Le dernier communiqué de l’ECLJ concerne la Pologne et l’avortement :
Les requêtes contre la Pologne en matière d’avortement se multiplient à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Comme nous l’avions déjà expliqué, l’ECLJ était intervenu en septembre 2020 dans l’affaire B.B. contre Pologne, toujours pendante à la Cour, dans laquelle la loi polonaise sur l’avortement et sur l’objection de conscience est contestée.
13 nouvelles requêtes pro-avortement à la CEDH
Le 1er juillet 2021, ce sont 12 requêtes revendiquant un droit à l’avortement eugénique qui ont été communiquées[1]. Toutes ont été déposées par des femmes polonaises se disant très « inquiètes » et « stressées » par le fait de ne pas pouvoir éliminer un potentiel enfant handicapé. Cette pratique a en effet été interdite, à la suite d’une affaire devant le Tribunal constitutionnel polonais dans laquelle l’ECLJ était tierce-partie. La Cour européenne a autorisé l’ECLJ à intervenir dans ces 12 affaires.
La requête de Jolanta Anna Zawadzka contre la Pologne a également été communiquée, le 29 juin 2021[2]. Cette militante féministe avait été condamnée à une amende pour avoir perturbé une messe à Varsovie en 2016, afin de protester contre la position de l’Église sur l’avortement. C’est son droit à la liberté d’expression qu’elle invoque à la CEDH. Ses deux avocats inscrivent cette affaire dans la revendication d’un droit à l’avortement en Pologne.
Toutes ces affaires ne sont pas encore jugées.
Une surveillance abusive du Comité des Ministres
C’est dans ce contexte qu’une autre procédure contre la Pologne est en cours, devant le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. L’ECLJ est intervenu dans cette procédure en juillet 2021. Quelques explications sont nécessaires pour bien comprendre cette procédure :
La CEDH a déjà condamné la Pologne à trois reprises en raison d’un accès à l’avortement jugé non effectif, dans les arrêts Tysiąc (2007), R.R. (2011) et P. et S. (2012)[3]. Autrement dit, il ne s’agissait pas d’imposer à la Pologne de libéraliser encore l’avortement, mais de permettre un accès en temps utile et sans entraves aux avortements déjà légaux.
Comme pour tous les jugements de la CEDH, la Pologne a l’obligation de se conformer à ces trois arrêts. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a la charge de la surveillance de cette exécution. Or, la procédure de surveillance est étonnamment toujours ouverte, entre 9 et 14 ans après ces arrêts. Elle est en réalité abusive, pour deux raisons : d’une part la Pologne a largement satisfait à ses obligations et d’autre part les demandes récentes du Comité des Ministres outrepassent son mandat.
Dans le cadre de la Règle n° 9 § 2 du Comité des Ministres, permettant à toute organisation non gouvernementale de présenter une communication, l’ECLJ a présenté des observations écrites concernant le suivi des arrêts Tysiąc, R.R. et P. et S. Deux autres organisations, le Centre pour les Droits Reproductifs et la Fédération pour les Femmes et le Planning Familial, sont également intervenues dans cette procédure.
Les observations écrites remises par l’ECLJ
Nous avons rappelé au Comité des Ministres que la Pologne a déjà répondu à ses demandes. Elle a mis en place des garanties procédurales effectives permettant à une femme enceinte de faire entendre ses arguments en cas de désaccord avec l’équipe médicale, notamment sur le point de savoir si elle remplissait les conditions légales d’un avortement. Elle a aussi garanti l’accès à des informations fiables pour les femmes souhaitant procéder à un avortement.
La procédure de surveillance des arrêts Tysiąc, R.R. et P. et S. aurait donc déjà dû être close.
Dans ses observations, l’ECLJ a dénoncé les deux exigences excessives du Comité des Ministres, présentes dans sa résolution intérimaire du 11 mars 2021[4]. Le Comité a en effet largement étendu son domaine de surveillance, sans lien avec les trois arrêts dont il surveille l’exécution :
- Le Comité considère que la Pologne devrait réduire le droit à l’objection de conscience, afin notamment de remédier au faible recours à l’avortement dans certaines régions. L’ECLJ a défendu le droit à la liberté de conscience et a démontré l’absence de lien causal entre la pratique de l’objection de conscience et le faible nombre d’avortements en Pologne. Ce faible recours à l’avortement est par ailleurs une bonne nouvelle.
- Le Comité a demandé à la Pologne de se justifier sur l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 22 octobre 2020, reconnaissant que l’avortement eugénique est contraire à la dignité humaine. L’ECLJ a rappelé que la Pologne peut librement décider de sa position législative en matière d’avortement, cela au regard du respect de sa Constitution et de la marge d’appréciation qui est reconnue dans ce domaine par le Conseil de l’Europe.
L’eugénisme au cœur de la bataille
Il est intéressant de remarquer que, autant à la CEDH qu’au Comité des Ministres, mais aussi dans les manifestations pro-avortement en Pologne, c’est la question de l’avortement eugénique qui est au cœur de la bataille. Avant leur interdiction, ces avortements visaient principalement les enfants porteurs de la trisomie 21. Or, les personnes trisomiques ne souffrent pas et sont globalement heureuses.
Cette revendication de l’avortement eugénique est défendue au nom des droits des femmes. Pourtant, contrairement aux motifs généralement invoqués pour justifier l’avortement – viol, danger pour la santé ou la vie de la mère, ou tout simplement choix de la mère – c’est le seul motif qui est fondé sur une caractéristique du bébé, sans lien avec la mère. Avorter n’est alors pas une tentative de planification familiale ou de réponse à un besoin sanitaire ou social de femmes, c’est un tri assumé entre des enfants « sains » et des enfants malades ou handicapés. Ce n’est pas un refus général du droit de naître, c’est un rejet des personnes malades, handicapées, trismiques. Cela s’appelle de l’eugénisme et ce n’est pas moins choquant avant la naissance qu’après.
La Pologne n’est pas dans l’obligation de répondre aux demandes excessives du Comité des Ministre, qui empiètent sur sa souveraineté. Au contraire, la Pologne devrait être félicitée des engagements qu’elle prend en faveur de la préservation de la vie des enfants à naître, y compris handicapés.
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[1] Requêtes K.C. contre la Pologne, nos 3639/21, 4188/21, 5876/21, 6030/2 ; K.B. contre la Pologne, nos 1819/21, 3682/21, 4957/21, 6217/21 ; A.L. – B. contre la Pologne, nos 3801/21, 4218/21, 5114/21, 5390/21.
[2] Requêtes Jolanta Anna Zawadzka contre la Pologne, n° 50554/19.
[3] Tysiąc c. Pologne, n° 5410/03, 20 mars 2007 ; R.R. c. Pologne, n° 27617/04, 26 mai 2011 ; P. et S. c. Pologne, n° 57375/08, 30 octobre 2012.
[4] Voir la Résolution intérimaire CM/ResDH(2021)44.