Le 5 septembre 2019, la Commission spéciale bioéthique de l’Assemblée Nationale a terminé son cycle d’auditions en recevant trois pédopsychiatres : le Professeur Myriam Szeger, pédopsychiatre et psychanalyste ; le Professeur Catherine Jousselme, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ; le Professeur Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre, psychanalyste. Ce dernier avait déjà été auditionné par la Commission spéciale en octobre 2018.
Ces auditions amènent à plusieurs étonnements.
Le premier étonnement, et pas le moindre, c’est la réponse à la question que le Salon beige avait posée le 28 juin : oui, il a été trouvé deux pédopsychiatres favorables à l’extension de la PMA aux duos de femmes, les docteurs Szeger et Jousselme.
Le deuxième étonnement, c’est l’argument donné par le Dr Szeger : il ne s’agit pour elle en fait que de justice sociale. Elle déplore que certaines n’aient pas les moyens d’aller jusqu’à Bruxelles pour une PMA belge, ceci créant une inégalité fondée sur les revenus. L’intérêt de l’enfant au regard du prix des billets du Thalys ou de Blablacar n’est pas évoqué. Pour le Dr Jousselme, l’argument est plus habituel :
« toutes les études sérieuses montrent qu’ils [les enfants] n’ont pas de problème d’identité globale, d’identité sexuelle, de choix sexuel. Donc, bon… ».
Le troisième étonnement tient à une limite proposée par le Dr Jousselme (car, on a beau être progressiste, on finit toujours par ériger une limite) :
« On est assez réservé sur la possibilité d’accès pour les couples hétérosexuels sans problème médical à la possibilité d’une AMP notamment par double don de gamètes. Parce qu’il nous semble qu’on est là dans quelque chose d’un désir d’enfant hors de la sexualité. Pour nous, avoir un enfant, c’est avoir un désir sexuel, amoureux, entre deux personnes. Et ces enfants viennent de ça ».
Et là, on se dit bêtement : mais comment un enfant peut-il venir d’un désir sexuel, amoureux, entre deux personnes de même sexe ? Eh bien, on n’avait pas pensé à tout : il y a l’aide :
« Dans l’homoparentalité, bien évidemment, il faut une aide. Mais c’est pas identique. La demande de deux femmes qui ont une sexualité, qui s’aiment et qui ont besoin d’une aide pour avoir un enfant, et la demande d’un couple qui dirait : on veut un enfant mais on ne peut pas le faire nous-même par notre sexualité, c’est impossible. Ces deux demandes sont semblables mais pas identiques ».
Comprenne qui pourra. Le Dr Lévy-Soussan ne s’est d’ailleurs pas privé de relever que pour lui, il n’y avait pas de différence.
Et d’ailleurs, toujours à propos d’une cohérence douteuse des arguments du Dr Jousselme, voilà-t-il pas qu’elle fixe aussi une limite concernant la possibilité de
« congélation des gamètes pour tout le monde : on est un peu inquiet. De l’idée qu’il n’y ait pas de limite d’âge. Imaginer un projet artificiel d’enfant à distance, en fonction uniquement des projets parentaux voire de l’entreprise dans laquelle on travaille, nous ça nous semble dangereux pour l’enfant. Ca nous semble pas juste. Un enfant, c’est pas juste ce qu’on veut ».
On applaudirait presque. Sauf que, apparemment, ça ne vaut pas pour la PMA sans père. Même pas pour la PMA sans père pour une femme seule, pardon, une maman solo, ça résonne mieux dans les chaumières :
« Sur les mamans solo, on est moins réservé… On pensait à un tiers de vie, ou un parrain de vie, qui serait déclaré en même temps que ce désir d’enfant [NDLR : on rappelle qu’un enfant, c’est pas juste ce qu’on veut], qui serait un tiers pour la mère et qui serait repéré (sic) ».
Le quatrième étonnement vient aussi comme d’une incohérence relevée cette fois-ci dans les propos du Dr Szeger. Relions trois propositions qu’elle énonce sous forme d’un syllogisme :
- Elle assure que « l’ouverture de la GPA sera la conséquence immédiate» de l’extension de la PMA aux foyers homosexuels.
- Elle ajoute : « J’ai moi-même vu des enfants nés des toutes premières GPA qui ont maintenant entre 30 et 40 ans parce qu’à l’époque, ça avait été autorisé provisoirement. Et bien, c’est pas terrible. Non, c’est pas terrible. Je vous donne simplement le témoignage par rapport à ma patientèle».
- Néanmoins, elle est favorable à l’extension de la PMA aux duos de femmes.
Le cinquième étonnement vient du rapprochement qu’on peut faire entre deux autres affirmations de la part du même Dr Szeger. D’un côté, à propos de l’extension de la PMA sans père aux femmes célibataires :
« j’émets quelques réserves. J’en ai rencontré un grand nombre. J’ai repéré quand même une important fragilité chez ces femmes, avec une culpabilité inconsciente ou consciente sur le fait de ne pas avoir donné de père à l’enfant. Cette culpabilité, surtout quand elle est consciente donne naissance à une forme d’anxiété maternelledans la manière dont elles vont s’occuper de leur enfant. Et cette anxiété donne des attitudes compensatoires, elles vont trop s’en occuper, trop les couver, avoir des idéaux pédagogiques démesurés, enfin être toujours dessus. Tout ça donne des couples mère-enfant qui sont parfois hautement pathologiques ».
D’un autre côté, interrogée sur « Est-ce que les parents homos sont de bons parents ? », elle répond :
« j’ai envie de dire que ce sont de meilleurs parents que les autres. Parce que comme ils se sentent extrêmement particuliers dans la manière dont ils font (sic) socialement, et bien ils se donnent beaucoup de mal et globalement, c’est vrai que ce sont des éducateurs formidables ».
On a un peu l’impression qu’au lieu d’avoir une seule mère avec des idéaux pédagogiques démesurés, l’enfant va en avoir deux ! Et c’est un peu aussi comme si le Docteur établissait une équivalence parfaite et réciproque entre un père et un éducateur.
Ceci étant, en même temps ( !), le Dr Szeger ajoute :
« Le problème, c’est le recul. Freud a expliqué : la psychopathologie, il faut deux générations pour qu’elle apparaisse. Actuellement, on a ce problème-là. Oui, ils ont des petits enfants qui vont bien. Qu’est-ce que ça va donner quand ils vont avoir des enfants à leur tour ? au moment de l’adolescence ? quand ils vont divorcer ? et quand ils vont perdre leurs parents ? Ca, on sait pas ».
Bref, on a bien trouvé deux pédopsychiatres qui sont favorables à l’extension de la PMA sans père aux duos de femmes, mais la qualité de la cohérence de leur pensée inquiète. Et d’ailleurs, elles savent que ce monde qu’elles vont aider à construire sera fragile. C’est en effet le docteur Tousselme qui précise que, dans le cadre d’une PMA ouverte aux foyers homoparentaux, il faudra, excusez du peu :
- Un suivi en amont pour valider la nature du besoin de l’enfant
- Un suivi en amont pour valider la personnalité des parents
- Un suivi en aval avec des consultations de bien-être (sic)
- Un suivi en aval avec des consultations de guidance parentale (resic)
- Un suivi des enfants : « Les psychiatres doivent être présents jusqu’à l’adolescence ».
Remarque finale là, de bon sens : « Il faut du monde et du monde formé ».
Par contre, on a retrouvé sans étonnement la solidité impavide du docteur Lévy-Soussan. Quelques extraits :
« Dans toutes les filiations, c’est difficile de se transformer en père et mère. Et on s’est aperçu dans l’adoption et le milieu de l’AMP que c’est encore plus compliqué dans ces conditions-là. Pourquoi ? Parce que dès que un tiers intervient en plus du couple, médical ou social, ce tiers va complexifier les représentations du devenir parent à la fois pour les parents et à la fois pour l’enfant…. La survenue de la technique dans le psychisme des parents est déterminante… déjà avec la PMA classique ».
« Si on met l’enfant dans une situation où il n’y aura absolument pas de père, pas de père tout court, je ne parle pas justement de père biologique, lui supprimer cette valence qui permet jusque-là à tous les enfants issus de PMA à pouvoir se penser venir du couple, on sent bien que ces enfants seront défavorisés par rapport à d’autres. Il y aura une véritable discrimination qui jouera car tous les enfants pourront penser une scène d’engendrement à partir de leur père et mère. En supprimant le père dans la PMA, on met l’enfant dans une scène d’engendrement impossible à penser pour lui ».
Et, sur le même sujet :«
Les interactions avec un homme sont radicalement différentes des interactions avec une femme. Pourquoi en priver un enfant ? »
A propos du rôle de la médecine et la prise de risque :
« Je différencie radicalement l’utilisation de la science dans une optique médicale à l’utilisation de la science dans une optique sociétale. Mettre un enfant délibérément dans une situation que l’on connaît à risque, est-ce que c’est le rôle de la médecine ? On a tous les facteurs de risque par rapport à la situation monoparentale. Que ce soit aux addictions, à la délinquance, aux difficultés scolaires, il y a cette surincidence de problèmes. Et par rapport à la PMA, les premières études commencent à sortir. Ce n’est pas une histoire de parrainage, de grand-père, de frère, qui jouera le rôle de… ; les femmes seules seront seules … Accroître les risques pour l’enfant dans une société qui veut prévenir tous les risques, là encore, ce n’est pas logique ».
Sur la validité des enquêtes sur le bien-être des enfants élevés dans des foyers homosexuels :
« La théorie du tout va bien, et même du tout va mieux, c’est ce qui a été dominant pendant dix/quinze ans. C’était même surprenant d’ailleurs parce que dans une famille sans cette modalité, déjà, tout va pas bien. Donc, on était surpris d’entendre que tout allait bien alors que tout est compliqué à la base.Et ce sont les américains qui ont commencé à lever le lièvre. Ils ont fait des études sur ces études et se sont rendu compte que près de 60% des références scientifiques citées dans ces études étaient inexactes. Ils se sont rendu compte que près de 80% de ces études étaient militantes… Sortent les premières études qui disent que, un, tout va pas bien ; deux, c’est plus compliqué, c’est plus difficile et donc ce n’est pas du tout le côté bisounours que voulaient nous dire ces premières études. Surincidence des troubles dépressifs, toxicomaniaques, anxieux, troubles de conduite, tentatives de suicide, etc… et là encore, ce n’est pas étonnant parce qu’on modifie des paramètres de base pour l’enfant. Donc, oui, ça complexifie »
(Les références nécessaires ont été fournies dans un document préparatoire remis par le Dr Lévy-Soussan, comme par chacun des participants, aux députés avant la réunion. On aimerait bien que ces documents soient mis en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale. NDLR)
Avec un culot réjouissant, le Dr Lévy-Soussan se permet aussi d’émettre un avis sur la qualité du travail préparatoire au projet de loi :
« Aucune étude d’impact n’a été faite par rapport à ce projet de loi. On est très surpris de voir que vous n’avez absolument fait aucune étude de l’incidence déjà actuelle de toutes les AMP auprès des CMP de France sur le plan de la pédopsychiatrie. La surincidence qu’on voit pour les couples adoptifs par rapport aux couples non adoptifs, on la voit aussi pour les PMA, avec quatre, cinq, six fois plus de consultations. Donc, à la base, ça va pas bien ».
Et de résumer :
« La science n’est pas là pour résoudre les problèmes existentiels des adultes. L’enfant a sa logique d’enfant ».
Concluons par une partie de l’éditorial de M. Le Méné, Président de la Fondation Jérôme Lejeune dans la Lettre de septembre 2019 de cette institution :
« Il ne s’agit pas d’une loi de bioéthique mais d’une loi de financement de la technoscience et de ses lucratives applications. On ne voit pas ce qu’il y a d’éthique ni de scientifique dans le détournement des lois de l’engendrement. En revanche, on voit très bien ce qu’il y a d’économiquement intéressant dansl’appropriation de gamètes et d’embryons destinés à devenir des matières premières exploitables ».
Ajoutons : et pour le petit business des psys de tout poil. Son financement est-il inclus dans cette étude d’impact que la législation rend pourtant obligatoire pour tout projet de loi ?