De l’abbé Michel Viot (texte paru dans le journal paroissial de Notre Dame de Lourdes, à Paris):
J’emprunte ce titre à notre défunt Pape lui-même , dans le discours qu’il prononça le 12 septembre 2008 au palais de l’Elysée pour répondre au discours d’accueil du Président de la République. Et je crois utile de rappeler toute la phrase « Le Pape, témoin d’un Dieu aimant et Sauveur, s’efforce d’être un semeur, de charité et d’espérance, et cette nécessité est encore plus forte dans le monde d’aujourd’hui qui offre peu d’aspirations spirituelles et peu de certitudes matérielles. ». Oui, celui que nous appelions notre Pape émérite s’est « efforcé », comme il l’exprime avec sa modestie coutumière et nous pouvons le dire maintenant, a réussi à remplir ce programme comme en témoigne ses trois encycliques : deux traitant de la charité et de l’espérance chrétienne (« Deus caritas est » en 2005, et « Spe salvi » en 2007), la dernière, de la doctrine sociale de l’Eglise( « Caritas in veritate » en 2009) que trop de gens, chrétiens ou non ont oubliée aujourd’hui. C’est pourquoi, j’avais les larmes aux yeux en l’entendant prononcer ses paroles de renoncement en 2013. Il avait tout dit… Il pouvait nous aider à faire…
J’avais 21 ans quand son nom fut prononcé pour la première fois devant moi. C’était en 1965, place du Tertre à Montmartre par le professeur Oscar Cullmann, un des plus célèbres exégètes luthériens du Nouveau Testament, dont je suivais les cours à l’Ecole Pratique des Hautes Études de la Sorbonne. Il avait été observateur au Concile Vatican Il, invité personnel des Papes Jean XXIII et Paul VI, il me faisait un peu le bilan de ce Concile et surtout évoquait des rencontres qui avaient été importantes pour lui, celle des deux Papes bien sûr, mais aussi celle de quelques membres de cette assemblée. Parmi eux, un jeune professeur de théologie, prêtre et professeur, présent comme expert auprès de l’Archevêque de Munich, Joseph Ratzinger ! En quoi ce théologien l’avait-il frappé ? Défenseur de la Tradition catholique, il souhaitait des avancées dans le domaine œcuménique par le règlement des problèmes théologiques en prenant véritablement en compte leurs difficultés. Ces deux théologiens avaient pu communiquer facilement, l’allemand étant leur langue maternelle et, de ce fait aussi, Joseph Ratzinger connaissait parfaitement l’œuvre de Luther ainsi que l’histoire de la Réforme en Allemagne. Tous deux hommes de grande culture, ils savaient qu’on ne pouvait pas faire table rase d’un passé qui avait porté des fruits positifs. Ennemis du relativisme et du syncrétisme, ils initièrent avec d’autres un dialogue œcuménique sérieux. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, dès 1965, les théologiens catholiques et luthériens posèrent comme première condition à un réexamen du contentieux du XVIe siècle sur la justification par la foi, à la base du schisme protestant, la possibilité d’avoir une compréhension commune de l’épître de Saint Paul aux Romains. La chose ayant été rendue possible par des traductions en différentes langues vulgaires , on s’attaqua alors à exprimer doctrinalement la question, à peu près au moment où Joseph Ratzinger arrivait à Rome à la tête de la Congrégation pour la doctrine et la foi. Je commençais à voir se réaliser la prédiction que m’avait faite le professeur Cullmann en 1965, à propos du théologien Ratzinger: « il ira loin ». Et, de fait, il se montra le collaborateur le plus proche et le plus indispensable de Jean Paul II. À l’époque, ses livres commençaient à être traduits en français et leur lecture m’apprit le catholicisme que m’avait fait voir déjà Mgr Daniel Pézeril et le RP Michel Riquet SJ, qui m’honorèrent tous deux de leur amitié jusqu’à leur mort qui m’affecta beaucoup. Ils m’avaient appris à approfondir l’enseignement du professeur Richard Stauffer avec qui j’avais préparé ma thèse de maîtrise en théologie protestante en histoire de l’Eglise moderne, un grand spécialiste de Calvin et un bon connaisseur de la Réforme du XVIe siècle. Lui et Oscar Cullmann m’ont associé très tôt à leur combat pour un œcuménisme vrai, tel que le voulait le Cardinal Ratzinger. Et dès 1982, j’ai su qu’un document se préparait en vue d’un accord luthéro-catholique sur la justification par la foi. J’ai pu faire partie de la commission nationale de théologie qui, du côté luthérien, traitait de cette affaire et ai pu prendre connaissance très rapidement du travail qu’accomplissait Joseph Ratzinger de son côté avec sa congrégation. Il ne fut pas un partenaire facile ! Mais très rapidement, je me suis dit, tant mieux, parce qu’il nous a forcés, nous luthériens, à aller au fond des choses, comme par exemple à nous référer au dernier des livres confessionnels luthériens, la formule de Concorde de 1580, qui revenait sur certaines aspérités des propos de Luther pour tenir compte du Concile de Trente et nous distinguer des réformés. Nous devions signer en 1997. Cela ne put se faire que le 31 octobre 1999 à Augsbourg. Ce qui n’avait pas empêché le Pape Jean Paul II de me dire aux JMJ de 1997, le soir de la grande cérémonie des baptêmes à Longchamp, que nous arrivions au but. Et le soir du 31 octobre 1999, alors que j’étais Inspecteur Ecclesiastique de l’Eglise évangélique luthérienne de France à Paris, j’ai eu la joie de célébrer des Vêpres communes avec Son Éminence le Cardinal Jean-Marie Lustiger à Notre Dame de Paris, et tous les pasteurs luthériens de la région île de France, et un peu au delà. Je puis affirmer qu’en ce qui concerne les luthériens, la prière pour Joseph Ratzinger fut très intense dans les cœurs. En 2000 parut le texte « Dominus Jésus » de la Congrégation que présidait le Cardinal. « Douche froide » pour beaucoup de protestants, y compris des luthériens. Mais je le dis clairement, pas pour moi, ni pour beaucoup de membres de la commission de théologie. Il nous apparaissait normal, qu’après ce geste historique de réconciliation sur des points de doctrine importants, le Cardinal éprouvât le besoin, avec l’appui du Pape, d’expliquer que tout n’était pas encore réglé pour autant. Il devait être clair du point de vue catholique que l’unité n’était pas possible sans réponse claire à l’encyclique de Jean Paul II « Ut unum sint »(sur le ministère du Pape) et que l’Eglise ne pouvait exister que dans une succession apostolique certaine. Comme évêque luthérien français, j’ai soutenu cette position et me suis senti minoritaire. D’où ma décision de 2001.
C’est avec une grande joie que, devenu prêtre catholique, j’appris en 2005 l’élection de Benoît XVI. Je pense toujours que je n’étais pas, une fois de plus, dans la majorité ! Mais cela ne m’ennuyait que pour le nouveau Pape. Car je me doutais bien qu’il aurait de dures oppositions en France et en Allemagne, son pays d’origine, où l’Eglise catholique commençait, ou continuait….de graves dérives ! A Blois, où je me trouvais, j’ai eu l’idée, avec l’aide et l’appui de mon évêque de créer l’association « Écouter avec l’Eglise » pour soutenir et expliquer au niveau national ce que ferait le nouveau Pape. Je confirme, avec le peu que je sais, qu’il n’avait pas du tout l’intention d’accepter cette charge. Il pensait, comme moi et quelques autres, catholiques et protestants, qu’il était trop connu pour ses positions conservatrices, qui n’étaient en fait que celles de Vatican II, correctement interprétées, pour être élu. Mais par ailleurs, l’œuvre de Jean Paul II n’était pas achevée. Il était le seul à pouvoir le faire. Il avait participé au Concile. Il s’est donc véritablement sacrifié pour accepter cette charge . C’était nécessaire pour le bien de l’Eglise aux yeux d’une majorité de cardinaux qui l’ont élu dès le troisième tour de scrutins, alors qu’il étaient loins d’être tous d’accord avec lui. Les méchancetés en tout genre ne lui furent pas ménagées, notamment du côté d’une certaine presse religieuse qui s’est ingéniée à saboter tout son pontificat.
Il a eu la grâce de passer outre, et dès le début de son pontificat de faire un geste dont beaucoup n’ont pas mesurer la portée : inviter Hans Küng au Vatican, un adversaire théologique de toujours ! Sur le moment ce dernier sembla touché, mais quelques jours plus tard nous eûmes droit à un réquisitoire en règle sur deux pleines pages dans Le Monde sur les « erreurs » du début du pontificat.
Et ce ne fut qu’un début, dans l’affaire Küng, il était surtout question de l’ouverture faite aux anglicans, un mauvais coup pour l’œcuménisme, selon le Père Küng , démenti un peu plus tard par l’accueil chaleureux de l’Archevêque de Canterbury que cette « clarification » arrangeait. Ceux qui interprétaient les 39 articles fondateurs de l’anglicanisme d’Elizabeth Ière (1571) rejoignirent le catholicisme comme Newman au XIXe siècle (1845).
Même hargne avec l’affaire de Ratisbonne. Benoît XVI avait évoqué à juste titre en citant un ancien empereur byzantin, la question de la violence dans l’Islam. Cris d’horreur dans la bien pensance catholique. Le Pape n’avait pas mis en cause tous les musulmans mais soulevé tout simplement un problème que les responsables religieux de l’Islam connaissent bien. Ceux-ci le reçurent d’ailleurs très bien en Turquie quelques jours plus tard, quelques autres boudèrent un peu…et après ? Cela n’a pas empêché le Cardinal Tauran de continuer sa mission, puis le Pape François de nouer de bonnes relations avec Al Azzar.
Enfin quand Benoît XVI déclara Pie XII Vénérable, on atteint des sommets d’abjection, en reprenant toutes les vieilles calomnies sur l’attitude de Pie XII pendant la guerre, allant même jusqu’à rappeler que Joseph Ratzinger était inscrit aux jeunesses hitlerienne. Il avait 13 ans à l’époque et c’était obligatoire. Il n’y a d’ailleurs rien fait, car les autorités savaient que c’était un futur prêtre et on se méfiait de lui.
Jamais Benoît XVI n’a fait acte d’autorité contre des gens qui l’avaient personnellement méchamment critiqué. Il continua son œuvre d’explication de l’authentique Concile Vatican Il, celui auquel il avait assisté, et non le « Concile médiatique » que la majorité des catholiques français connaissait. Et cela déplaisait, au point que certaines voix qui prétendent facilement au prophétisme commençaient à répandre l’idée qu’il fallait organiser un Concile Vatican IlI .
Les Français eurent fort heureusement l’occasion de découvrir le vrai Benoît XVI lors de sa visite à Paris en 2008 (voir mon titre). C’est le discours des Bernardins qui constitua le point d’orgue de ce voyage. Le Pape, comme à son habitude, s’exprima dans un français impeccable, car il aimait beaucoup notre pays , et nombre d’intellectuels l’appréciaient puisqu’ils en firent un académicien (Académie des sciences morales et politiques). Chacun d’entre nous devrait posséder ce discours et le relire. Je ne citerai que quelques phrases de la fin pour vous en donner le goût. Après avoir évoqué l’aventure de Saint Paul prêchant à Athènes à partir du concept de « dieu inconnu », Benoît XVI tout en constatant la différence de situation, rappelait tout de même quelques similitudes « Dieu est vraiment devenu le grand inconnu. Malgré tout, comme jadis où derrière de nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui le concerne, Quaerere Deum : chercher Dieu et se laisser trouver par Lui. Cela n’est pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme dont les conséquences ne pourraient être que graves.. ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable. »