A l'occasion de la sortie du dernier numéro de Causeur, «France inter aux Français! », Elisabeth Lévy a accordé un entretien fleuve au FigaroVox. Elle revient également sur le traitement médiatique de la campagne de Donald Trump et des primaires. Extraits :
"Le dernier numéro de Causeur s'intitule, «France Inter aux Français!» Vous aviez un compte personnel à régler avec la radio publique? Qu'est-ce qui vous énerve autant sur France Inter?
Rien de personnel, rassurez-vous, même si pour des millions de gens quotidiennement ridiculisés, insultés ou caricaturés sur la radio qu'ils payent de leurs deniers, c'est finalement assez personnel. Se faire engueuler à ses frais, ça peut finir par énerver. Je sais, cela semble mesquin de rappeler que Radio France est financée par la redevance, cela suscite toujours chez ses dirigeants des réactions agacées, comme si on avait proféré une incongruité ou une chose vraiment vulgaire (pas d'argent entre nous). N'empêche, il y a là un véritable scandale et le plus scandaleux est qu'il n'y ait pas de scandale. Plus personne ne proteste contre ce que Fabrice Luchini avait appelé avec drôlerie l'idéologie francintérienne, que Stéphane Guillon avait parfaitement résumée dans sa dernière chronique, avant de se faire remercier: «France Inter est une radio de gauche qui se comporte comme une véritable entreprise de droite», avait-il pleurniché. Voilà la vision du monde que propage notre radio publique, en particulier dans ses tranches d'information mais pas seulement. D'un côté il y a les gentils, de l'autre les méchants. Les gentils lisent Mediapart, les méchants Valeurs actuelles, les gentils sont Mariage pour tous, les méchants Manif pour tous. Les gentils votent Mélenchon ou PS tendance frondeurs, les méchants Le Pen ou LR tendance Sarkozy. Les gentils aiment l'Autre, les méchants aiment les frontières. Les gentils aiment Nuit Debout, les méchants aiment Finkielkraut. Je vous laisse compléter…
Ils sont de gauche, c'est ça le scandale? La belle affaire…
Désolée, je ne vois vraiment pas pourquoi l'argent public financerait une radio aussi ouvertement idéologique. Et je serais tout aussi énervée si notre radio publique était Radio Réac, même si la qualité du français y serait peut-être meilleure. Moi je veux du choc des idées, de la bagarre, de l'affrontement à la loyale. Que des journalistes, humoristes, producteurs et animateurs de France Inter soient «de gauche», fort bien, de nos jours c'est très vintage et c'est bien leur droit, le problème est qu'ils le soient presque tous. Ce n'est pas pour rien que Montaigne recommandait de «frotter sa cervelle contre celle d'austruy»: la consanguinité intellectuelle ne vaut rien à l'espèce humaine en général et journalistique en particulier. Mais le plus fâcheux est qu'ils en soient arrivés à ne plus comprendre du tout que l'on puisse penser autrement qu'eux. Comment peut-on être Persan? Comment peut-on être catho? Comment peut-on être trumpiste? Pour un cerveau francintérien, ces questions ont deux réponses possibles: vous êtes un idiot ou un salaud. Je n'ai aucune affinité avec Ludovine de la Rochère et son enthousiasme pour la famille m'ennuie un peu mais quand ce n'est pas un journaliste qui dénonce ses idées nauséabondes, c'est un humoriste qui souhaite à voix haute qu'elle et ses semblables disparaissent. À la fin, je me dis que pour les énerver autant elle doit avoir des qualités. […]
Au-delà du cas France Inter, l'absence de pluralisme mine-t-elle les médias français?
En tout cas, depuis l'élection américaine, tout le monde se pose des questions, tant mieux. Et l'autre jour, à France Inter, il y a eu un «Téléphone sonne» sur l'entre-soi journalistique. Bon, on parlait de l'entre-soi entre soi, mais il faut saluer l'effort. Alors oui, l'absence de pluralisme plombe le débat public. Encore faut-il s'entendre sur ce qu'est le pluralisme: ce n'est pas une arithmétique c'est un état d'esprit, une capacité à se disputer avec soi-même et à faire entrer les arguments de l'autre dans la discussion. Or, plus on est majoritaire, plus cette capacité a tendance à s'éroder. Pour le coup, le refus du pluralisme est loin d'être l'apanage de la gauche. Nous avons tous tendance à rechercher le confort et la réassurance de l'entre-soi. Cependant, attention, une rédaction, ce n'est pas le Parlement. Il n'est pas nécessaire d'être trumpiste ou lepéniste pour parler intelligemment des électeurs de Trump ou de Marine Le Pen, il suffit de descendre du petit piédestal intérieur sur lequel on est assuré de sa propre supériorité morale. […]"