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Institutions internationales

Faut-il envisager une «sortie» de la CEDH ?

Faut-il envisager une «sortie» de la CEDH ?

Expert à l’European Centre for Law and Justice (ECLJ), Nicolas Bauer intervient à ce titre devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il est coauteur de l’enquête «L’impartialité de la CEDH, problèmes et recommandations» (Grégor Puppinck (dir.), avril 2023). Il signe une tribune dans Le Figaro appelant les candidats aux élections européennes à prendre position sur une éventuelle sortie de la France de cette institution qui outrepasse souvent le droit :

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ne fait pas partie de l’Union européenne. Elle devrait cependant s’inviter dans la campagne des élections de juin 2024. L’Union européenne a en effet réactivé son projet de se soumettre à la juridiction de la CEDH. D’après la Commission européenne, il s’agirait de «renforcer» cette Cour et de lui «démontrer son attachement». Les citoyens sont par ailleurs invités à se souvenir «des précieuses contributions» que la CEDH aurait apportées à leurs pays.

Cet éloge tranche avec les polémiques créées par la jurisprudence de la CEDH depuis une dizaine d’années. C’est cette Cour qui a obligé la France à transcrire la filiation des enfants nés par GPA à l’étranger, à libéraliser le changement de sexe ou encore à rapatrier des djihadistes depuis la Syrie. Elle a aussi considéré que les peines de prison en France correspondaient à une «torture». En 2022, les juges européens ont donné raison à une militante Femen après sa profanation d’une église parisienne. Ces condamnations de la France, censées être judiciaires, sont évidemment avant tout politiques. La CEDH est devenue une institution de gauche. Cela était prévisible, au regard de ses origines et de son fonctionnement.

Cette institution se caractérise alors par une interprétation contestable du droit. C’est la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 qui a institué la Cour du même nom, la CEDH. Le général de Gaulle et Georges Pompidou l’avaient refusée, car ils craignaient que le pouvoir des juges européens devienne incontrôlable. Ce n’est qu’en 1974 que la France a ratifié la Convention européenne, acceptant ainsi de limiter sa souveraineté. L’intention paraissait louable : protéger durablement les libertés des personnes en créant une obligation juridique pour l’État de respecter les droits de l’homme. Ce dont la France ne se doutait pas, en revanche, c’est à quel point l’interprétation des droits de l’homme par la CEDH allait évoluer avec le temps. En 1978, la CEDH avait pourtant prévenu que, pour elle, la Convention européenne était «un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui». Cette approche est dite «dynamique et évolutive».

Par cette interprétation du droit, les juges européens se sont émancipés du texte de la Convention européenne. Ainsi, la CEDH s’est autorisée en 1997 à contrôler les décisions de déchéance de nationalité, alors que la Convention européenne est silencieuse à ce sujet. Depuis 2010, la disposition indiquant que «l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille» ne doit plus se limiter, pour la CEDH, au couple homme-femme. En 2022, la Cour a considéré que le principe selon lequel «la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement» était compatible avec l’euthanasie. Les juges européens créent ainsi ex nihilo du droit et des droits. Les principes de sécurité juridique et de prévisibilité sont mis de côté, au profit d’un droit «vivant»«évolutif» et «dynamique».

De graves dysfonctionnements traversent également la CEDH. Cette politisation de la CEDH soulève notamment un deuxième problème, touchant au fonctionnement de l’institution elle-même. La créativité juridique des juges européens a encouragé les militants à se saisir l’institution dans un but exclusivement politique. Dans le jargon européen, ces recours politiques s’appellent des «contentieux stratégiques». Les militants à l’initiative savent en amont quelle loi ou pratique ils veulent faire changer. Ils se mettent alors à la recherche d’une «victime», la poussent à «faire un recours» et lui payent ses frais d’avocats. L’objectif est d’obtenir de la CEDH la condamnation de l’État à changer sa loi ou sa pratique. La CEDH rendra par exemple lundi 9 avril son jugement sur un recours introduit par des écologistes, attaquant la France et 32 autres États européens pour leur «inaction climatique».

Ces «contentieux stratégiques» obtiennent des résultats du fait de la forte influence des organisations non gouvernementales (ONG) à la CEDH. Une partie des juges européens ne sont pas des magistrats, mais des anciens salariés d’ONG. Il arrive que ces juges tranchent les recours introduits par leur ancienne ONG, c’est-à-dire en situation de conflits d’intérêts. Ces cas de figure, dénoncés par des gouvernements, ont fait plusieurs fois scandale.

Il faut donc limiter les abus de la CEDH. Faut-il envisager une «sortie» de la CEDH ? Contrairement à l’Union européenne cette Cour ne s’occupe que des droits de l’homme : quitter la CEDH n’entraînerait donc aucune conséquence économique, financière ou monétaire. Les gouvernements gardent cependant la peur de s’isoler sur le plan diplomatique. Le seul précédent de «sortie» de la CEDH est d’ailleurs la Russie, dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Pour le moment, des gouvernements se contentent de limiter les abus de la CEDH, sans la quitter. Ainsi, le Royaume-Uni a envisagé d’adopter une Charte nationale, définissant une interprétation littérale de la Convention européenne, s’opposant à celle, «évolutive», de la CEDH. D’autres États, comme la Hongrie, refusent tout simplement d’exécuter les arrêts controversés de la CEDH, estimant qu’elle outrepasse son rôle. Quant aux situations de conflits d’intérêts, la poursuite de la réforme de la Cour pourrait y remédier pleinement, comme l’avait recommandé le rapport sur «L’impartialité de la CEDH» (Grégor Puppinck (dir.), avril 2023). Dans tous les cas, un tel contexte de crise institutionnelle requiert que les candidats aux élections européennes se positionnent sur la CEDH dans le cadre de leur campagne.

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5 commentaires

  1. Pour mémoire. 2015. Les douze salopards

    Par douze voix de majorité, douze individus que l’on hésite à présent à honorer du qualificatif de « juges », la cour européenne des droits de l’homme vient de rendre son arrêt concernant Vincent Lambert, ne trouvant rien à redire à la procédure suivie par la France pour justifier que l’on puisse « légalement » lui supprimer la nourriture et la boisson –et ce, donc, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

    Cet arrêt est une véritable forfaiture, que dénoncent à juste titre les cinq juges d’opinion dissidente.

    La cour a commencé par renverser sa propre jurisprudence, pour décider que la propre mère de Vincent n’avait pas qualité pour agir dans la défense de son fils. Pourtant, comme l’exprime l’opinion dissidente, « En tant que parents proches, ils ont même a fortiori une justification encore plus forte pour agir au nom de celui-ci devant la Cour.» Mais non, ses parents ne devront pas se plaindre, ils n’ont pas le droit d’être entendus par la justice. On connaissait la Justice aveugle, celle-ci est donc sourde.

    Cette injustice initiale a permis un tour de passe-passe judiciaire : les plaintes portant sur l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme, concernant le caractère éventuellement « inhumain ou dégradant » du traitement proposé pour Vincent Lambert (consistant donc en fait, à l’affamer jusqu’à la mort, en lui supprimant toute assistance dans ce domaine) n’ont pas été examinées par la CEDH, sous le prétexte qu’elles étaient présentées par ces personnes « n’ayant pas qualité pour agir ». Et donc, la cour, sans état d’âme, a déclaré limiter volontairement son examen à « l’ensemble des questions de fond soulevées par la présente affaire sous l’angle de l’article 2 de la Convention ». La cour a donc bien sagement conclu que « la procédure retenue par la France pour cesser de maintenir Vincent Lambert en vie est bien conforme à l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme ».

    La cour n’a pas voulu entendre (ou plutôt, a refusé de prendre en compte) que Vincent, à qui l’on se propose de supprimer la nourriture et la boisson, ne serait pas en état végétatif, mais en état pauci-relationnel – il dort et se réveille, suit son environnement des yeux, serait à présent capable de déglutir, peut-être un jour de s’alimenter seul. Ce n’est pas un état de légume, ce n’est pas une plante qu’on « oubliera d’arroser » parce qu’on n’en veut plus. Il n’aurait plus que le niveau de conscience d’un poisson rouge ? Mais quand bien même ce serait, quelqu’un qui laisserait mourir son chien de faim et de soif se verrait condamner parce qu’il s’agit d’un traitement « inhumain » : en France « Il est interdit d’exercer des mauvais traitements envers les animaux » (L214-3 CRPM) – ce même traitement serait permis sur un être humain ? Vincent a-t-il déjà perdu sa personnalité juridique, pour être traité moins qu’un animal, comme une chose ?

    La presse unanime s’est empressée de prétendre que « la CEDH valide l’arrêt des soins de Vincent Lambert » – Ah, mais, pardon, la CEDH n’a rien validé de tel. Elle n’a validé que la conformité à l’article 2. Elle a délibérément et explicitement refusé de se poser la question qui fâche, celle de l’article trois, dont elle aurait au contraire dû se saisir d’office si elle avait été à la hauteur de sa mission : est-il conforme à la dignité humaine de faire volontairement mourir quelqu’un de faim et de soif ? ou est-ce un traitement « inhumain ou dégradant » ?

    Il ne sert à rien de s’abriter derrière des arguties sur ce qu’est ou non un traitement médical. Il ne s’agit pas ici du cas validé par les comités d’éthique et évoqué par le Conseil d’Etat, disant que pour les malades en fin de vie, l’alimentation artificielle peut être une gêne, et que *dans ce contexte*, l’alimentation artificielle peut faire partie des traitements dont l’arrêt est légitime, lorsque la poursuite d’un traitement constituerait une « obstination déraisonnable ». Cela se comprend d’un malade dont on arrête le traitement médicalisé, pour ses derniers instants, pour le laisser partir de sa mort naturelle – le malade mourant alors de sa maladie.

    Mais qui a jamais clairement dit que lorsque l’alimentation et l’hydratation étaient les seuls « soins » médicaux, il restait légitime de les arrêter ? Que ça reste légitime, alors que quand dans ce cas, le « malade » meurt en réalité de faim et de soif ? Alors même, nous dit l’ONU, que « le droit à une nourriture suffisante est indissociable de la dignité intrinsèque de la personne humaine » ?

    Le Conseil d’Etat a dit très exactement l’inverse, quand il précise que « la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible d’inconscience ou, à plus forte raison, de perte d’autonomie la rendant tributaire d’un tel mode d’alimentation et d’hydratation ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite du traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l’obstination déraisonnable ».

    Mais cette forfaiture de la CEDH va sans doute permettre à son équipe qui devrait être soignante de laisser mourir Vincent, en s’abritant derrière un avis officiel, pour se donner bonne conscience.

    Il le tua, disant : « Lui-même n’en sait rien. » Puis il fut un grand roi.

    Qu’est-ce que le médecin légiste va indiquer sur l’acte de décès, comme « cause de la mort » ? Mort de dénutrition et de déshydratation ? Dans un milieu médicalisé ???

    S’ils laissent Vincent mourir de faim et de soif, comment les médecins et l’équipe médicale pourront-ils échapper à la responsabilité judiciaire d’une « non-assistance à personne en danger », voire de « meurtre commis avec préméditation », sur une personne « dont la particulière vulnérabilité, due à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, est apparente ou connue de son auteur » ?

    En arguant que « la procédure validée par la CEDH a été respectée à la lettre » ? Voire, la CEDH n’a rien dit sur l’article trois. Il n’y a pas de chose jugée sur cette question. Elle peut faire l’objet d’un procès. Et s’il y a un conflit de droit invoqué entre celui des malades en fin de vie et celui interdisant le meurtre avec préméditation, comment la cour d’assise va-t-elle juger ce cas ?

    Parce que, justement, ce qui aura tué Vincent n’est pas une maladie, mais l’arrêt volontaire de soins « indissociables de la dignité intrinsèque de la personne humaine ». « Nul ne peut être soumis à des traitements inhumains. » Droit inaliénable, protégé par l’article trois de la convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit d’une des rares dispositions de la Convention qui ne soit pas assortie d’exceptions.

    Mais la cour européenne autrefois dite « des droits de l’homme », chargée pourtant de veiller à l’application de cette convention, a refusé d’examiner cette question.

    • Et surtout rappel que le fait d’être partie à la CEDH n’a eu absolument aucun impact dans cette affaire puisque Vincent Lambert a été condamné à mort par le Conseil d’Etat et qu’au contraire la CEDH a suspendu la sentence pendant plusieurs années.

  2. Je connais un excellent moyen de mettre fin aux agissements de la CEDH, mais par respect pour le Salon Beige et M. Janva, je m’abstiendrai de l’écrire ici…

    • et bien moi je suis pour la sortie de la cedh, la dissolution du conseil constitutionnel, du conseil d’état (gouvernement des juges) de l’otan militariste, de l’onu, un machin inutile et pervers

  3. Ou autre solution : se désintéresser complètement des décisions de la CEDH. La Turquie se fait condamner des centaines de fois par an, de même que la Russie avant de partir, et ces deux pays s’en désintéressaient et n’ont jamais changé leur politique.

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