De Jean-Pierre Maugendre dans Renaissance catholique, suite à l’entretien donné dans Famille chrétienne par Don Thomas Diradourian, professeur de liturgie et prêtre de la Communauté Saint-Martin :
A l’occasion de l’anniversaire de la promulgation du Motu Proprio Traditionis custodes, le 16 juillet2021, l’hebdomadaire Famille Chrétienne revient sur le fond de la question liturgique en rediffusant un entretien déjà paru le 15 octobre dernier avec un prêtre de la Communauté Saint Martin, Don Thomas Diradourian, professeur de liturgie au séminaire d’Evron. Celui-ci se joint, a priori sans états d’âme, à la curée pontificale et épiscopale contre les fidèles et les prêtres attachés à la célébration de la messe traditionnelle. Outre qu’il n’est guère élégant de tirer sur une ambulance, il est, de plus, parfaitement stupide de croire que l’entreprise, en cours, de rupture avec la Tradition de l’Eglise, accélérée par le pontificat du pape François, se cantonnera aux questions liturgiques. Après le tour des communautés fidèles à la liturgie traditionnelle viendra celui des institutions simplement fidèles à l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin. Hodie mihi. Cras tibi. Aujourd’hui c’est moi. Demain ce sera vous. Comme si donner des gages à la Révolution n’avait jamais entravé sa progression !
Le devoir d’adhérer à la messe de Paul VI
Le titre de l’entretien a le mérite de la clarté : « Tout catholique a le devoir d’adhérer à la messe de Paul VI ». On se demande d’abord dans ce contexte ce que signifie le verbe adhérer : « Tenir fortement à une chose » nous dit le Larousse : le papier peint doit bien adhérer au mur… Sont ainsi exclus de la communion catholique, par arrêt martiniste, les cardinaux, les évêques, les prêtres, les fidèles a minima circonspects sur certains aspects de la réforme liturgique et pour cela attachés, à des degrés divers, à la liturgie traditionnelle de l’Eglise. Une telle prétention laisse pantois quand on se remémore la force des propos de Saint Pie V promulguant par la bulle Quo Primum, en 1570, la messe restaurée par le concile de Trente :
« Qu’absolument personne, donc, ne puisse déroger à cette page qui exprime Notre permission, Notre décision, Notre commandement, Notre précepte, Notre concession, Notre indult, Notre décret et Notre intervention, ou n’ose aller à l’encontre de ces dispositions. Si, cependant, quelqu’un se permettait une telle altération qu’il sache qu’il encourrait l’indignation de Dieu Tout-Puissant. »
Benoît XVI avait pris acte de la puissance de ce texte en affirmant dans le Motu Proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007 :
« Le missel romain promulgué par le bienheureux Jean XXIII en 1962 n’a jamais été abrogé ».
Le Motu proprio du pape François Traditionis Custodes du 16 juillet 2021 n’a rien changé à cet état, canonique, de fait.
Devant la violence de l’injonction « devoir d’adhérer » le lecteur s’attend à une argumentation serrée, taillant en pièce toutes les objections et mettant en valeur les nombreux bienfaits de la réforme liturgique. Las, le seul argument retenu est celui d’autorité :
« Refuser son obéissance filiale et docile à la discipline liturgique de l’Eglise n’est-ce pas contester à celle-ci sa qualité de mère et d’éducatrice ? »
Nous n’en saurons pas plus. Les objections doctrinales présentées à Paul VI le 3 septembre 1969 et formulées dans le Bref Examen critique du Nouvel Ordo Missae :
« Le NOM s’éloigne de manière impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail de la théologie catholique de la sainte messe telle qu’elle a été formulée à la XXIIème session du concile de Trente. »
ne sont ni réfutées ni même mentionnées. Le lecteur ignorera aussi ce que peut signifier dans « l’obéissance filiale et docile » le fait que l’on en soit, en cinquante années, à la troisième traduction du Notre Père ainsi que les allers et retours sur la traduction de « consubstantialem » par de même nature ou consubstantiel. Circulez. Il n’y a rien à voir. Chez ces gens-là, on ne pense pas… Ce refus de tout débat doctrinal est, en soi, terrifiant.
Don Thomas note, par ailleurs, justement :
« Une autre nouveauté qui fit couler beaucoup d’encre consista dans la réécriture de l’offertoire, substituant aux prières héritées du Moyen-Age des bénédictions inspirées de la liturgie juive ».
Il s’agissait, nous dit-on, de « simplifier les prières sacerdotales ». Le résultat ne fut pas une simplification mais la disparition complète, dans les prières de l’Offertoire, de toute référence au sacrifice du Christ et à la Sainte Trinité ce qui n’est somme toute pas surprenant dans une bénédiction de repas juif. Notons à ce propos, et notre professeur de liturgie le sait certainement, que l’offertoire dominicain, sensiblement plus bref que l’offertoire romain, fait lui référence au sacrifice du Christ et à la Sainte-Trinité dans l’admirable prière : Suscipe sancta trinitas : Recevez, Sainte Trinité, cette oblation que je vous offre en mémoire de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ… Le débat qui devrait être doctrinal est renvoyé à des considérations historiques : Préférez-vous le Moyen-Age ou la période pré chrétienne ?
Rupture ou continuité ?
Quant à présenter, à la suite du cardinal Frings, archevêque de Cologne, le schéma préparatoire à la constitution sur la liturgie « comme le testament du pape Pie XII », mis en œuvre, « un héritage à consolider » il faut oser. En effet Pie XII écrit, par exemple, dans Mediator Dei, encyclique du 20 novembre 1947, sur la divine liturgie :
« Ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l’autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement des couleurs liturgiques le noir, d’exclure des temples les images saintes et les statues… ».
Sont ainsi dénoncées une partie des mesures que mettra en œuvre la réforme liturgique dans ses injonctions officielles et pas uniquement en raison « du contexte ecclésial troublé, voire anarchique » auquel Don Thomas attribue l’impossibilité d’une « réception apaisée » de la réforme.
Prudemment notre auteur n’aborde pas les conséquences de la réforme liturgique. Il n’est fait nulle mention de l’effondrement de la pratique religieuse : de 25% de la population en 1965, à moins de 2% aujourd’hui. S’agit-il d’une simple concomitance ? Ou Don Thomas est-il adepte de la célèbre formule : « Je préfère faire signe que faire nombre » ? Notre auteur conclut sa condamnation par une conviction :
« Je suis convaincu que le Missel de 2022, qui est imparfait comme toute œuvre humaine, contient en lui non seulement les formules les plus sûres de la foi de l’Eglise, mais aussi tous les trésors de la tradition de la liturgie romaine ».
Nouvelle attaque cardiaque pour ceux qui sont allés jusqu’au bout de ce texte. Le Missel de 2022, version actualisée de celui de 1969, ne contiendrait pas seulement des « formules sûres de la foi de l’Eglise » mais « les plus sûres ». Comment alors expliquer le constat de Guillaume Cuchet dans son ouvrage : « Le catholicisme a-t-il encore un avenir en France ? » :
« Les milieux qui ont joué le plus franchement et avec le plus d’enthousiasme le jeu de l’ouverture sont aussi ceux qui ont connu, paradoxalement, les plus faibles taux de conservation et de transmission de la foi ».
Qui croira, là encore, à une simple concomitance alors que la sentence évangélique nous rappelle :
« Tout bon arbre donne de bons fruits, tandis que le mauvais arbre donne de mauvais fruits (…) Tout arbre qui ne donne pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaitrez » (Mat VII, 18-20).
Conclusion
A bien des égards, ce texte de circonstance, au-delà de son caractère injurieux à l’égard des catholiques attachés à la liturgie traditionnelle de l’Eglise, est d’abord profondément affligeant.
- Affligeant par son refus de tout débat doctrinal de fond.
- Affligeant par la seule référence, dans le raisonnement, à l’argument d’autorité.
- Affligeant par le refus de regarder la réalité en face : les fruits désastreux de la réforme liturgique.
- Affligeant par les tensions qu’il va créer dans les diocèses entre les prêtres de la communauté Saint Martin et ceux des communautés ex-Ecclesia Dei, immergés dans des presbyteriums acquis, en bonne part, aux propositions, parfaitement hétérodoxes, issues des synodes diocésains.
- Affligeant enfin par la naïveté dont il est l’expression, son auteur espérant, peut-être, se concilier la bienveillance des autorités de l’Eglise par une surenchère légitimiste et la dénonciation à la vindicte ecclésiastique des familles qui sont, aussi, celles de nombreux prêtres et séminaristes de la Communauté Saint Martin. L’institution fondée par Mgr Guérin ne sort guère grandie de ce triste épisode et de ce débat manqué.
Jean-Pierre Maugendre