Homélie du Très Révérend Père Dom Jean Pateau (via Le Petit Placide), Abbé de Notre-Dame de Fontgombault, le 25 décembre 2019 :
Et Verbum caro factum est
Et le Verbe s’est fait chair…
(Jn 1,14 )
Chers Frères et Soeurs,
Mes très chers Fils,
A l’heure qu’il est, les bergers sont repartis, regagnant leurs troupeaux. Marie et Joseph se retrouvent seuls dans l’étable. Marie repasse en son coeur les événements de ces dernières heures qui déjà sont un mystère.
En nous donnant à lire les Prologues de l’Évangile selon saint Jean et de l’épître aux Hébreux, l’Église introduit les fidèles dans la contemplation d’un mystère encore plus profond : celui de la génération éternelle du Verbe de Dieu auprès du Père. Sans cette génération première du Verbe, Parole éternelle du Père, il ne pourrait y avoir dans le temps son incarnation. La foi en ces mystères est essentielle pour répondre à la question de l’identité de l’Enfant de la crèche : Est-il Dieu ? Est-il homme ? L’histoire des premiers siècles de l’Église montre que l’affirmation de saint Jean n’est pas si évidente. Le Verbe s’est fait chair. Mais cette chair, n’était-elle pas seulement une apparence ? Et si elle est bien celle d’un homme véritable, celui-ci est-il Dieu en même temps ?
Les formules du Credo, tirées des Conciles de Nicée et de Constantinople, sont claires. Au sujet du Fils de Dieu, Parole du Père, Verbe de Dieu, nous croyons qu’il est Dieu comme le Père est Dieu, lumière comme le Père est lumière, vrai Dieu comme le Père est vrai Dieu. Ceci est exprimé par un mot consacré que l’on peut se réjouir de voir réapparaître dans la nouvelle traduction liturgique du Credo : consubstantiel au Père. Seule demeure entre eux l’opposition entre le fait d’engendrer, qui est propre au Père, et celui d’être engendré, qui est propre au Fils. Ils ne sont qu’un seul Dieu.
Au sujet du mystère de l’incarnation, l’Église professe que pour nous les hommes et pour notre salut, le Fils est descendu des cieux, s’est incarné et s’est fait homme. Le Verbe de Dieu, vrai Dieu de toute éternité, assume au temps voulu une nature humaine. Il s’incarne. Si la foi catholique a été contestée dans les premiers siècles de l’Église, il en va de même aujourd’hui. Et si elle n’est pas contestée, pire, elle est tout simplement ignorée. Le chrétien se définit volontiers comme un homme bon, miséricordieux, charitable. Loin d’affirmer que le chrétien ne devrait pas avoir ces qualités, il faut cependant rappeler que cela n’a rien de spécifique au chrétien. Tout homme est appelé à faire le bien et à éviter le mal. Le chrétien est un disciple du Christ. Il croit que Jésus est le Christ, Fils de Dieu incarné, Dieu lui-même, qu’il est mort et qu’il est ressuscité pour notre salut. La foi au Christ, telle est notre marque distinctive. Le fidèle est celui qui a la foi. Cette foi, nous la partageons avec les premiers chrétiens. Elle n’a pas changé. Elle ne peut changer. Au plus fort des persécutions, nos frères dans la foi traçaient, avant de mourir, dans le sable des arènes ou sur les murs de leurs prisons le mot ichthus, composé des initiales en grec des mots : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur, ou encore un poisson stylisé ; ichthus en grec signifiant poisson. Nous pourrions en écrire autant.
Tant de nos contemporains sont promenés dans une actualité qui n’a plus rien d’actuel, s’épuisant de nouveautés en nouveautés qui passent. La véritable actualité, la véritable nouveauté, c’est cette génération du Verbe au sein de la Trinité : un don infini, totalement donné et parfaitement reçu. La véritable actualité et la véritable nouveauté, c’est l’amour de Dieu pour sa créature. N’est-il pas consolant d’entendre qu’ « après avoir parlé par les prophètes, Dieu nous a parlé par son Fils » ? Pour autant, l’affirmation de l’Évangile : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu », n’en reçoit qu’un sens plus dramatique. L’amour n’est pas aimé. Oui, la terre et la création, c’est chez lui. Et si c’est aussi « chez nous », c’est parce que d’abord, c’est « chez lui ». Il est illusoire de vouloir échanger sur l’écologie en ignorant Dieu. N’est-ce pas lui qui a établi dans son amour et sa sagesse les règles des relations entre les êtres au sein de sa création ? Comment ignorer ces règles ?
Verbum caro factum est, le Verbe s’est fait chair : suprême amour de sa création et du corps de sa créature, suprême abaissement, suprême humilité pour partager à l’homme sa divinité. Dieu se revêt de notre chair, se fait Emmanuel : Dieu avec nous. L’homme oublieux de Dieu, comme pour occuper une place qui lui semble vide, s’érige en Dieu. Suprême orgueil, suprême mépris de l’amour et de la sagesse de son Créateur, il revisite la création et prétend la modeler à son gré. La dictature des faux dieux se fait chaque jour plus oppressante. La justice entre les hommes et le respect de la liberté de tous exigent la vérité sur ce qu’est l’homme, et l’acceptation du plan divin. Que faire, alors que notre pèlerinage est toujours plus difficile ? Jésus aujourd’hui se fait aussi pèlerin. Dieu est avec nous.Marchons à ses côtés.
Pour tenir tête à une société qui ne prête attention qu’à la violence ou à ce qui touche ses intérêts économiques, il est urgent que les chrétiens se regroupent et se forment. Il faut qu’ils connaissent et acceptent les affirmations de leur foi. Ne laissons pas caricaturer le Christ ou son message. L’Enfant de la crèche n’est-il qu’un personnage de plâtre qui ressort de sa boîte chaque année, ou est-il Celui qui a profondément marqué ma vie, au point qu’elle répand autour d’elle sa lumière et son message ? Le Christ vaut-il la peine d’être connu, d’être annoncé ? Celui que la plupart des médias ignorent, il nous revient de l’annoncer, en occupant les lieux de parole, en soutenant les médias chrétiens. En face, c’est un vide abyssal. Ce qui manque aujourd’hui à trop de chrétiens, c’est ce qui manquait au jeune homme riche : la flamme de la foi qui permet d’aller au bout avec le Christ. Le don radical de Dieu appelle le don radical de l’homme : « Dieu ou rien » !
Si le monde devient chaque jour plus violent, si les situations de haine se multiplient, c’est que le monde a décidé qu’il n’y a rien au-delà de lui. Il ne lui manque que d’accepter l’amour et la paix de son Dieu qui aujourd’hui prennent les traits d’un enfant. Alors que la nuit est sombre, le chrétien est le veilleur qui a mission d’ouvrir la voie de l’espérance à ses frères. Aujourd’hui, dans une crèche, auprès de Marie, est apparu le Christ, Fils de Dieu, notre Sauveur, notre paix. Amen, Alleluia.