Suite à l’article de Faits & Documents consacrant un portrait au numéro 3 de la liste LR, Arnaud Danjean, un lecteur nous apporte une analyse contradictoire que nous publions bien volontiers :
Il se trouve que je connais un peu Arnaud Danjean, ayant travaillé sur les Balkans pour les Armées au moment où il était lui-même à la DGSE puis au ministère des Affaires étrangères.
Or j’ai relevé plusieurs erreurs factuelles dans l’article de Faits & Documents que vous relayez.
D’abord, il convient de relativiser fortement les allégations de « Pierre Siramy », personnalité très controversée au sein des Services et dont les connaissances sur les Balkans prêtent à sourire auprès de tous ceux ayant sérieusement travaillé sur le sujet. Citer Siramy n’atteste pas que l’on dispose de sources sérieuses à la DGSE. Dans le renseignement, ce sont souvent ceux qui en parlent le plus qui en font le moins.
D’autre part, Arnaud Danjean était officier traitant à la DGSE, donc sans aucun rôle politique décisionnaire. Il a ainsi assisté en tant que simple agent de liaison aux négociations dites de Rambouillet en février-mars 1999, négociations qui n’étaient nullement des rencontres entre “Arnaud Danjean, Pierre-Antoine Lorenzi et Hashim Thaci”, mais un exercice diplomatique de grande ampleur, co-présidé par la France et le Royaume-Uni, et réunissant des dizaines de participants (Serbes, Albanais du Kosovo et représentants occidentaux). Thaci ayant été désigné – avec un appui américain décisif – comme président de la délégation de négociation kosovare, c’est à ce titre qu’un canal a été ouvert, en toute fin de négociation, par les Français, à l’instar de tous les autres pays participants, et c’est à Danjean qu’est revenu ce rôle de liaison. Un tel canal, coutumier dans toutes les crises internationales, permet de faire passer des messages, y compris négatifs, aux parties mais aussi d’obtenir d’elles et sur elles des renseignements précieux.
Et je peux en attester parce que j’ai personnellement bénéficié d’informations dont nous voyions par leur précision et leur niveau qu’elles provenaient de cette filière. Je peux aussi attester qu’en réunion de travail Danjean n’a jamais favorisé Thaci, ni dissimulé une information qui lui serait défavorable. Il m’a d’ailleurs semblé personnellement, humainement, plus proche des Serbes (malgré une aversion réelle pour le régime national-communiste de Milosevic), Croates et Monténégrins (dont il parlait la langue) que des Albanais. Thaci n’était d’ailleurs qu’un de ses interlocuteurs, car Danjean fréquentait également des personnalités serbes, croates et monténégrines, soit parce qu’elles pouvaient constituer une menace, soit parce qu’elles pouvaient détenir des informations d’intérêt national pour la France. Par analogie, j’espère que nos agents traitent actuellement des sources chez les islamistes, y compris sous couverture d’amitié ou d’aide, pour mieux connaître le mouvement de l’intérieur ou les neutraliser le cas échéant. Et dans le contexte actuel il me semble particulièrement injuste de critiquer ceux qui en font le plus contre l’islamisme ou contre des risques courus par nos soldats en OPEX, parfois au prix de leur vie, pour défendre la France, sous prétexte qu’ils ne sont pas dans la lumière.
Quant à Thaci, aucune des personnes l’ayant approché – et ce fut le cas de nombreux diplomates et militaires français outre Danjean – ne peut sérieusement le qualifier d’islamiste. C’est un nationaliste albanais du Kosovo, façonné par l’idéologie marxiste révolutionnaire et athée des mouvements dissidents kosovars des années 1980 et 90, dans la lignée de l’Albanie d’Hoxha. Les différents soupçons qui pèsent sur lui n’en font certes pas une référence morale, mais il existe bien peu de personnalités à l’intégrité insoupçonnable dans les Balkans, et les dirigeants politiques, ce que Thaci était devenu, ont toujours su y déléguer leurs “affaires” à des subordonnés pour se protéger des accusations de trafics en tous genres…
L’utilité des canaux gérés par Danjean (mais aussi par d’autres agents puisque nos services avaient, fort logiquement, développé des contacts avec toutes les parties en conflit, côté albanais et serbe), était de prémunir nos troupes déployées au Kosovo contre toute menace. Je sais ainsi que dans au moins deux cas des soldats français, menacés par des Albanais du Kosovo, ont dû à son rôle de liaison auprès de dirigeants kosovars, de s’être tirés d’affaire alors qu’ils étaient en mauvaise posture, notamment dans la région de la Drenica qui concentrait les plus extrémistes. Bref, Danjean n’a jamais oublié que s’il voyait Thaci, ou tout autre responsable politique balkanique, c’était dans l’intérêt de la France. Et que cet intérêt se déterminait à des niveaux de décision politique qu’il ne fréquentait pas alors.
On ne peut donc pas dire que Thaci était l’homme de la France ou de la DGSE : dans son livre, Péan a bien déterminé qu’un autre officier était chargé de traiter Haradinaj, d’autres les responsables serbes à Belgrade ou au nord du Kosovo, etc. La France n’obtenait quoi qu’il en soit que les miettes laissées par la CIA et autres agences occidentales. Croire que la France a pu avoir une influence décisive sur la crise du Kosovo est une illusion. Nous n’avons trop souvent fait que suivre les décisions américaines, faute de volonté ou de capacité à mettre en œuvre une éventuelle volonté.
Le rapport de Dick Marty doit également être considéré avec la prudence nécessaire, ce document n’étant nullement une enquête judiciaire précise mais un rapport contenant beaucoup d’allégations non vérifiées à ce jour. Beaucoup de témoins cités se sont révélés plus que douteux, y compris en Serbie où plusieurs témoignages ont prêté le flanc à des critiques argumentées. Si ce trafic a existé (ce qu’Arnaud Danjean s’est bien gardé d’exclure, ayant vu ce dont chaque camp était capable), rien n’atteste en outre qu’il désignerait Thaci plus que d’autres « chefs de guerre ». Péan a d’ailleurs relevé l’honnêteté intellectuelle d’un Danjean qui n’exclut pas ce qu’il ignore, contrairement à certains qui ont balayé l’hypothèse d’un revers de la main comme si la gravité des allégations ne méritait pas au minimum un peu de respect et de prudence.
Dernière erreur : Arnaud Danjean ne figure pas du tout sur la première photo de l’article, et s’il figure bien sur la photo où on le voit face à Thaci, reçu par Macron, il faut lui rendre justice et noter qu’il figure aussi sur des photos avec le Président serbe Vucic, toujours avec Macron (et du côté de la délégation serbe, d’ailleurs !) lorsque le Président de Serbie fut reçu à l’Elysée en juillet 2018. Il n’y a donc aucune exclusivité de fréquentation de la part de Danjean, dont j’ai personnellement pu constater à plusieurs reprises qu’il disposait de contacts privilégiés tant chez les Croates que les Serbes ou les Albanais du Kosovo. D’autre part, il suffit de taper “Thaci Poutine” sur Google pour trouver des photos de Thaci avec le Président russe, ce que personne n’imaginera révéler une entente cordiale entre le kosovar et Poutine… À vrai dire, en raison de son passé, Arnaud Danjean est invité à quasiment toutes les réceptions officielles de responsables balkaniques en France, et c’était déjà le cas avant la présidence Macron (réception de Tadic par Sarkozy en 2010 par exemple).
Bref, isoler la fréquentation de Thaci de l’ensemble des relations balkaniques de Danjean pour laisser entendre une collusion autre que professionnelle et au service des intérêts nationaux ne me semble pas correspondre à la réalité de son action dans ce conflit, ce dont je souhaitais témoigner, en dehors de toute considération sur l’action politique de la France dans les conflits balkaniques des années 1990…