De Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance catholique :
En ce 19 juillet 1870 la ville de Rome est en liesse. La foule a envahi la basilique Saint Pierre pour célébrer la promulgation, la veille, par le concile Vatican I, de la constitution Pastor Aeternus qui définit le dogme de l’infaillibilité pontificale. Le même jour la France déclare la guerre à la Prusse, mettant ainsi fin au concile. Le cent-cinquantième anniversaire de cette promulgation est passé quasiment inaperçu. Seules se sont intéressés à ce sujet quelques personnalités ou publications de la mouvance dite des catholiques « observants », « intransigeants », etc. Signalons un copieux dossier de la revue thomiste : Le sel de la terre : « Vatican I : concile fondamental » et une conférence, disponible en cd, de Philippe Roy-Lysencourt, de l’Institut d’Etude du Christianisme : « Histoire du premier concile du Vatican ». Manifestement le sujet met tout le monde un peu mal à l’aise.
Pastor Aeternus
L’enseignement de Pastor Aeternus est pourtant à la fois simple et clair. Le texte tient d’abord à rappeler que :
« Le Saint-Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils publiassent, d’après ses révélations, une nouvelle doctrine mais pour que, avec son assistance, ils gardassent saintement et exposassent fidèlement les révélations transmises par les Apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi …ce siège de Pierre reste toujours exempt de toute erreur ».
En conséquence :
« le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra (…) définit qu’une doctrine touchant la foi et les mœurs doit être tenue par l’Eglise universelle, jouit pleinement, (…) de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que Son Eglise fut pourvue ( …) ; et par conséquent, ces définitions du Pontife romain, par elles-mêmes, et non en vertu du consentement de l’Eglise sont irréformables ».
L’infaillibilité pontificale s’exerce ainsi selon trois modalités :
- un enseignement solennel du pape engageant son autorité. Une déclaration du pape dans l’avion à un journaliste ne rentre pas dans ce cadre.
- un enseignement qui concerne la foi et les mœurs. Ainsi, les origines, supposées, du réchauffement climatique n’entrent pas dans le champ d’application de l’infaillibilité pontificale.
- l’autorité du pape est personnelle et n’est soumise à aucune forme de collégialité, cela contre l’hérésie conciliariste qui soumettait l’autorité du pape à celle du concile.
Cette proclamation solennelle ne faisait, bien sûr, comme toujours, que formaliser une croyance largement répandue dans l’Eglise. Les catholiques français emmenés par Dom Guéranger, abbé de Solesmes, Mgr Pie, évêque de Poitiers et le journaliste Louis Veuillot adhérèrent avec enthousiasme à cette promulgation. On peut même penser que beaucoup, mêlant dans une même cause celle du roi et celle de Dieu, reportèrent sur la personne du pape la fidélité qu’ils auraient aimé témoigner au roi Henri V lorsque la renonciation du comte de Chambord au trône rendit les espoirs de restauration monarchique illusoires. Ces ultramontains en vinrent à psychologiquement vivre une forme de papolâtrie, combinée avec une hypertrophie du magistère pontifical réduisant quasiment à néant le munus docendi, pouvoir d’enseignement des évêques diocésains. Deux dérives dénoncées de manière argumentée par Mgr Schneider dans son précieux témoignage : Christus Vincit. Le triomphe du Christ sur les ténèbres de notre temps. Face aux erreurs du gallicanisme et du conciliarisme certains crurent répondre, en vérité, par l’erreur inverse d’une extension indue de l’autorité pontificale et une forme de sacralisation de tout acte et de toute parole du pape. Malheureusement, la vérité n’est pas le contraire de l’erreur…
Le pape est le vicaire du Christ
Lors de sa messe d’intronisation le 24 avril 2005 le pape Benoît XVI avait déclaré :
« En ce moment, je n’ai pas besoin de présenter un programme de gouvernement (…) Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, de ne pas poursuivre mes idées, mais, avec toute l’Église, de me mettre à l’écoute de la parole et de la volonté du Seigneur, et de me laisser guider par lui, de manière que ce soit lui-même qui guide l’Église en cette heure de notre histoire ».
Le pape François est clairement sur une autre ligne. Souvent ses interventions commencent par : « Personnellement je pense que… » ou se concluent par : « Voilà ce que je pense ». Une nouvelle étape a été franchie dans l’encyclique Fratelli tutti dans laquelle à plusieurs reprises le pape écrit : « Je rêve que… » et même « Comme c’est important de rêver ensemble » (§8). Nous sommes loin de la mise en lumière, du dépôt de la foi révélée, clos à la mort du dernier apôtre. Face à certaines déclarations un peu surprenantes du Souverain pontife, la dernière en date étant la reconnaissance de la licéité des unions civiles pour les couples homosexuels, les milieux ultramontains, conservateurs, se sentent, à juste titre, extrêmement mal à l’aise. D’explications alambiquées en dénonciations des manipulations médiatiques certains, animés des meilleures intentions, « vêtus de probité candide et de lin noir » en viennent à nier les notions élémentaires du principe de non contradiction. Comment concilier dans l’encyclique Fratelli tutti « Les peuples qui aliènent leur tradition, on leur arrache leur âme » ( §14) et « Chaque pays est également celui de l’étranger » ( §124). Quant à dénoncer les manipulations médiatiques, c’est un peu Oui-Oui au pays des bisounours, découvrant, abasourdi, qu’il y a des méchants. Il est mathématique que plus la parole est abondante, plus la probabilité que les propos soient déformés est également importante, sans occulter le fait que seule la parole rare est écoutée. Parler de tout et tout le temps c’est se condamner à n’être ni écouté ni, a fortiori, entendu. Dans Fratelli tutti le pape nous livre d’ailleurs une des clés de cette inflation de discours et de déclarations :
« Les différences sont créatrices, elles créent des tensions et dans la résolution d’une tension se trouve le progrès de l’humanité » (§203).
Dans cette optique, résolument hégélienne, la fonction du magistère n’est plus de se conformer, le plus parfaitement possible au magistère même du Christ, par nature fixe, mais de discerner les signes des temps, toujours évolutifs, constitutifs des nouveaux dogmes, fruits de ce progrès dialectique. Cette nouvelle conception du magistère exige, logiquement, beaucoup plus de discours et d’explications que la précédente.
De mauvais papes ?
Enfin est-il incongru d’oser penser que l’Eglise pourrait avoir à sa tête un mauvais pape, certes préservé par une grâce divine d’enseigner ex cathedra des erreurs contre la foi et la morale mais néanmoins au comportement et à l’enseignement ordinaires peu exemplaires ? Laissons l’histoire nous répondre. Selon saint Robert Bellarmin le pire des papes fut Jean XII (937-964) ainsi accusé par l’empereur Othon 1er au nom du synode :
« Sachez donc que vous avez été accusé – non par quelques-uns, mais par tous, laïcs et ecclésiastiques – de meurtre, de parjure, de vol d’objets sacrés, d’inceste avec vos proches et avec deux sœurs. L’on vous accuse également d’une autre de vos pratiques, effroyable rien qu’à l’entendre évoquer : que vous ayez trinqué à la santé du diable, et qu’au jeu de dés, vous ayez invoqué l’aide de Jupiter, de Vénus et des autres démons. Nous vous prions instamment, Père, de ne pas refuser de venir à Rome et de vous défendre contre toutes ces accusations »
Othon 1er, quoique laïc, fut qualifié de « pieux empereur » par Saint Robert Bellarmin. Il vécut entouré de saints : Adélaïde son épouse, Mathilde, sa sœur, Bruno, son frère, etc. Quant à Jean XII son nom est toujours à sa place parmi les médaillons peints, dans la nef centrale de la basilique de Saint Paul hors-les-murs, qui représentent les papes. Grand mystère de l’Eglise rehaussé par l’anecdote suivante : Un jour, tout en colère contre le secrétaire d’état du pape Pie VII, Napoléon Bonaparte lui dit, en tapant rageusement le pied par terre :
« Je détruirai votre Église ! »
– « Excellence, lui répondit le cardinal Consalvi, il y a des siècles que nous faisons nous-mêmes tout ce que nous pouvons pour cela et nous n’y sommes pas parvenus ! »