Extrait de l’interview accord par Emmanuel Todd à Atlantico :
“J’ai déploré que les Gilets Jaunes ne mettent pas directement en accusation, non pas simplement l’euro comme carcan monétaire européen, responsable d’une bonne partie des maux de l’économie française, mais aussi l’impossibilité d’une protection commerciale nationale dans l’Union européenne. J’ai effectivement déploré qu’il n’y ait aucune référence à l’Europe. Par contre, ce qui était très frappant, c’était l’abondance des références à la nation révolutionnaire. Il y avait des drapeaux français partout, on chantait la Marseillaise, il y avait une revendication explicite de la nation en tant que processus révolutionnaire. Cela est très important parce que si nous sommes dans un processus de renaissance nationale, le mouvement marche de lui-même au choc frontal avec le concept européen.
Quelque chose est lancé à un niveau idéologique profond. Je pense avoir été un peu naïf, un peu techno, dans ma conception des choses, en disant seulement qu’il fallait sortir de l’euro, ce qui est un discours technique. Ce qui se passe est beaucoup plus profond et nous met sur une trajectoire de rupture avec l’euro. Et bien entendu, il s’agit d’un processus général en Europe. Chacune des nations européennes est en cours de renationalisation : les Allemands ont commencé le processus, puis les Anglais avec le Brexit, et aujourd’hui les Italiens et les Français. Chacun son style, c’est le propre de la multiplication des nations. Je crois que ce que nous devons intégrer en France, c’est cette idée de la renaissance de la nation révolutionnaire (…)
Ces dernières années, face à une France inerte, comme arrêtée dans l’histoire, avec ses classes dirigeantes germanophiles, son taux de chômage de 10%, et sa population passive, je n’étais pas loin d’imaginer que la culture française traditionnelle était morte. Mais le mouvement des Gilets Jaunes, cette formidable contestation spontanée qui se dresse contre l’État, c’est bien la résurgence puissante de la culture libérale égalitaire française, approuvée par une majorité de la population. Ce que l’on vient de redécouvrir, c’est que, au sein de l’Union européenne, la France existe toujours. Et maintenant, les politiques, s’ils ont un minimum d’intelligence, vont devoir arrêter de rêver de transformer les Français en Allemands, et accepter l’idée que c’est toujours la France qu’il s’agit de gouverner.”