Juristes pour l’enfance révèle pourquoi la GPA “éthique” est impossible :
Il existe à La Haye, depuis 1893, une organisation intergouvernementale spécialisée dans la préparation d’accords internationaux sur les questions transfrontières relatives au droit privé, principalement le droit civil et le droit commercial. Cette « Conférence de La Haye de droit international privé » réunit aujourd’hui 90 États, auxquels s’ajoute l’Union européenne.
Elle affiche un nombre respectable de succès, avec des conventions internationales importantes, notamment sur l’entr’aide judiciaire, l’adoption internationale ou l’enlèvement d’enfants. Ces conventions, signées chacune par une centaine d’États, ont efficacement contribué à imposer aux ressortissants de ces États le respect de règles qu’ils auraient pu chercher à contourner en exploitant les différences entre les droits nationaux.
En 2010, poussée par quelques gouvernements et, probablement aussi, par quelques firmes spécialisées dans ce type de commerce, la Conférence s’est saisie de la question de la gestation pour autrui (GPA) internationale, qui fait intervenir des commanditaires, des donneuses d’ovocytes et des mères porteuses, des laboratoires et des cabinets d’avocats situés dans des pays, voire des continents différents. Au vu de l’expérience de la Conférence, il était permis de se dire : « Pourquoi pas ? »
Constat d’échec du travail de la Conférence de La Haye sur la GPA ?
Que s’est-il passé à La Haye depuis 2010…
Entre 2010 et 2015, les services de la Conférence ont réalisé, à partir d’enquêtes et de questionnaires, des études extrêmement approfondies sur les législations nationales et les pratiques en matière de GPA. En mars 2015 ces études ont été mises à la disposition d’un groupe d’une trentaine d’experts désignés par les gouvernements, et elles sont régulièrement actualisées.
Le groupe d’experts a tenu 12 réunions entre 2015 et 2022. A l’issue de sa dernière réunion, en novembre 2022, il a remis un rapport final de 60 pages.
- Jusqu’en mars 2019, le mandat donné au groupe d’experts était d’élaborer deux projets d’accords internationaux en vue de la reconnaissance internationale de la filiation (l’un sur la filiation en général, l’autre sur la GPA en particulier) ; le principe était de déterminer à quelles conditions la filiation issue d’un contrat de GPA dans un État devrait être reconnue par les autres États, ce qui revenait en réalité à élaborer un projet de convention internationale sur la GPA considérée comme acceptable, ou encore « éthique ».
- En mars 2021 le mandat a été rétréci : il a seulement été demandé au groupe de « fournir une évaluation rigoureuse et équilibrée de la possibilité d’élaborer des projets d’accords » ;
- en novembre 2022 la conclusion du groupe est la suivante : « Le groupe a recensé plusieurs éléments prometteurs pour un ou plusieurs accords. Il a également relevé plusieurs problèmes de faisabilité. Le groupe recommande de constituer un groupe de travail afin de mieux éclairer les considérations et décisions politiques concernant le champ d’application, le contenu et l’approche de tout nouvel accord ».
Autrement dit, 10 ans de travail acharné de la Conférence de La Haye conduisent un groupe d’experts à proposer la création d’un groupe de travail : comment ne pas voir dans cette issue un cinglant aveu d’échec ?
Même s’il se garde de le reconnaître, le groupe d’experts donne lui-même la clé de son échec : la question de la GPA n’est pas tant une question de droit qu’une question politique. La GPA ne pose pas de problèmes seulement juridiques, elle pose un problème de civilisation.
Pourquoi cette impossibilité de définir des règles universelles pour autoriser la GPA ?
Juristes pour l’Enfance espère que, lors de leur réunion du 7 au 10 mars prochain, les gouvernements participant à la Conférence de La Haye (dont celui de la France) prendront la seule décision raisonnable : dire stop à l’acharnement juridique, dire stop aux projets qui, sous prétexte d’une reconnaissance des filiations établies en exécutions de contrats de GPA, visent en réalité à édicter une convention d’autorisation universelle de la GPA.
Pour se convaincre, les gouvernements n’auront qu’à lire attentivement le rapport des experts. Il démontre lui-même l’impossibilité logique de créer une GPA garantie « juridique », ou « éthique » ou « désintéressée ». La démonstration tient en trois phrases :
- Si la GPA est un mode de filiation naturelle comme les autres, si la parenté d’intention est une parenté semblable à la parenté naturelle, alors il n’est pas nécessaire de définir de nouvelles règles pour la GPA ;
- Mais la GPA n’est pas un mode de filiation comme les autres, car elle comporte des risques avérés pour la protection des droits humains (ces risques font l’objet dans le rapport d’une énumération succincte et très incomplète, mais leur existence n’est pas mise en doute) ;
- Or, pour prévenir ces risques, deux et seulement deux méthodes sont envisageables, mais elles seront aussi inefficaces l’une que l’autre :
- un contrôle a priori des projets de GPA, pourlesquels les commanditaires devraient demander une autorisation aux États (comme en matière d’adoption internationale), mais le rapport indique lui-même que les États ne voudront pas prendre cette charge ni cette responsabilité ;
- un contrôle a posteriori, mais le rapport relève évidemment que les États seront mis devant le fait accompli de la naissance de l’enfant, ce qui rend illusoire toute idée de sanction – raison pour laquelle, sans doute, le groupe d’experts n’a jamais abordé la question des sanctions.
L’impossibilité de créer un cadre légal et international de la GPA doit donc nous interroger davantage et nous permettre de mieux recenser les désordres humains qu’elle implique. L’issue des travaux du groupe d’experts de la Haye, qui révèle l’impossibilité d’une prétendue GPA éthique, contredit en outre la démarche de l’Union européenne qui tend à imposer aux États la mise devant le fait accompli, notamment de la GPA, par son projet de règlement sur la reconnaissance transfrontière de la parentalité.
Juristes pour l’enfance appelle de ses vœux la seule réponse efficace pour sauvegarder la dignité et les droits humains en la matière, à savoir une lutte décidée et efficace contre cette pratique dans les droits nationaux comme à l’échelon international.
La seule réponse internationale responsable au problème de la GPA serait non pas une tentative d’encadrement mais une convention emportant l’abolition universelle de cette pratique.