Analyse critique de Edouard Husson, historien et universitaire, à propos du discours de Noël du pape François pour Atlantico :
Au Saint-Siège, il est un moment que l’on redoute désormais, quand l’on travaille à la Curie: celui du du discours de Noël du pape François. Personne n’a oublié le 22 décembre 2014, lorsque le pape Bergoglio avait humilié le gouvernement de l’Eglise devant le monde entier en dénonçant ce qu’il appelait « les quinze maladies » de la Curie, énumérant, pêle-mêle: « le fantasme de l’immortalité »; le « marthalisme » ou « activité excessive » (…); la « pétrification mentale et spirituelle »; la « planification excessive »; la « mauvaise coordination »; « l’Alzheimer spirituelle »; la « rivalité et la vanité »; la « schizophrénie existentielle »; la rumeur, la médisance et le commérage; la maladie de diviniser les chefs; l’indifférence aux autres; le « visage lugubre »; l’accumulation; les « cercles fermés »; la maladie du profit mondain et des exhibitionnismes.
Relue à froid, cette liste provoque un effet comique, tant elle est fourre-tout, mélangeant des notions psychiatriques, des termes de l’analyse des moralistes classiques, des mots de la vie quotidienne et des inventions verbales du pape. Mais les collaborateurs du Saint-Siège étaient repartis consternés quand ils n’étaient pas terrifiés. Deux ans plus tard, le pape avait été apparemment plus sobre dans les propos mais non moins inquiétant pour ses auditeurs, lorsqu’il avait dénoncé trois types de résistances à la réforme de la Curie: résistances ouvertes (…); résistances cachées (…); résistances malveillantes (…). En 2017, le pape avait dénoncé les « traitres » au sein de la Curie et comparé son effort de réforme à la tentative de «nettoyer le sphinx d’Egypte avec une brosse à dents » (…)
[En 2019] la critique s’adresse cette fois-ci à l’Église dans son ensemble: citant la dernière entrevue médiatique, accordée en août 2012, par le Cardinal Martini (au Corriere della Sera) peu avant sa mort, François a reproché à l’institution qu’il dirige, d’avoir « deux-cents ans de retard ».
Quand on s’interroge sur le fil directeur du discours, on voit bien certains des thèmes habituels du pontificat: comme si ses prédécesseurs n’en avaient pas pris acte, le souverain pontife martèle, que l’Eglise doit comprendre que la « chrétienté », c’est-à-dire une société imprégnée de christianisme, appartient au passé: non seulement le christianisme n’est plus la référence centrale de la plupart des sociétés mais les chrétiens sont désormais souvent marginalisés. D’autres ont l’initiative des débats culturels, des définitions de valeur etc….Or, selon François, l’Église n’arrive pas à s’adapter, elle n’accepte pas le changement. Elle est paralysée: « Il faut mettre ici en garde », a-t-il expliqué le 22 décembre 2019, « contre la tentation de prendre une attitude de rigidité. La rigidité qui nait de la peur du changement et qui finit par disséminer des piquets et des obstacles sur le terrain du bien commun, en le transformant en champ miné d’incommunicabilité et de haine. Rappelons-nous toujours que derrière toute rigidité se trouve un certain déséquilibre. La rigidité et le déséquilibre s’alimentent mutuellement dans un cercle vicieux. Et aujourd’hui, cette tentation de rigidité est devenue trop actuelle ».
Pour qui s’est habitué à la rhétorique à peine cryptée de François, on a bien, comme les années précédentes, une violente attaque. Elle s’est simplement déplacée de la Curie vers l’Église en général; vers le camp « conservateur » et tous ceux qui sont attachés à la Tradition. Rigidité, pharisaïsme, passéisme, peur du changement: le Saint-Père trace de plus en plus clairement une ligne de front. Les polémiques qui ont entouré le synode pour l’Amazonie l’ont renforcé dans sa conviction qu’il a des ennemis au sein de l’Église, apparemment de plus en plus nombreux. Au risque de tomber dans les clichés, on soulignera que, latino-américain, le pape est particulièrement obsédé par le conservatisme de l’Église des Etats-Unis; il avait même lâché, avant le synode, qu’il n’avait pas peur d’un « schisme ». Mais le rejet clair par de nombreux fidèles de ce qui s’est passé à Rome au mois d’octobre – réhabilitation sous couvert d’écologisme de la théologie de la libération marxiste des années 1980; mise en valeurs d’idoles andines (les Pachamama) lors d’une cérémonie dans les Jardins du Vatican puis à Saint Pierre de Rome et Santa Maria in Traspontina; absence de véritable débat dans une assemblée épiscopale largement choisie pour faire avancer la cause du mariage des prêtres et de l’ordination des femmes; organisation à Rome, comme pour mieux peser sur les débats de l’Église universelle, de ce qui aurait dû être une assemblée épiscopale locale – a mis le pape sur la défensive.
Le fait que les laïcs et les jeunes générations occidentales soient le vivier d’une minorité de militants catholiques attachés à la Tradition, soucieux d’un renouveau liturgique qui inclut l’attrait pour la messe en latin, fidèles à Jean-Paul II et Benoît XVI, est un démenti flagrant à la dénonciation fréquente par François du cléricalisme: si enfermement sur soi il y a de la part du clergé, ce n’est pas comme le Cardinal Martini le prétendait avant sa mort, le fait d’un attachement aux rites du passé; c’est au contraire le résultat d’une incapacité à se remettre en cause de beaucoup des prêtres qui ont cru dans un certain progressisme de l’après-concile Vatican II. François est très représentatif de cette tendance progressiste qui voudrait verrouiller une interprétation tendancieuse de Vatican II (un concile en vérité parfaitement dans la Tradition de l’Eglise ) avant de mourir. (…)
Alors, Très Saint Père, deux-cents ans de retard, l’Eglise ? N’est-ce pas une question qui fait étrangement écho à la vieille formule du camarade Joseph Djougachvili, dit Staline, de sinistre mémoire ? « Le Pape, combien de divisions? ». Que reste-t-il aujourd’hui du régime soviétique qui non seulement a fait autant de martyrs que tous les régimes persécuteurs qui l’avaient précédé ? Vous rappelez-vous qu’il y a trente ans le monde entier fêtait Jean-Paul II pour avoir contribué de façon décisive à l’effondrement du communisme? Trente ans plus tôt, en 1958, Pie XII, dont la mémoire subit aujourd’hui les conséquences d’une opération de désinformation montée sur ordre de Staline et Khrouchtchev, était fêté par tous ceux qui admiraient son courage intransigeant face à Hitler et Staline. L’Église avait servi de repère aux heures les plus sombres de l’Europe. Un demi-siècle plus tôt, les papes Pie X et Benoît XV avaient fait preuve d’une grande lucidité, contre leur époque, en essayant d’arrêter la Première Guerre mondiale, boucherie sans nom, suicide quasi-réussi de l’Europe.
Remontons encore un demi-siècle plus tôt et vous allez penser, Très Saint Père, tenir un argument imparable: le Syllabus, la proclamation de l’infaillibilité pontificale, ne sont-ils pas la preuve du bien-fondé de la formule du Cardinal Martini ? Eh bien, une fois retombées les passions de l’époque, tout historien sérieux sait que la définition de «l’infaillibilité » est en fait, dans la grande tradition occidentale, une limitation des pouvoirs du Souverain Pontife – et c’est aujourd’hui la meilleure défense contre toute innovation que vous prendriez sur un coup de tête, en oubliant le corpus de vos prédécesseurs; quant à la lutte de l’Eglise contre l’idéologie libérale, rien ne la définit mieux que l’insistance mise par Pie IX et le Premier Concile du Vatican sur la capacité de la raison humaine (contre Kant et toute la philosophie allemande) à voir au-delà des phénomènes, à saisir l’essence des choses. Et je crains bien que le regretté Cardinal Martini et vous-même confondiez, précisément, l’apparence – la forme quelquefois désuète qu’emprunte l’Église – et le fond des choses, la défense intransigeante, contre toutes les tyrannies, de la liberté et de la dignité de la personne.
En retard de « deux-cents ans »? (…) Non, vraiment, la formule des « deux-cents ans de retard » qu’aurait prétendument l’Église sur notre époque ne veut rien dire, sauf à renier la lutte pour la liberté de conscience contre les tyrannies, la doctrine sociale inventée très tôt dans la Première révolution industrielle pour attirer l’attention sur le sort des ouvriers -avant même le socialisme -, la défense de l’intégrité de la personne, la dénonciation des totalitarismes, les avertissements sur les tentations eugénistes (nazisme hier, transhumanisme aujourd’hui).
Surtout, ce qui a caractérisé l’Église durant les deux derniers siècles, marqués par tant de guerres civiles et internationales, c’est le souci de rassembler, de réconcilier, de panser les plaies. Et c’est sans aucun doute ce qui nous manque le plus, chez vous, pape François, au-delà des embardées philosophiques, des formulations théologiques imprudentes ou des petites phrases à l’emporte-pièce, que nous serions prêts à vous pardonner (…) : mais ce qui nous frappe, c’est votre difficulté, depuis six ans, à incarner la figure paternelle que doit être un souverain pontife. « Pape » est, à l’accent près, le même mot que « Papa » en italien. Comme vos prédécesseurs, on vous appelle « Saint Père ». Nous aimerions tant vous voir assumer le rôle du «Pasteur », de celui qui fait baisser les tensions et réconcilie ses enfants qui s’affrontent. C’est à cela que l’on reconnaît un pape. Dans notre monde d’où l’individualisme absolu veut bannir complètement la figure du père, vous ne feriez qu’accroître le désarroi des individus à ne pas vouloir assumer l’essence de votre fonction, la paternité spirituelle d’un milliard de fidèles catholiques – et même, au-delà des schismes, de deux milliards de chrétiens. C’est cette paternité spirituelle que les non-chrétiens critiquent toujours, mais dont ils savent bien, secrètement, qu’elle leur manquerait car l’affrontement avec un père est éminemment structurant pour la personnalité.
Pape François, ne vous trompez pas d’époque. Ecoutez tous vos fidèles, les conservateurs comme les autres, pour lire les signes des temps; apprenons à voir ensemble le désarroi d’une époque certes très déchristianisée mais assoiffée de repères et de réenracinement. Vous ne pouvez pas continuer à jouer le père absent.
Clofer
N’oubliez pas la prophétie de Saint Malachie : cet homme est le dernier “pape”, le vrai pape est Benoit XVI, prions pour lui !
Cosaque
Sûr, avec Pachamama c’est pas 200 mais 2 000 ans de retard…
sivolc
Qui a 200 ans de retard? Les simples paroissiens qui, attachés à la Tradition mais aussi à leur paroisse, s’efforcent de louer Dieu de tout leur coeur en accueillant, pour les évangéliser, toute personne qui veut les rejoindre (c’est le cas dans ma paroisse par le biais d’une schola grégorienne bien vivante depuis 10 ans), ou bien les clercs qui n’arrivent pas à se détacher de l’interprétation abusive de Vatican 2 qui a sévi chez nous dans les années 60-80 et, en conséquence persécutent ces paroissiens de bonne volonté , (c’est notre cas depuis le changement de curé intervenu voici 2 ans) ? Heureusement les jeunes nous poussent clairement vers la Tradition, même dans la forme ordinaire du rite romain. C’est d’eux que viendra le salut. Quel salut? La transmission de la Foi tout simplement.
Bainville
“…verrouiller une interprétation tendancieuse de Vatican II (un concile en vérité parfaitement dans la Tradition de l’Eglise )…”
Comment oser dire une telle contre-vérité . Certaines déclarations de ce concile seulement pastoral, sont opposées aux vérités enseignées par l’Eglise depuis toujours, en tous lieux, et par tous, des Papes, Conciles, Pères de l’Eglise, Saints théologiens.
Un peu de considération pour les catholiques qui lisent cet article.
DUPORT
Bizarre… Il y a 2 siècles c’était sous la Restauration…
Christian Falguiere
@ Closer, oui très bien de rappeler cette prophétie ! D’ailleurs, le comportement de Pape François et ses prises de position laisseraient penser qu’il est vraiment ce 112eme pape !
philippe paternot
avec un pape comme celui là, les catholiques vont devenir antipapistes, comme le sont les protestants ou les témoins de Jéhovah
lavergne21
dire que l’Eglise a 200 ans de retard, c’est grave car cela revient à ignorer purement et simplement Vatican II.
DUPORT
@Philippe paternot
On ne peut pas être catholique et antipapiste
Celui qui ne reconnait pas le Pape n’est plus catholique
On peut certes critiquer le Pape mais il reste le chef de l’Eglise
Collapsus
Ce Pape est devenu le VRP de l’ONU, véhiculant toutes les théories globalistes destinées à faire de l’Eglise catholique la grande caisse de résonance de cette subversion mentale orchestrée par les USA.
Si c’est le dernier Pape, tant mieux car l’Antéchrist n’est plus très loin et il est temps que les fidèles ouvrent les yeux sur l’apostasie de la plupart des chefs et clercs de la chrétienté sous les coups de boutoir du matérialisme, du relativisme, du panthéisme et de l’indifférentisme, de l’islamisme, des sectes évangélistes et autres armes de destruction massive inventées par le mondialisme.
Collapsus
@gemini
La référence au cardinal Martini n’est pas de nature à nous rassurer… Ce dernier en bon jésuite a été l’apôtre de cet aggiornamento qui fit tant de mal à l’Eglise en remettant en question les principes inaliénables de la théologie sur la sexualité (hétéro ou homo), la contraception et l’avortement, l’euthanasie, les vérités du péché originel, du salut de l’âme, de l’enfer et du paradis, le sacrement de la confession, qui a été de surcroît l’un des plus farouches opposants au Motu Proprio Summorum Pontificum, j’arrête là la liste de ses remises en cause de l’Église pré-Vatican II toute imprégnée d’un “esprit de fermeture”.
En un mot, un subversif.
lavergne21
Gemini, je reviens sur ma déclaration du 9 janvier un peu trop rapide. Je me suis donné le mal de lire l’intégralité des propos du pape François ainsi que ceux du Cl Martini peu avant sa mort. Quand le pape dit que “l’ Eglise a 200 ans de retard” , il reprend les termes du Cl Martini sans forcément les endosser à 100 % . Cela relativise son propos, qui sinon serait inepte, d’où ma vive réaction, car personnellement, j’ai pris le tournant de Vatican II.
François a raison quand il dit qu’on n’est plus en régime de chrétienté dans nos vieux pays d’Europe et donc que la “nouvelle évangélisation” y compris des jeunes générations de nos pays doit trouver des formes nouvelles . Il est vrai aussi que nous ne sommes pas dans une “époque de changements” mais dans un “changement d’époque” et j’ai bien du mal à m’y faire, n’étant plus tout jeune. Cependant le dépôt de la foi reste le même , ainsi que le contenu de la tradition, même si la formulation doit changer, et peut-être des règles secondaires. La doctrine de la Foi doit rester la même et je trouve que le pape prend des libertés redoutables par exemple sur les divorcés remariés en ignorant purement et simplement les “dubia” exprimés par de hautes personnalité et parfaitement légitimes. La reconnaissance d’une sorte de divinité de la Terre ( synode sur l’Amazonie) est pour moi source de scandale. François fait le procès de la “rigidité” de certains, mais nous n’avons pas tous le même tempérament, ni les mêmes perceptions et il y a “plusieurs demeures dans la Maison du Père”.
Pour tout dire, c’est bien beau d’aller à la périphérie rechercher la 100 ème brebis perdue, mais il ne faudrait pas trop négliger les 99 autres. L’évangile de Luc suppose implicitement que celles-ci sont en sécurité dans un enclos ou une bergerie, mais actuellement le loup ( “Prince de ce monde”) rode tout autour avec des maux tels que l’avortement ( le droit à), l’idéologie du genre , pour ne signaler que certains maux très redoutables des sociétés occidentales, mais pas que… Alors de grâce, Saint-Père, je vous respecte comme vicaire du Christ sur terre et je suis loyal, mais ne négligez pas le “peuple fidèle” de nos vieux pays et soyez le pape ( “papa”), de l’ensemble de vos brebis. Et ne prenez pas le risque de “schisme” à la légère.