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Culture

Wesh, wallah : ce que la France perd, la barbarie gagne

Wesh, wallah : ce que la France perd, la barbarie gagne

La semaine de la langue française et de la Francophonie est organisée du 15 au 23 mars. Censée célébrer la langue de Molière, elle devrait être l’occasion de remettre à l’honneur la richesse de notre vocabulaire. Peut-on raisonnablement se réjouir du rétrécissement de notre champ lexical, notamment chez les jeunes ? Réflexion du père Danziec dans Valeurs Actuelles :

A la suite la récente tribune signée dans Le Monde par le jeune linguiste Rémi Soulé, que dirait le flamboyant d’Annunzio au sujet de la langue française en 2025 ? Le titre du texte publié dans le quotidien du soir est à lui seul évocateur : « Nos enfants disent wesh ? Remercions-les ! » Sur les ondes de RTL ou le plateau de Télématin, Rémi Soulé déroulera sa thèse le plus tranquillement du monde : le problème du langage des jeunes ne vient pas de leur syntaxe fâcheuse ou de leur choix lexical hasardeux mais du manque de compréhension des adultes, de leur réflexe de domination et d’insécurité linguistiques. « Faire croire aux jeunes francophones que leur langage, “c’est pas du français”, c’est tout simplement les faire taire. » Il y a un an exactement, sous la coupole de l’Institut, Franck Ferrand confiait au Figaro La Nuit son amour de la langue de Molière et revendiquait : « Moi, je ne dis pas “wesh” ». Deux mondes. Deux salles. Deux ambiances.

Mais alors, que dirait Gabriele d’Annunzio ? Oui, que dirait aujourd’hui le poète-prophète Italien, lui qui fut membre de l’Académie Royale de langue et de littérature françaises et qui n’hésita pas à reprocher au vieil Anatole France, pourtant prix Nobel de la littérature en 1921, la pauvreté de son vocabulaire ? « La langue française est riche de cinquante mille mots, que faites-vous des quarante-neuf mille qui vous restent ? » lui lançait l’icône de Fiume. Antonio Aniante, dans son ouvrage Gabriele d’Annunzio, Saint-Jean du fascisme (1934), appuie plus encore le contraste entre d’Annunzio et France. Le premier recherchait, écrit-il, les mots les plus précieux de sa langue maternelle, tel « un chasseur opulent armé de toutes les patiences et de toutes les armes » tandis qu’Anatole France, « lentement, à l’aide de son étroit vocabulaire, au seuil de ses quatre-vingts ans, travaillait encore et tâchait de faire mieux », à l’image d’un Auguste Renoir qui, dans son extrême vieillesse, se levait chaque matin, dit-on, avec l’espoir de perfectionner sa simplicité picturale.

Le drame du débraillé verbal

Rémi Soulié oublie sans doute, et la chose est dommageable, l’avertissement de George Orwell dans son essai Politics and the English Language (1946) pour qui la dégradation du langage et l’appauvrissement du vocabulaire favorisent les raisonnements simplistes, empêchent l’intelligence de s’exprimer avec nuance et précision et nourrissent de ce fait les conflits et la disharmonie.

La diplomatie, la courtoisie, l’éloquence sacrée, les débats parlementaires, la distinction, la culture tout simplement, participent de la richesse du vocabulaire et de sa juste utilisation. Les bons mots ou les traits d’esprit ne peuvent se jouer que si chacun possède suffisamment de billes dans l’escarcelle de son intelligence. Imagine-t-on Talleyrand ou Metternich négocier les contours du traité de Vienne à coup de “wesh” ou de “wallah” ? Passer de Pierre de Ronsard à Aya Nakamura, du « Mignonne, allons voir si la rose » à « Y a pas moyen, Djadja », nous rappelle, comme l’écrit Cocteau, qu’« il est possible que le progrès soit le développement d’une erreur »… Qui pour succéder à Bossuet et Lacordaire, quand les chaires d’Eglise elles-mêmes – en plus des nefs – sont trop souvent désertées ? Dans l’hémicycle, le souvenir de la truculence d’un chanoine Kir contribue, si besoin était, à faire regretter le débraillé verbal d’un Louis Boyard. La liste serait trop longue de nos turpitudes de langage. Il n’en reste pas moins que la diction et le verbe d’un Jean d’Ormesson hier et celle d’un François Sureau aujourd’hui émerveillent les véritables amoureux de la langue française et ajoutent à leur fierté de partager la même langue maternelle que de grands esprits.

«  Il n’y a pas de pensée sans mots »

En vérité, la jeunesse se trouve confrontée devant une double difficulté, et la diminution patente de son vocabulaire, faute de lecture, et de mise en valeur des matières littéraires, et l’intégration de mots nouveaux non seulement aux origines sémantiques étrangères mais encore aux acceptions équivoques. Au micro de RTL, Rémi Soulié peinait d’ailleurs à donner aux auditeurs une définition simple du mot « wesh ». A lui seul, ce mot possède de nombreuses interprétations. Comme les lettres des poilus durant la Grande Guerre, les rédactions des écoliers pour leur Brevet élémentaire, ou tout simplement la fraicheur enfantine du p’tit Gibus dans La guerre des boutons, paraissent loin.

En novembre 2019 dans L’Agefi, Christophe Clavé énonçait déjà clairement l’étendue des enjeux de l’expression à travers un joli texte au titre évocateur « Baisse du QI, appauvrissement du langage et ruine de la pensée ». Selon lui,

« La disparition progressive des temps (subjonctif, formes composées du futur…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. Moins de mots et moins de verbes conjugués, c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilités d’élaborer une pensée. Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses “défauts”, abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont des fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté. »

Un génie français à retrouver

Cette richesse du vocabulaire et le champ des possibles qu’il offre à la pensée est celui-là seul qui permet aux esprits fins de donner leur pleine mesure. A l’heure où la diplomatie doit répondre aux difficultés internationales, le langage n’est pas une petite arme. Au cours de l’été 1715, alors que Louis XIV tenait encore et toujours le timon de l’Etat, le Roi Soleil recevait l’ambassadeur d’Angleterre mécontent. En vertu du traité d’Utrecht, la France s’était en effet engagée à démolir la forteresse de Dunkerque. Dunkerque était certes en cours de démolition mais de nouvelles fortifications étaient, au même moment, dressées à peu de distance de là, au grand dam de l’Angleterre. Aux reproches (légitimes) de l’ambassadeur Lord Stair, le vieux Louis XIV, appuyé sur sa canne, ne se laisse pourtant point impressionner et décoche cet avertissement plein de panache : « Monsieur l’ambassadeur, je suis ici chez moi et je vous conseillerais de ne pas me faire souvenir que je l’ai été parfois chez les autres ». Le grand siècle. Les grands esprits. Le beau langage. Ne serait-ce pas cela qui rend la France aimable et ce génie français qu’il nous faudrait retrouver ?

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