses critiques, par exemple dans Itinéraires, disaient : mieux vaut une messe traditionnelle en français qu’une messe nouvelle en latin. Le problème du Novus Ordo est intrinsèque : même célébré avec beaucoup de respect, de piété et de latin, il reste défectueux quant à l’expression du sacrifice eucharistique, du sacerdoce hiérarchique, de la présence réelle. Du sacrifice surtout. Même célébré à la perfection comme veulent le faire Solesmes, le P. Nadler, qui fut novice à Solesmes, la Communauté Saint-Martin, il reste au mieux plus faible que l’Ordo qu’il a remplacé. Au mieux, car au pire il permet tous les débordements. Le problème de la nouvelle lex orandi (si tant est que la liturgie de Paul VI avec ses variantes à l’infini soit une loi) est le même que celui de la nouvelle lex credendi (les « intuitions » de Vatican II) : le clair est remplacé par l’obscur qu’on est constamment obliger d’« interpréter », le vrai par le flou. On parlait jadis de « progrès dogmatique ». Vatican II et la nouvelle liturgie ont inventé un nouveau mode magistériel, la régression dogmatique.

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