Retrouvez la première partie ici.
Cet article est tiré du numéro 301 de la revue de l’Action Familiale et Scolaire
Il est la suite du texte publié le 30/10/2025 sur le site de Renaissance catholique :
3. Société transformée
En France, les résultats du « choc de deux mondes » se manifestent aujourd’hui par divers constats. La baisse des naissances (1,67 enfant par femme), une fécondité hors mariage la plus élevée d’Europe (65,2 %), la diminution de la nuptialité, le mariage tardif qui fait qu’une femme attend en moyenne 31 ans pour avoir son premier enfant, l’explosion du divorce, de la monoparentalité et du célibat sont autant de constats qui caractérisent le tissu social français.
Les causes peuvent être en lien direct avec les personnalités : célibat égoïste ou pusillanimité, refus moral de s’engager, infantilisme réducteur de la vie aux distractions et aux loisirs, irréalisme idéologique…
Mais il ne faut pas négliger la force des institutions et des principes qui les inspirent. Ceux-ci sont par nature porteurs de références, de principes positifs ou négatifs, éducateurs d’attitudes morales ou instigateurs d’immoralité, générateurs de modes saines ou insanes. La société n’est jamais neutre, la neutralité n’existant que dans les propos électoralistes des politiciens : les principes et les institutions sont ce qu’en font les élites qui œuvrent dans tous les domaines. Ils impriment une forme à la société.
3.1. Un projet de société, non une vision
« L’individu n’est pas encore au pouvoir, mais déjà la société prend le pas sur la transcendance » (Dr Simon, p. 86).

Une (re)lecture du livre de Pierre Simon, 46 ans après sa parution, est riche de leçons pour comprendre les origines de ce qui a contribué à la situation actuelle de notre pays. L’ensemble de ses propos, loin d’être ceux d’un visionnaire, apparaissent bien comme les lignes directrices d’un projet dont nous voyons aujourd’hui l’aboutissement.
« La bataille de la contraception fut beaucoup plus longue[17] et pénible que la lutte pour l’avortement… L’opinion n’y était pas prête. Aussi notre premier objectif fut-il de dissoudre cet amalgame, de le réduire. Une fois la contraception entrée dans les mœurs et reconnue par la loi Neuwirth[18], l’avortement fut examiné en son temps. L’avenir nous donna raison. Pour inverser une formule célèbre : nous avions gagné la guerre,il ne nous restait plus qu’à livrer une bataille. » (p. 98)
3.2. La légalisation de la contraception : guerre victorieuse
La contraception est de tout temps ; mais institutionnalisée, de plus, prise en charge financièrement par l’État, elle a gravé peu à peu dans les esprits que l’homme peut se rendre maître de la vie, et de la source de vie qu’est la sexualité ; cette victoire est celle d’un principe qui allait progressivement bouleverser toute la vie sociale :
« Ce combat n’est pas seulement technique, mais philosophique. La vie comme matériau, tel est le principe de la lutte. La révision du concept de vie par la contraception transformera la société dans son intégralité (…). Ce n’est pas la mère seule, c’est la collectivité tout entière qui porte l’enfant en son sein. C’est elle qui décide s’il doit être engendré, s’il doit vivre ou mourir. » (p. 15)
Une telle insistance sur la contraception légalisée peut surprendre, mais le propos est illustré par l’observation des mœurs actuelles.
« La contraception libératoire a fait tomber le mur des fatalités traditionnelles (…), ouvre un champ libre où il va falloir installer la nouvelle morale. » (p. 194)
Mariage, fidélité conjugale, procréation, stabilité de la famille (« fatalités traditionnelles ») sont mis à mal ; cohabitation temporaire, sexualité stérile, nomadisme sexuel, divorce s’y substituent :
« La régulation des naissances institutionnalisée aboutit à une mutation de la morale », (p. 146) « (…) à un nouveau code éthique. »(p. 199)
3.3. Famille « modulée »

Jusqu’au milieu du XXe siècle, loi naturelle et catholicisme imprégnaient suffisamment encore la société pour que ne soient pas niés principes et pratiques qui en découlaient. Malgré les multiples transgressions du fait de l’être humain, une large convergence de vue existait sur la nature de l’homme, le concept de vie et sur les références naturelles de base nécessaires à une vie commune. Ainsi, dans les têtes, il n’y avait pas lieu de distinguer amour et conjugalité, procréation et sexualité, personne et société familiale. C’est ce qu’allait changer la loi de 1967, dont un des rôles essentiels, affirme P. Simon, fut « la modulation du nouveau schéma de la famille » (p. 96).
Ainsi, 58 ans plus tard, l’enfance, la jeunesse et les familles sont aux bons soins de la ministre, Mme Sarah El Haïry. La famille, institution née du mariage d’un homme et d’une femme, a cédé la place à diverses sortes de regroupements plus ou moins temporaires et « modulables » à souhait, d’êtres interchangeables, à la sexualité elle aussi modulable, selon les humeurs, les circonstances, les envies de chacun. On voit poindre l’idéologie du genre.
La contraception légalisée renvoie au second plan ce qui était la conséquence naturelle de la sexualité : la procréation cède la priorité à l’épanouissement des « partenaires », à une sexualité sans limite. Les termes ‘mari’ / ‘femme’, ‘époux’ / ‘épouse’ qui marquaient une union conjugale, scellée par l’institution du mariage, sont remplacés par ‘compagnon’ / ‘compagne’. L’enfant, devenu « projet parental » est pris en charge par « parent 1 », « parent 2 », voire 3, en lieu et place des père et mère, termes trop chargés du lien biologique. La filiation, colonne vertébrale d’une société forte, devient obsolète. La porte est grande ouverte à la PMA et à la GPA… et déjà, semble-t-il, à l’utérus artificiel.

Une fois les « fatalités traditionnelles » éliminées par la loi sur la contraception, c’est une nouvelle sexualité qui se faisait jour…
« (…) une nouvelle nature humaine et un nouveau concept de vie (…). La nature, la vie sont plus que jamais une production humaine. » (p. 255)
« La révision du concept de vie, induite par la contraception, peut donc, par la vertu du systémique, transformer la société dans son intégralité. Le moyen : poser le principe que la vie est un matériau, au sens écologique du terme, et qu’il nous appartient de le gérer, là est l’idée motrice. »(p. 85)
Ce nouveau concept de vie n’est pas l’invention du Dr Simon. Dans un entretien de la revue de la GDLF, traitant de l’attention portée par la FM dès la fin de la guerre 39-45 à la « promotion de la femme », il insiste sur l’importance de la contraception légalisée :
« La fin poursuivie a été pour nous [francs-maçons] de lui [la femme] conférer une fonction équivalente à celle de son compagnon. Mais, pour cela il fallait d’une part asseoir la maîtrise de la fécondité, d’autre part il fallait assurer à cette maîtrise un statut juridique[19]. Enfin il convenait d’insérer la femme dans le monde du travail avec une parité qui puisse se mesurer sur l’évaluation de ses partenaires. C’est pourquoi dans les différentes associations, en particulier dans le planning familial, pour la promotion de l’éducation sexuelle et familiale, les Francs-maçons ont tout naturellement estimé qu’il était de leur devoir d’œuvrer dans ce sens, ce qui aboutit à une transformation de la société ; non seulement au niveau de la condition de la femme elle-même, mais encore au bénéfice de l’ensemble de la nation. Il devenait enfin possible de désacraliser une certaine conception de la vie (désacraliser dans le sens profane du terme). En quelque sorte, on allait gérer la vie comme on gère les produits les plus précieux de notre environnement : l’air, l’eau, l’oxygène, la nature[20] ».

3.4. « Matériaux » à gérer
L’emploi renouvelé du terme « matériau » est révélateur des tenants et aboutissants de « la certaine conception de la vie » développée par l’idéologie maçonnique dont Pierre Simon est le porte-parole. Un matériau n’est qu’un élément d’un ensemble qui peut être stocké (congélation des gamètes), rejeté ou détruit (avortement, euthanasie) suivant les besoins ou circonstances. Outre celui de « moduler » la famille, l’un des rôles de la contraception est…
« (…) la préservation du patrimoine génétique, propriété de tous les humains, Français, Européens, ou citoyens du monde, et dont nous sommes comptables pour le présent, responsables pour l’avenir. Bloquer la transmission des tares héréditaires transmissibles connues, c’est un devoir d’espèce (…). La santé est devenue propriété collective. Nous cotisons à la Sécurité sociale pour la qualité de la vie et la santé de la collectivité. Chacun est solidaire de tous[21]. »(p. 96)
En français, cela a pour nom ‘eugénisme’, dont Wikipédia dit :
« C’est forcer la sélection naturelle par une sélection artificielle contre des tares supposées, préjugeant une dégénérescence de la société et des individus. »
Et si « la gestion qualitative de la vie » (p. 96) par le moyen de la contraception s’est avérée déficiente :
« Aimer véritablement la vie, la respecter, implique qu’il faut avoir parfois le courage de la refuser. »
« L’euthanasie est souvent l’objet d’une demande très profonde des parents, des mères surtout. (…) Paradoxe de notre fonction d’obstétricien, dans ce cas précis : laisser mourir n’est-ce pas préserver la vie ? » (p. 234)

Là, Pierre Simon entrouvre la porte à la solution ultime, même s’il préfère l’expression « laisser mourir »à« faire mourir ». Lors de la loi sur l’avortement en 1975, l’opinion n’était pas prête à accepter la légalisation de l’euthanasie (aujourd’hui « aide à mourir »), tout comme en 1967 avec la contraception, l’avortement était impensable pour le plus grand nombre. Il en va différemment en 2025, en témoignent les « débats citoyens » et autres tartuferies, où le plus grand nombre est convaincu de ce qu’affirmait alors l’auteur :
« Mettre au monde des enfants non handicapés, c’est cela donner la vie. » (p. 54) (La formulation est remarquable !)
Alors, avortement et euthanasie ne sont que les suites logiques d’une mauvaise gestion du matériau.
4. Conclusion
En France, 75 ans de propagande pour promouvoir un « nouveau concept de vie », en appui à près de 60 ans de pratiques contraceptives et 50 d’avortement, ont effectivement transformé nos sociétés, de la plus petite à la plus grande. Mais le fait touche quasiment tous les continents et se manifeste, entre autres, par une démographie qui inquiète les gouvernements.
Des universitaires, experts, journalistes se penchent sur les raisons de cette crise internationale. Sont mis en cause, outre les carences liées aux personnes, les politiques familiales, le féminisme, la planète, le nomadisme sexuel, la crise de l’éducation, l’éclatement de la famille, la peur du lendemain, le coût de la vie, l’infertilité et même l’avortement[22] ! Ne confondrait-on pas les effets avec la cause première ? Pierre Vermeren ouvre la voie en mettant en exergue ce constat :
« Procréer a cessé d’être naturel depuis le contrôle de la natalité, ce qui est nouveau dans notre histoire. » (id)
Il s’est agi par la loi de 1967 d’affranchir l’homme des « fatalités traditionnelles ». C’est dire que la loi a institutionnalisé, et donc, permis, facilité, encouragé la transgression (péché originel aidant) des contraintes auxquelles sa nature le soumet. Ainsi s’est « ouvert le champ libre » (p. 94) où se sont installés un « nouveau concept de vie » (p. 15, 85…), une « nouvelle morale » (p. 194), un « nouveau code éthique » (p. 199), une « nouvelle nature humaine » (p. 255).
Si les principes qui inspirent nos institutions sont à l’origine du mal, ce ne sont pas des mesurettes d’ordre social ou financier qui suffiront à redresser la situation. Seul le changement des orientations et trajectoires politiques, et donc des institutions, peuvent avoir un effet sur l’ensemble de la société. Transmettre la vie suppose d’avoir des raisons de vivre et de mourir ; c’est d’abord une question de foi, d’espérance et de charité avant d’être un ramassis de conditions matérielles et économiques. Il s’agit alors de reconnaître et d’accepter les lois inhérentes à la nature de l’homme et à l’ordre social, tenant compte ainsi des conditions établies par notre Créateur.
C’est le fondement de la seule politique familiale possible. On ne peut que douter de la volonté et de la capacité de politiciens et gouvernants qui n’ont cure que de gérer les retraites, de promouvoir l’avortement, d’inculquer dès l’école un état d’esprit contraceptif et d’organiser ou planifier la fin de vie sous prétexte de dignité. Ce n’est pas ainsi qu’ils peuvent inciter à donner au peuple le goût de la vie et le désir de la transmettre. Ils ne font que le conduire à la mort.
Jacques Héliot
[17] Selon l’auteur, le travail en loge a commencé dès les années 1950. Les années 60 voient se développer la propagande internationale contre le risque de surpopulation.
[18] Lucien Neuwirth, député appelé « père de la pilule », était membre de la GLDF.
[19] Remarque essentielle : la force des institutions pour changer les mœurs. De la qualité des institutions dépendent le bien ou le mal âmes, enseigne Pie XII.
[20] GLDF – Point de vue initiatique (n° 37, 2e trim. 1980, https://www.ledifice.net/ P037-6.html)
[21] L’argument justifie la prise en charge de la contraception par la loi et les organismes sociaux, donc à en « renforcer le statut juridique ».
[22] Cf. Pierre Vermeren(normalien, historien) – De l’enfant roi à la mise en accusation de la famille : les 10 causes de la dénatalité française (Le Figaro, 15.05.2025)
