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France : Politique en France / Histoire du christianisme / Religions : L'Islam

15 siècles de relations entre la France et l’islam

Le Salon Beige a interrogé Gerbert Rambaud, qui vient de publier La France et l’islam au fil de l’histoire.

France-islamAutant les livres sur l'islam fleurissent, autant il est assez rare d'évoquer l'histoire des relations entre la France et l'islam. Quelles sont les étapes les plus importantes de cette relation?

Il m’est apparu important de remettre en contexte les relations complexes que la France a eu avec l’islam, au fil de son histoire. Notre territoire connait bien l’islam contrairement à ce qui est trop souvent indiqué. Et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai voulu étudier au-delà de l’histoire du simple royaume de France, qui se résume trop souvent en une histoire politique des rois de France, et étudier tout notre territoire actuel, y compris toutes les provinces dont on ne parle jamais tant qu’elles n’ont pas été rattachées au royaume de France, notamment l’Aquitaine, la Provence, la Bourgogne, ou la Corse…Il y a trop d’événements méconnus qui pourtant sont utiles pour la compréhension de l’évolution de notre pays.

J’ai ainsi identifié trois périodes dans cette histoire mouvementée. La première correspond à ce que j’ai appelé la confrontation, tant sur notre territoire que son pendant correspondant aux croisades. Nous sommes alors dans une phase de conquête territoriale, ou de reconquête territoriale qui est soumises aux règles sévères de la guerre. Cette période commence sur notre territoire à partir de 719, avec la conquête et l’occupation de Narbonne, pendant 40 ans, en passant par les batailles de Toulouse, puis de Sens ou de Poitiers en 732, la libération d’une partie de la Provence entre 973 et 990. Elle se poursuit jusqu’en 1291 avec la fin des croisades. Cela est l’occasion de remettre toutes ces confrontations dans leur contexte historique loin des anachronismes trop souvent effectués par beaucoup de commentateurs actuels, et bien loin de la mode de la repentance qui n’a aucun sens en histoire.

Puis, après ces phases de conquêtes et reconquêtes, notre pays a vécu une période apaisée pendant près de 3 siècles. C’est le temps des alliances entre la France et l’empire Ottoman, initiées par François 1er avec Soliman le Magnifique, alliances militaires et économiques, pour l’intérêt bien compris des deux pays. C’est la période des découvertes mutuelles, politique isolée par rapport au monde européen confronté quant à lui aux tentatives de conquête vers Vienne des sultans Ottomans.

Et la troisième phase correspond à la cohabitation, cohabitation de la France en terre d’islam avec la colonisation puis désormais cohabitation de l’islam en terre de France. Et là encore, de nombreuses méconnaissances de part et d’autres empêchent trop souvent une discussion sereine. 

Curieusement, les rois très chrétiens semblaient avoir une relation plus "dépassionnée" avec l'islam que nos dirigeants laïcs actuels. Comment l'expliquez-vous?

La question de la cohabitation religieuse ne se posait pas vraiment à l’époque. On l’a vu avec le traitement du protestantisme en France ou du catholicisme dans les pays protestants. On appliquait alors le vieux principe « Cujus regio, ejus religio » signifiant « A chaque région, sa religion » ou autrement dit « On a la religion de son prince » si cher au professeur Chaunu. Ce principe d’unité avait fixé les règles entre la France et l’empire Ottoman. Il n’y avait alors aucune volonté ou ambition d’implantation religieuse dans le pays de l’autre. On pouvait donc avoir une relation plus apaisée puisqu’il n’y avait pas confrontation religieuse interne au pays. La situation a changé avec la république laïque qui s’est mise en place dans un contexte où l’islam était la grande absente. La relation que la France a eu ensuite avec les trois grandes religions présentes sur le territoire, à savoir les religions catholiques, protestantes et juives, n’ont pas toujours été dépassionnées mais un accord a été imposée par toute une série de lois ou dispositions, se terminant principalement avec la loi de séparation des églises et de l’Etat de 1905. La religion musulmane n’étant pas passé sous les fourches caudines des lois de la république française, contrairement aux autres religions pour lesquelles ce fut parfois excessivement douloureux, cette relation apaisée reste à écrire. Et nos dirigeants laïcs actuels, ne connaissant sans doute pas assez notre histoire, semblent désemparés. D’où l’intérêt toujours de l’histoire pour mieux imaginer l’avenir…  

Un ancien président parlait des racines "autant musulmanes que chrétiennes" de la France. Au regard de l'histoire, pensez-vous que l'on puisse soutenir une telle théorie? 

Clairement, il n’y a  pas de racines musulmanes en France. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de population musulmanes en France. Considérer au même niveau des racines musulmanes et chrétiennes est une méconnaissance de notre histoire. S’il est vrai qu’il y a eu des invasions musulmanes dans le passé, et souvent plus longues qu’on ne le raconte habituellement, elles n’ont été cependant à l’échelle de notre histoire, que des épiphénomènes comme l’ont été les invasions des huns, des hongrois ou même des vikings. D’ailleurs, une fois ces invasions rejetées, les populations musulmanes qui avaient pu s’installer un temps dans ces territoires, sont soit reparties en terre d’islam soit se sont fondu dans la population française et chrétienne. On en retrouve la trace dans certains noms de famille ou de lieux mais très ponctuellement et surtout le principe de l’assimilation a fondu ces populations dans la culture chrétienne. Jusqu’à une période très récente, les familles d’origine étrangère francisaient systématiquement leurs noms de familles pour justement se fondre dans les racines chrétiennes de la France.

L'islam étant connu comme un système politico-spirituel global, pensez-vous qu'il soit possible de faire abstraction des questions religieuses pour négocier politiquement avec des pays musulmans, comme le firent naguère Charlemagne, saint Louis ou François Ier?

A l’époque de Charlemagne, de Saint Louis ou de François Ier, l’islam était déjà un système politico-spirituel global pour reprendre votre expression. Cela n’a pas empêché de négocier politiquement et économiquement. Mais il n’y avait pas d’interpénétration entre les populations. Lorsque des Français vivaient à Istanbul au XVIIIe siècle, ils respectaient très scrupuleusement la foi du pays d’accueil. Et vice versa, dans la continuité finalement du vieux principe romain qui rappelait qu’il fallait vivre à Rome comme les Romains et ailleurs comme ils vivent. Il faut connaître évidemment le système de pensée de l’autre pour pouvoir discuter sereinement. C’est ce qui s’est passé pendant des siècles dans notre histoire. 

La même question se pose à propos des négociations politiques avec les musulmans de France. En particulier, pensez-vous qu'il soit judicieux de donner aux musulmans le conseil français du culte musulman (nécessairement, donc, spirituel et religieux) comme instance de représentation devant les pouvoirs publics?

La situation de l’islam est qu’il n’y a pas de structure organisée pour représenter les fidèles. Avec qui discuter une relation sereine entre les fidèles et l’Etat ? S’il n’y a pas d’organisation représentative, il ne peut pas y avoir de coordination et d’accord. Il parait légitime, au vu du système français, que la religion musulmane soit structurée d’une manière ou d’une autre pour devenir un interlocuteur crédible pouvant parler au nom cette communauté religieuse, tout en étant une organisation indépendante de l’influence de certains pays étrangers. L’histoire est une merveilleuse leçon d’humilité et permet souvent d’analyser des situations présentes avec cette connaissance passée. Par exemple, qui se souvient que Napoléon avait interdit le financement des séminaires protestants aux puissances étrangères, et veillé à la nomination des directeurs de ces séminaires, situés obligatoirement dans la France de l’époque ? Ce qui a été possible pour les protestants ne pourrait-il pas se faire avec l’islam ?

Beaucoup évoquent ce que Bonaparte a fait pour le judaïsme, ou ce que la IIIe République a fait avec le catholicisme, comme modèle de ce qu'il faudrait faire avec l'islam aujourd'hui. Au regard de l'histoire, pensez-vous que ces comparaisons soient justifiées?

La religion catholique a été souvent soumise au pouvoir politique pendant des siècles. Les différents rois de France n’ont pas ménagé leur peine pour que les religieux acceptent son pouvoir sans interférer avec eux. La nomination des évêques a longtemps été un enjeu lourd de conséquence entre les rois de France et le Pape. Et ce, tant déjà avec Clovis qu’avec les différents rois capétiens, et jusqu’à Napoléon qui exigera ce contrôle, allant jusqu’à emprisonner le Pape… D’ailleurs, Napoléon étendra ces principes aux protestants ainsi qu’aux juifs, avec notamment la mise en place d’une structure représentative, à savoir le consistoire central israélite de France, qui rassemblera alors une religion qui n’avait pas d’unité formelle, structurée. La religion juive a dû, à cette occasion, accepter cette suprématie du droit français sur le droit religieux, abandonnant pour certains qui le pratiquaient encore la polygamie, la répudiation etc…Et cela n’a pu se faire qu’avec la mise en place en 1806 du consistoire. La religion juive de France a alors renoncé à la suprématie de la loi hébraïque sur la loi française.

L’église catholique de France a été obligée, dans la douleur, de renoncer à une partie de son rôle social notamment dans l’enseignement ou dans les soins hospitaliers. Il y a eu l’expulsion des congrégations qui sont parties se réfugier à l’étranger, la fermeture des écoles…Il y a eu des morts dans des églises en 1905. C’est dire la violence qui a été imposée à la religion catholique à l’époque. Pourtant, depuis, une certaine sérénité a été trouvée et est désormais acceptée par les catholiques.

Certains aimeraient se servir de cette leçon du passé et imaginer la même démarche avec l’islam. La démarche est cohérente par rapport à notre histoire.

Quel impact la colonisation de la IIIe République laïque, sinon laïciste, a-t-elle eu sur nos relations avec l'islam? 

Contrairement à l’idée qui circule chez de nombreux jeunes issus de l’immigration musulmane, la IIIe République a respecté et fait respecter l’islam dans ses colonies. A tel point qu’il était rappelé régulièrement à l’Eglise catholique qu’elle devait éviter le prosélytisme, et particulièrement en Algérie. Et bizarrement, la laïcité a souvent été plus dure envers la religion catholique en métropole qu’envers la religion musulmane dans les colonies. Il fallait évidemment tenir compte du statut qu’aurait eu un converti en terre d’islam, le renégat, et du danger personnel qu’il courrait alors à abandonner sa foi musulmane.

En même temps, la colonisation a permis à de nombreux français de mieux connaître l’islam. De nombreuses études sont effectuées par des écoles françaises sur l’islam et depuis très longtemps. C’est ce qui fait que sans doute la France a cette approche souvent bien différente du monde musulman que peut l’avoir par exemple le monde américain. Notre proximité géographique, notre histoire commune pendant plus d’un siècle, a permis cette connaissance mutuelle, malgré la complexité du monde musulman face à la rationalité du monde européen.

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10 commentaires

  1. ” Puis, après ces phases de conquêtes et reconquêtes, notre pays a vécu une période apaisée pendant près de 3 siècles.” Période ” apaisée ” pendant laquelle plus de 100000 chrétiens razziés sur les côtes européennes par nos ” alliés ” musulmans vivaient et mouraient dans des conditions épouvantables en Afrique du nord. Le renoncement de l’Europe à ses racines n’a jamais eu pour contrepartie un quelconque renoncement des musulmans à leur idéologie barbare. Et ce qui s’est passé à l’époque ne saurait en aucune façon servir de modèle à une solution actuelle. Pendant que François Ier faisait ami-ami avec Soliman, Soliman ne renonçait pas à conquérir Vienne, Budapest… et le reste. On connaît les complaisances de François Ier avec les protestants.Il en est allé de même avec les musulmans. Quoique le roman historique nous enseigne, François Ier perdait tout et l’honneur avec.

  2. Drôles de relations, avec cimeterre, couteaux, crimes en tous genres, ce ne sont pas des relations mais une épouvantable promiscuité.

  3. Précision sur le commentaire de “Sirius” : “…La reprise de relations entre la France et le Moyen Orient survint avec la signature du traité des Capitulations entre François I° et le Sultan ottoman, en 1535. Par cette convention, le roi de France s’engageait à ne pas faire la guerre à l’empire ottoman, à charge pour le Sultan de permettre aux commerçants et aux pèlerins français de voyager librement en Orient. Cette politique est critiquable, car le Roi très chrétien doit combattre le Turc, et non faire alliance avec lui, surtout quand il assiège la Chrétienté   ! Cependant, à long terme cette diplomatie permit de protéger les chrétiens d’Orient. En effet, si le Saint-Empire combattit efficacement les Turcs en Méditerranée, notamment lors de la victoire miraculeuse de Lépante (1571), aucun pays européen n’intervint militairement au Levant pour secourir les chrétiens, et ce, jusqu’au XVIII° siècle et pratiquement jusqu’au XX° siècle. Or, comme le montre ­François Charles-Roux dans France et chrétiens d’Orient, en renouvelant régulièrement les Capitulations, les rois de France demandèrent aux Ottomans sans cesse davantage de privilèges, et finalement, ils prirent sous leur protection non seulement les pèlerins français, mais tous les pèlerins chrétiens se rendant aux Lieux saints, puis tous les chrétiens d’Orient, et enfin les missionnaires qui commencèrent à arriver en Orient dès la fin du XVI° siècle. Y compris en Syrie   !
    De cette histoire trop méconnue, on doit retenir seulement deux noms, emblématiques d’une œuvre admirable, exemplaire. C’est d’abord le Père Joseph du Tremblay (1577-1638). Ce capucin brûlé du désir de reprendre la Croisade ne se rendit jamais en Syrie. Mais il envoya dès 1625 des capucins à Alep, à Tripoli et à Beyrouth, ouvrant ainsi l’ère des missions en Syrie, qui n’a plus cessé jusqu’au XX° siècle. Des jésuites et des carmes français se joignirent bientôt aux capucins, à Alep, à Damas et à Tripoli, fondant des écoles, des congrégations et des dispensaires, rayonnant merveilleusement auprès des chrétiens mais aussi des musulmans (cf. François Charles-Roux, France et chrétiens d’Orient, et Bernard de Vaulx, ­Histoire des missions catholiques françaises, 1951). L’Empire ottoman étant habituellement très persécuteur à l’égard des chrétiens, ces missions françaises en Syrie et au Liban n’auraient jamais été possibles sans l’appui politique ou, plus précisément, diplomatique, de la France. En effet, en vertu du traité des Capitulations, le royaume de France était le seul pays catholique européen (avec le Saint Empire) à avoir un ambassadeur à Constantinople et des consuls dans les grandes villes de l’Empire. En cas de difficulté voire de persécution, les missionnaires pouvaient recourir au consul qui réglait lui-même le problème, ou faisait appel à Constantinople…” (source CRC)

  4. Si la France a fait alliance avec l’Empire ottoman, c’était pour desserrer l’étreinte qui menaçait la France de disparaître au sein de l’Empire de Charles Quint (cette “Union européenne” de l’époque alors dirigée par la maison d’Autriche).
    Les fameuses “capitulations” signées entre François Ier et Soliman le Magnifique permirent au roi de devenir le protecteur des chrétiens d’Orient.
    Les intérêts de la France et ceux du reste de l’Europe n’étaient pas et ne sont pas forcément convergents.

  5. Les chrétiens des Balkans ont dû être ravis que François Ier ait choisi entre eux et les chrétiens d’Orient.
    Inutile de se cacher derrière d’hypocrites prétextes de patronage. Les rois de France firent alliance avec les Ottomans uniquement pour nuire aux Habsbourg, et tant pis (que dis-je, “tant mieux”, c’était le but) si cette politique amena les armées turques aux portes de Vienne qui serait tombée sans Sobieski Bade et Bavière). On tremble en pensant aux conséquences qu’aurait pu avoir cette basse politique de gribouille (déjà) islamocomplaisante de la France pour qui l’ennemi était plutôt les pieux Charles-Quint ou Léopold Ier que le Grand Turc, comme aujourd’hui c’est plutôt Orban, Trump ou Poutine que les envahisseurs. Quelle honte séculaire. Quand on songe que la France est la seule puissance catholique qui ne fut pas à Lépante, le rouge vous monte au front. Je ne sais pas si la France fut la fille aînée de l’Église mais souvent une fille indigne en tout cas.
    Parlez-moi des rois d’Espagne, oui.

  6. Je me demandes si ce ne serait pas l’AGA-KHAN qui ne pourrait pas être proposé aux Musulmans comme leur representant.Il est depuis tres longtemps chef spirituel de 2 millions de fideles et peut etre le plus apte au dialogue et..contreverse religieuse recherche honnete de la Vérité. et ….il est très francisé.

  7. Le terme relation est inapproprié, il s’agit bien d’une guerre inexorable depuis la naissance de l’islam.
    15 siècles de guerres ininterrompues si l’on considère toute la planète.

  8. Je suis d’accord avec fr qui réagissait au commentaire de Sirius… Le danger immédiat pour nous était l’encerclement du royaume par les Habsbourgs ! Il y a des circonstances où les alliés doivent être choisis en regardant la carte…
    Pendant la seconde guerre mondiale, nous étions bien alliés avec Staline ! C’est tout de même un comble ! Mais il fallait combattre l’ennemi commun : le nazisme…

  9. SEMPER FIDELIS
    Pour combattre le nazisme, nous avons hérité du communisme qui continue de nous empoisonner.
    Il n’y a pas de chemin en demi teinte, ou on marche vers le but, ou on se fourvoie.
    Nous avons été trompés aussi bien par François 1er que par de Gaulle.
    On ne pactise pas avec le diable.
    Le roi comme le président ont vendu leur âme.
    La monarchie a disparu quant à la cinquième république, elle est agonisante.
    Le sable ne fait pas de bonnes fondations.

  10. Semper fidelis..je suis de votre avis..
    mais il est difficile de choisir entre la peste et le choléra..
    car il faut éradiquer les deux..

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