De Frédéric Dufoing sur L’Inactuelle :
[…] la PMA ne se résume pas à la mine réjouie d’un couple qui a enfin réussi à faire un enfant et vient faire pleurer le chaland sur un plateau de télévision, ou à un droit de plus à rajouter à la panoplie de tout ce dont l’Etat doit assumer l’opportunité. Elle a une histoire qui commence avec l’amélioration du cheptel dans les usines à viande et naît donc de demandes économiques et techniques d’élevage, de rendement laitier ou de production de steak, de résistance aux maladies pour des animaux atrocement confinés. La PMA est une aventure industrielle ; elle est née et promeut une logique industrielle, la porte – l’apporte. Et ni le suivi « individuel » des institutions hospitalières qui la mettent en œuvre, ni le fait que le lancement du processus dépende d’une décision de ce qui s’apparente plus à un client qu’à un patient ne change quoi que ce soit à cette vérité : la PMA est le premier maillon d’une industrie vouée à s’étendre, à offrir des produits de gamme. Et les décisions individuelles, fussent-elles libres, volontaires, contractuelles, vont avoir un effet sur l’ensemble du fonctionnement de la société, à l’instar du choix de l’usage des moteurs à combustion, de l’Internet ou des pesticides : à partir d’un certain seuil d’utilisation, on a beau être individuellement libre de dire non, on ne peut structurellement plus le faire. […]
Le scénario est le suivant : plus les gens vont (pouvoir) utiliser la PMA, moins elle va être chère et plus elle sera techniquement confortable (son principal défaut actuel étant d’être une procédure très lourde et encore fort souvent inefficace), ce qui entraînera plus de gens à l’utiliser et donc plus d’offres de services dans une véritable gamme de produits dérivés, souvent bien plus intéressantes que le produit de base, et déjà très avancées techniquement, telles que le dépistage pré-préimplantatoire et les thérapies géniques germinales (impossibles in utero), ou encore la possibilité, encore à l’étude, du développement de l’embryon hors de l’utérus.
En amont – et sans parler de ce qui concerne la loi, les mentalités, les représentations sociales et la demande –, son infrastructure nécessite des laboratoire, des techniciens et des institutions hospitalières spécialisées, répondant pour partie à des besoins-prétextes bien réels (la pollution chimique amenant de plus en plus de cas de stérilité ou de déficiences spermatiques), ainsi que du sperme (bientôt peut-être des ovules, puisque l’on est en passe d’utiliser un seul ovule pour créer plusieurs gamètes) et tout le travail de classification et de rentabilité autour de sa récolte et de sa distribution.
En aval, ce dispositif conduira à l’utilisation de larges produits dérivés (thérapies géniques, DPI, voire utérus artificiel, etc.), à des techniques de conservation des spermatozoïdes ou des gamètes, ou encore à l’utilisation des embryons surnuméraires à des fins de recherches (qui concernent souvent les techniques dérivées) ou pour la production de cellules souches. Or, à des degrés divers, tout cela est en ordre de bataille : notamment, en aval, le DPI et, désormais, les thérapies géniques (grâce au développement récent de l’outil « crispr cas 9 ») sont parfaitement au point, même s’il reste des limites (énormes) dans la connaissance des interactions entre gènes, de leur activation ; et la recherche sur les utérus artificiels – qui a notamment pour prétexte le sauvetage des grands prématurés – avance à grands pas.
La fin de l’adoption ?
La consommation de la PMA est le nœud du processus : son augmentation rendra l’infrastructure en amont rentable et plus efficace, et nourrira les produits dérivés, les rendant, là encore, plus rentables et plus efficaces. De plus, concourant avec la panique hygiéniste à laquelle se réduit actuellement la question environnementale, on fait du désir d’enfant un droit à assouvir (comme, par exemple, on en a fait un de l’accès à l’Internet) et un enjeu d’égalité ou de non-discrimination : on légitime, on adoube la technologie, pendant que tout le reste de la structure technique (la pollution qui rend stérile) et économique (les exigences de production et de consommation qui tendent à faire de la naissance de l’enfant un obstacle imprévisible et difficile à gérer s’il n’est pas planifié) la rendent « utile ». Les alternatives disparaissent aussi. En effet, le nombre d’enfants disponibles à l’adoption s’effondre, puisque la contraception est devenue très efficace et que l’avortement, de moins en moins inconfortable, tend à être considéré (dans la loi et dans les usages) comme un moyen de régler de nombreux problèmes sociaux (de la poursuite d’une carrière à la prise en charge de la pauvreté et des inégalités de genre), ainsi que comme un moyen de contraception de dernier recours, alors qu’il relève d’une logique et a des implications morales tout à fait différentes.
L’adoption – l’une des plus nobles institutions des société humaines – est en retour délégitimée : puisque l’enfant n’est pas choisi, que ses gènes, tout autant que ses « origines », sont « suspects », que la procédure « d’acquisition » est longue, lourde et empreinte de méfiance vis-à-vis des adoptants, et que cet enfant n’offre pas les sensations inconfortables mais exaltantes de la grossesse ou de son développement en très bas âge, il ne correspond plus aux attentes consuméristes de la plupart des gens. D’autant que, tests de paternité et procès aidant, l’on a tendance à considérer que la filiation est génétique, chimique, plutôt qu’existentielle et affective – ce que vient d’ailleurs confirmer l’extension d’usage de la PMA. Contrairement à l’adoption, celle-ci permet à la fois la grossesse, le nourrisson, le contrôle « qualité » du processus et des caractéristiques génétiques de l’enfant, que l’on peut génétiquement intégrer dans l’histoire familiale… […]
Car, à l’ombre de la PMA et de l’ingénierie génétique, il y a le contrôle de la reproduction par la seule institution qui en a le pouvoir : l’Etat. Peu importe que les institutions qui pratiquent les biotechnologies soient privées ou publiques, c’est l’Etat qui garde la main sur ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas faire, même en termes de financement des programmes de recherche. L’Etat est par essence une institution qui considère sa population comme un cheptel dont il pavera l’enfer de ses bonnes intentions.
L’essence du processus qui a permis à l’Etat de devenir ce qu’il est a été la dépossession des populations de leurs communaux ; l’Etat est une machine à confisquer ce qui n’appartient à personne, et ce qui est fait par chacun, pour pouvoir le redistribuer, ou non, à qui bon sert ses intérêts. Les communaux étaient jadis des terres que les pauvres utilisaient pour faire paître un animal domestique ou récolter du bois de chauffage, souvent aussi une mémoire et une langue, ou encore une manière d’organiser une communauté politique ; ils sont devenus récemment un ensemble de savoirs et de savoir-faire pratiques remis dans les mains du marché, médiés par le marché et l’administration. Faut-il donc que faire des enfants bascule à son tour dans ce que l’Etat fait de mieux : rendre dépendant ?